Désengagement de l’État, asphyxie budgétaire, complexification de la gouvernance, déni de leur autonomie… L’exécutif ne cesse de fragiliser les départements, affirme le président socialiste de la Nièvre, Fabien Bazin, dans cette tribune publiée dans Le Monde.
Un gouvernement qui aime tellement la France des territoires qu’il la condamne à bas bruit ? Une série de signaux faibles atteste ce « je t’aime, moi non plus » jacobin : asphyxie budgétaire, comme le constatait en juin le président de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales [André Laignel, également vice-président de l’Association des maires de France] ; revenu de solidarité active bientôt conditionné à une quinzaine d’heures d’activité par semaine, selon le projet de loi « plein-emploi » ; financiarisation du logement social à travers des partenariats avec des investisseurs ; serpent de mer du projet de création d’un conseiller territorial, siégeant à la fois au Conseil départemental et au Conseil régional… Qui veut noyer son chien… Mais quels symptômes de la rage rongeraient donc les départements français au point de justifier de les noyer ?
Rappelons que l’ambition de simplification se traduit par une complexification permanente de la gouvernance des politiques sociales dénoncée en mars par la Cour des comptes, qu’il s’agisse de l’autonomie ou de l’insertion. Redisons aussi que le désengagement de l’État fait évoluer de facto le périmètre des compétences départementales.
Les départements sont d’autant plus incontournables que ce sont leurs politiques qui, selon la formule du professeur de droit public Michel Borgetto, deviennent « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », comme le montre leur implication dans la création de centres de santé ou dans le droit à l’emploi avec l’expérimentation « Territoires zéro chômeur ». Celle-ci, qui a notamment permis à près de 300 Nivernais1 durablement privés d’emploi d’en retrouver un par la création d’une dynamique économique et citoyenne de proximité, semble discrètement enterrée par le gouvernement.
Baisse des subventions
Assiste-t-on là à une communication si bien orchestrée qu’elle passerait sous silence le fait que les départements sont en droit d’exiger le respect d’un principe-clé de leur fonctionnement, consacré par l’article 72 de la Constitution, à savoir la libre administration ? Il est légitime de rappeler que, si notre République est décentralisée, elle n’est pas encadrée. Or, entre les appels à projets et les dépenses additionnelles imposées sans concertation, l’État obère la responsabilité des Conseils départementaux en tant qu’assemblée délibérante.
À l’encadrement des politiques publiques départementales répond la privation de leur autonomie financière par l’action conjuguée de la baisse des subventions, de la suppression progressive des recettes fiscales et de l’augmentation des transferts de charges sans compensation de l’État. Pourrait-on cesser d’affaiblir la légitimité démocratique de l’action départementale par l’asphyxie budgétaire ? Mettra-t-on bientôt au pilori les prétendus « mauvais gestionnaires » qui peinent à répondre aux besoins sociaux pourtant croissants ?
Un déni de l’obscurantisme
Quand les départements sollicitent une augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux parce que les coûts s’enflamment, les motifs de refus oscillent entre mauvaise gestion et économies budgétaires. Pour les surcoûts pourtant considérables de l’autoroute A77 [reliant l’Île-de-France à la Nièvre], l’État s’applique d’autres règles. Face à l’attrition des moyens ou à la réduction des financements des conseillers numériques par l’État, le département, lui, « gère » et observe le mécontentement des citoyens désemparés.
Sous ces reproches faits aux collectivités locales s’insinue une recentralisation rampante, qui s’assoit totalement sur la capacité des départements à mettre en œuvre des politiques publiques de proximité fondées sur des besoins avérés et exprimés par les citoyens. Une recentralisation qui, avançant à rebours des aspirations citoyennes et de la démocratie, révèle une absurdité, un véritable déni face au danger de voir notre pays sombrer dans un obscurantisme nourri de déconsidération.
Pourquoi ne pas renouer plutôt avec la confiance envers les collectivités locales, premières de cordée du service public ? Redonnons-nous les moyens de raconter la belle histoire des départements, celle de territoires d’innovations, de citoyenneté, de solidarité. Celle du cœur battant de la France. Dont la seule « rage » est de défendre, coûte que coûte, le droit au bonheur, l’égalité des chances, des soins et des services partout et pour tous.
Fabien Bazin