En Occitanie, première région bio de France, les agriculteurs de la filière prennent leur mal en patience face à la chute de la consommation, mais quelques-uns ne s’y retrouvent déjà plus et font le choix de la déconversion.


 

« On fait le dos rond », « il faut se serrer les coudes » : une bonne part de l’anatomie humaine y passe lorsque les cultivateurs décrivent leur inquiétude.

Pour Rémi Tardieu, producteur bio de 51 ans à Villasavary, dans l’ouest de l’Aude, la crise, ce sont des baisses de prix d’achat de ses récoltes : en moyenne « de 10 à 15 % minimum ». « Le tournesol, on était sur 800 euros la tonne l’année dernière, on nous annonce péniblement 600 cette année ; le soja pareil », détaille-t-il.

Fréderic Sembinelli, 34 ans, maraîcher bio dans le Tarn-et-Garonne, déplore quant à lui une diminution de ses commandes. « Baisse de fréquentation dans les magasins donc automatiquement moins de commandes, jusqu’à moins 30 % cet hiver », précise cet agriculteur qui travaille principalement en vente directe.

Après dix ans d’une croissance à deux chiffres, le marché français du bio a été percuté par l’inflation et en 2022, les ventes ont reculé de 7,4 % en grandes surfaces, plus encore dans les magasins spécialisés.

En Occitanie, côté production, la crise se traduit par un fort ralentissement des conversions.

 

Moins d’installations

 

« En fin d’année, on a commencé à voir un coup de frein et il se confirme », explique Nancy Faure, directrice d’Interbio Occitanie, qui fédère les acteurs de la filière.

Entre 2021 et 2022, le rythme des conversions a ainsi ralenti d’environ 31 %, selon Interbio. Si pour 2023 les chiffres ne sont pas encore consolidés, la tendance n’est pas bonne.

Peu d’agriculteurs décident pour l’instant de revenir à la production conventionnelle, mais il y en a : 2 à 3 % en 2022.

« J’ai choisi de me déconvertir parce que les cours ne suivaient pas ; les prix ont quasiment baissé de moitié », déclare ainsi à l’AFP un viticulteur des environs de la Montagne noire (Aude), qui souhaite garder l’anonymat. Quand il était en bio, il avait « plus le sourire », confie-t-il, mais « à un moment, c’est le porte-monnaie qui parle ».

« Il y a un petit peu de déconversions, on ne va pas se le cacher », confirme Bernard Malabirade, président de la chambre d’agriculture du Gers, premier département bio de France « avec 30 % des agriculteurs et 25 % de la surface agricole ». « Nous ne sommes pas en baisse de surfaces engagées, ajoute-t-il, mais il est évident que si le marché ne se redresse pas rapidement », le risque est avéré.

« On est vraiment dans une situation d’incertitude totale dans la filière sur ce qui va se passer dans les mois qui viennent », relève la directrice d’Interbio.

 

Relancer le « bio réflexe »

 

Dans ses points d’information répartis sur la région, précise-t-elle, les demandes ne viennent plus d’« agriculteurs installés (…) qui se posent la question de passer en bio », mais de « gens qui appellent en disant : C’est quoi les conséquences si j’arrête ? ».

Dans ce contexte, « tous les acteurs traditionnels et historiques vont passer le cap », espère M. Tardieu, également président de l’association de producteurs bio de l’Aude, « mais ce sont tous les nouveaux qui vont être fragilisés et risquent d’être pénalisés ».

« Il faut tenir bon », insiste M. Malabirade qui veut rester optimiste.

« Même s’il y a quelques agriculteurs qui se déconvertissent, notre vision c’est que le bio reste un bon choix pour la planète », souligne de son côté Judith Carmona, présidente de la commission agriculture à la Région.

Alors que l’aide au maintien en agriculture bio a été supprimée par l’État, la Région l’a maintenue en 2023, pour un budget de 12 millions d’euros.

Le soutien passe aussi par un effort de communication : « on a réalisé qu’il fallait plus prendre la parole sur l’intérêt de consommer bio », souligne la directrice d’Interbio.

Fils d’agriculteurs bio du Gers, le rugbyman du Stade toulousain et du XV de France, Anthony Jelonch, a ainsi été appelé à la rescousse pour, espère la profession, tenter de redonner au consommateur local le « bio réflexe ».

AFP

Photo Marché à Toulouse