Environ 2 000 personnes ont bravé l’interdiction de la préfecture de police, permettant à la marche en mémoire d’Adama Traoré et contre les violences policières de se tenir à Paris au nom de la liberté d’expression. Que s’est-il passé, quelles conséquences ?


 

Après l’interdiction de la marche à Persan et Beaumont-sur-Oise organisée par le comité « la vérité pour Adama », Assa Traoré a suivi spontanément l’appel relayé sur les réseaux. Assa s’est rendu au rassemblement place de la République à Paris en hommage à son frère Adama décédé à la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise) après son arrestation en juillet 2016, mais aussi aux victimes des violences policières.

 

La LDH dénonce une « atteinte grave à la liberté de manifester »

« On ne comprend pas pourquoi cette interdiction a été prise », précise Arié Alimi, avocat et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, qui explique que cette décision n’a pas été motivée par le gouvernement devant le tribunal administratif. En effet, le collectif « La vérité pour Adama » organise chaque année dans le calme une marche de commémoration pour demander justice. Aucun élément n’a été fourni qui laisserait penser que la manifestation pouvait engendrer des troubles graves à l’ordre public, explique l’avocat.

Les députés de la Nupes venus en force et portant l’écharpe tricolore (Éric Coquerel, Carlos Martens Bilongo, Mathilde Panot, Louis Poyard, Sandrine Rousseau, Danielle Simonnet) se tenaient aux côtés du collectif. Leur présence, celle des nombreux médias ainsi que celle des personnes venues en soutien a sûrement dissuadé le gouvernement de faire usage de la force place de la République.

Les forces de l’ordre ont d’abord tenté de faire quitter les lieux aux réfractaires par des verbalisations et des sommations. Quelques bousculades ont eu lieu alors que les policiers essayaient d’approcher Assa Traoré. Mais la détermination pacifique de la foule et les protestations des députés a permis d’éviter l’interpellation.

Puis, après la déclaration à la presse au bord de la fontaine avec la République en toile de fond, la marche s’est imposée.
Ce qui n’a pas plu à Éric Ciotti, chef de file LR, qui a déclaré sur Twitter : « La famille Traoré a bravé l’interdiction de manifester à Paris, accompagnée par les factieux et dangereux députés de la Nupes. »

Boostée par les revendications criées haut et fort — « justice pour Adama », « Zied, Zineb, Bouna, Nahel et tous les autres », « liberté de manifester », « pas de justice pas de paix »… —, la foule (environ 2000 personnes) a emprunté le boulevard Magenta jusqu’au niveau de la gare de l’Est où les forces de l’ordre se tenaient, équipées, barrant la route, BRAV-M (Brigade de répression de l’action violente motorisée) bien visible, en position.

 

Assa Traoré
Assa Traoré prononce son discours du haut d’un abribus

La manifestation s’est arrêtée. Assa Traoré, du haut d’un abri bus, a tenu un discours poignant à la fin duquel elle a appelé les gens à rentrer chez eux dans le calme et la dignité : « nous avons sauvé l’honneur, le poing levé. », a-t-elle conclu avant de s’éclipser.

écouter le discours (son) :

 

 

extrait vidéo :

 

De l’huile sur le feu

Alors qu’organisateurs et participants quittaient le rassemblement dans le calme, des policiers ont pris à parti le comité « Vérité pour Adama », mais aussi des journalistes qui filmaient la scène et des personnes qui tentaient de s’opposer pacifiquement à l’arrestation du frère d’Assa Traoré, Yssoufou (voir vidéo).

Clément Lanot, reporter indépendant, rapporte sur Twitter (voir vidéo) : « Nous étions plusieurs journalistes à filmer une interpellation d’un membre du collectif “@la vérité pour Adama” quand la BRAV-M nous fait tomber au sol. Coup de bouclier pour @tremblay_p (Pierre Tremblay du HuffPost) Matériel cassé pour @FlorianPoitout (photographe). Ce n’est pas la première fois que nous sommes visés par la 31CI1 », décrit-il.

Samir, militant associatif, et Yssoufou ont été placés en garde à vue. Le frère d’Assa a été conduit à l’hôpital par les pompiers après un malaise au commissariat.
La garde à vue des deux hommes sera rapidement levée. « L’enquête se poursuit » pour Yssoufou Traoré, et Samir, le deuxième homme, est convoqué devant le délégué du procureur pour un avertissement pénal probatoire, indique le parquet de Paris2.
Son avocat, Me Yassine Bouzrou, a annoncé dimanche avoir déposé plainte pour violences volontaires. Le plaquage ventral que le jeune homme a subi lors de son interpellation lui a occasionné « une fracture du nez, un traumatisme crânien avec contusion oculaire, des contusions thoraciques, abdominales et lombaires révélatrices ».

Selon la préfecture de police de Paris, l’arrestation de Yssoufou était motivée pour des faits de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » qui se seraient déroulés en amont place de la République.

Le député Éric Cocquerel témoigne devant le commissariat où était retenu Yssoufou : « … J’étais au côté d’Assa place de la République, il n’y a pas eu la moindre violence, si ce n’est la volonté de pouvoir occuper la place pendant quelques minutes, le temps de montrer symboliquement qu’on n’acceptait pas cette interdiction… »

Assa Traoré dénonce un « guet-apens ». Les images de l’interpellation et du placage au sol ont « réveillé beaucoup de choses. Mon frère est mort exactement de la même façon », explique-t-elle.

Une procédure judiciaire est engagée à l’encontre de « l’organisatrice » du rassemblement, la préfecture de police estimant « le délit d’organisation d’une manifestation non déclarée » manifestement caractérisé. Un délit pour lequel le Code pénal prévoit une peine maximale de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.

Par ailleurs, une enquête a été ouverte à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) pour violences à l’encontre de trois journalistes.

Quant à la majorité, elle demande des sanctions à l’Assemblée contre les élus de la Nupes ayant participé à la marche. Si c’était le cas, ce serait une décision inédite, « une nouvelle pression, qui marquerait une nouvelle atteinte aux droits de l’opposition et plus largement aux droits du Parlement », précise le communiqué Nupes.

En effet, le règlement stipule que les sanctions administrés aux députés s’appliquent, jusque-là, pour des faits exercés à l’intérieur de l’hémicycle, ce que confirment des juristes, même si au sens de certains, il faut maintenir un lien minimal entre les comportements intérieurs et extérieurs à l’Assemblée. Mais est-ce illégal de participer à une manifestation non déclarée et interdite, du moins à celle-ci ? À la justice de trancher. Le risque réel de trouble à l’ordre public doit être prouvé. Selon l’avocat pénaliste Carbon de Cèze, aucun trouble n’est survenu si ce n’est celui lié à l’arrestation de Yssoufou Traoré Libération Checknews).

 

ONU, des déclarations malheureusement symboliques

La France a été rappelé à l’ordre par l’ONU à plusieurs reprises au sujet de l’usage excessif de la force lors des manifestations, des violences policières, des discriminations raciales et de la « réthorique criminalisante » envers les défenseurs de l’environnement et droits de l’homme.
Après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un tir de policier lors d’un contrôle routier le 27 juin dernier, Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, a déclaré à Genève : « C’est le moment pour le pays de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre », rappelant que ce n’est pas la première fois que celles-ci sont mises en cause.

 

Ibo-villiers-le-bel
Plus de trois ans après la mort d’Ibrahima Bah (Ibo) dans un accident de moto à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) à proximité d’une opération policière, trois fonctionnaires ont été placés sous le statut de témoin assisté pour « homicide involontaire ». À suivre…

 

Marches citoyennes contre les violences policières dans toute la France

Parallèlement, près de 100 syndicats, associations, collectifs et partis avaient appelé aux « marches citoyennes » contre les violences policières samedi dernier. « Ces révoltes qui ont secoué les quartiers populaires » depuis la mort de Nahel sont la résultante d’un « abandon de ces populations » et « de décennies de dérives d’une politique du maintien de l’ordre », expliquait entre autre le communiqué.

Plusieurs rassemblements contre les violences policières ont eu lieu dans toute la France, notamment à Marseille, Lille, Saint-Nazaire, Strasbourg et Angoulême où Alhoussein Camara, jeune guinéen de 19 ans, a été tué par un tir policier, le 14 juin à Saint-Yrieix, deux semaines avant le meurtre de Nahel.
La coordination nationale contre les violences policières appelle à une mobilisation large samedi 15 juillet à 15h, Place de la République à Paris (voir communiqué).

 

Lire aussi : À Montpellier une assemblée générale contre les violences policières appelle à se joindre à l’appel national du samedi 15 Juillet.

Mort de Nahel. Des auteur.e.s qui ne noient pas le poisson.

 

S.Touti

Notes:

  1. Les compagnies d’intervention ou CI sont, en France, des unités de police urbaines spécialisées dépendant de la préfecture de police de Paris et appartenant à la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC). Ils interviennent la plupart du temps sur les manifestations en formation BRAV (Brigade de répression de l’action violente), BRAV-L (légères), BRAV-N (nautique) ou BRAV-M (en moto) ce qui, à la différence du maintien de l’ordre classique, les rendent hautement plus mobiles afin de s’adapter rapidement aux mouvements des manifestants. Depuis le décret no 2009-898 du 24 juillet 2009, les CI sont également amenées à intervenir sur les trois départements limitrophes de Paris, dits « de la petite couronne », soit la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine. Ce sont sont des unités reconnues pour leur polyvalence, spécialement formées à la gestion de foules, à l’encadrement de grands événements et à la protection des institutions et des hautes personnalité. En outre, les CI doivent effectuer une formation stricte et continue afin de pouvoir faire face aux différentes missions à risque élevé, aux violences urbaines et autres cas de crises. Les agents bénéficient d’un important équipement comportant casque, protection corporelle, jambières, bouclier, bâton de défense souple ou tonfa. Lance-grenades « cougar », lanceur de balles de défense (LBD). Leur équipement est le même que celui des Compagnies républicaines de sécurité (CRS). Également, comme les CRS, les BAC et CSI/CDI, les équipages de CI peuvent être dotés de boucliers balistiques, de pistolets mitrailleurs ainsi que de fusils d’assaut permettant une réponse efficace en cas de tuerie de masse ou autre attaque à main armée.
  2. Source Le Monde
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