Du 11 au 13 août à l’occasion des 20 ans de l’association Le Philistin1, des centaines de personnes se sont retrouvées dans l’Aveyron pour participer à des conférences, des concerts, des projections en soutien au peuple palestinien sous l’intitulé « Tous palestiniens ».


 

Lors de la première journée, Philippe Oddou, philistin phocéen, a présenté « sa route du Za’atar », le nom d’une herbe aromatique de Palestine ressemblant au thym et à l’origan : un projet de circulation des produits alimentaires méditerranéens sur un voilier de 10m aux voiles colorées en hommage à la Palestine, drapeau compris, dans le but de fissurer les préjugés et de bien manger. Dans plusieurs escales de la rive sud de la Méditerranée, avec à chaque fois un comptoir du Za’atar, la Corse a été la première servie avec un correspondant soutenant le projet, puis la Sardaigne et en projet la Tunisie : Porto Torres, Île de Porquerolles, Ajaccio, Bastia.

La première conférence animée par un journaliste palestinien de Ramallah, Qassam Muaddi, était étonnante de fraîcheur dans l’horizon de fracas qu’est la colonisation et le système d’apartheid mis en place en Cisjordanie et à Gaza par l’État d’Israël. Il a démarré et inscrit tout son propos dans le rapport et l’histoire de la terre et des hommes et femmes, à partir d’une photo de son grand-père sous ses oliviers.

« La relation avec la terre ne peut pas être falsifiée, pourquoi partir ? Le projet sioniste a perdu d’avance avec son objectif de colonisation de peuplement et de remplacement : on ne peut pas nier l’identité d’un peuple. Dans la zone C, sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration, et qui représente la plus grande portion des terres de la Cisjordanie (62 %), l’État d’Israël change sans cesse les règles administratives pour mettre en œuvre l’extension des colonies : tout est interdit pour les Palestiniens, tout l’espace est à annexer, à évacuer. Le déracinement avance tous les jours et dans certaines régions comme au sud d’Hébron les Palestinien.ne.s vivent dans des grottes que l’État israélien ne pourra pas détruire ! »

Qassam Muaddi dénonce la confiscation du récit palestinien : « Celui des espaces, des cartes d’un déracinement et des pratiques de vie, notamment l’agriculture essentielle pour la vie des habitants. Il y a 5 fleuves en Palestine dont aucun ne coule. L’eau est dessous, dans les nappes phréatiques. La population israélienne consomme 3 à 4 fois plus d’eau que le population palestinienne.

Les camps de réfugiés, au nombre de 19 en Cisjordanie et 8 à Gaza, ne méritent plus leur nom tant ils ne sont plus temporaires ; plus de 75 ans d’existence : sans passé et sans horizon les jeunes qui y vivent se sont réconciliés avec la mort. Dans leurs poches de pantalon ils ont dans une, la lettre d’adieu à leurs proches et leurs familles, et dans l’autre, des pierres ou de quoi attaquer les colonisateurs. Il est très important de ne pas banaliser la mort aux yeux de l’occupant, chaque martyr doit avoir sa place avec des funérailles magnifiques et parfois extravagantes. »

D’ailleurs, l’État israélien ne s’y trompe pas quand il refuse de rendre les corps des palestinien.ne.s assassiné.e.s ou de ceux et celles mort.e.s en prison qui n’avaient pas fait leur temps d’incarcération !

« Le visage de cette violence est structurel avec la mise en place d’un morcellement infini. Cette confiscation du récit, des espaces, comment la dire mieux que le jour où, dans la manifestation de haut niveau du 15 mai 2023 pour l’anniversaire de la Nakba à Tulkarem, j’ai vu un jeune avec une pancarte “la mer est à nous”. Quand je lui ai demandé la raison de cette inscription il m’a répondu qu’habitant à 10 km de la mer, sachant qu’elle était là, il ne l’avait jamais vue ! »

Une question de l’assemblée est venue autour de l’Autorité Palestinienne à laquelle l’intervenant comme la traductrice palestinienne ont répondu en leur nom : « Ce sont des collabos’ qui ont des accords sécuritaires avec l’État d’Israël pour faire le sale boulot… d’arrestations, etc. La jeune génération est déconnectée de l’Autorité Palestinienne et de ses différents représentants politiques, où que ce soit dans le monde. »

La question de la réalité d’un mouvement anti-colonialiste aujourd’hui en Israël a également été abordée avec peu d’optimisme : « Il n’y a plus d’opposition anti-colonialiste structurée actuellement en Israël, la seule opposition qui existe est celle concernant l’occupation de 1967 suite à la guerre des six jours. Nous travaillons ou menons des actions communes avec des ONG israéliennes comme B’Tselem (centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés), mais sans illusion sur leur positionnement politique. »

Pour conclure, en regardant vers l’avenir le journaliste palestinien a rappelé l’importance du soutien « des ami.e.s » pour le monde palestinien. « Notre futur tient à la persistance de notre résistance, qui doit être lié de façon absolue et nécessaire avec la solidarité internationale pour amener leurs gouvernements à intervenir, dénoncer les pratiques de l’État d’Israël et nous soutenir. »

En écho à cet après-midi de conférence, cette réflexion d’Ilan Pappé historien israélien, professeur à l’Université d’Exeter en Angleterre :

« Mais ce que l’on ignore souvent, c’est que, s’il n’y avait eu la résistance et la résilience des Palestiniens, la légitimité et la moralité de l’État juif n’auraient pas été mises à l’épreuve, là où ce même État juif est actuellement mis en examen face aux lois internationales, au bon sens commun et à ce qu’est un comportement éthique. »

Brigitte Challande

Notes:

  1. Association pratiquant le commerce de soutien à l’indépendance économique du peuple palestinien
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.