Radio France et la ville de Montpellier ont accueilli en fin de semaine dernière la 30e édition de la conférence annuelle de la COPEAM (Conférence Permanente de l’Audiovisuel Méditerranée) qui réunit les hauts dirigeants d’organismes de radiodiffusion publics, des opérateurs de l’audiovisuel et de la culture, et des personnalités d’institutions euro-méditerranéennes. Un évènement d’actualité qui nous pousse à reposer la question des liens entre politique et langage médiatique.
Cette année, les intervenants ont échangé sur le thème « Cultures digitales et nouveaux langages audiovisuels ». Une occasion d’aborder les évolutions majeures intervenues ces dernières années dans le domaine des médias, notamment celles liées à la création, l’exploitation et la consommation de contenus audiovisuels. Cette thématique a été l’occasion de mettre en lumière le nouveau paysage numérique, les langages émergents et l’appropriation des nouvelles formes de narration par les médias traditionnels, en particulier les médias publics. Les échanges qui se sont tenus à Montpellier ont permis d’approfondir un constat : l’arrivée de médias différents et notamment des réseaux sociaux qui, chacun, sont à la fois des espaces d’information, de création et de diffusion, bouscule les usages ordinaires et met les médias publics devant de grands défis.
« Dans le traitement éditorial les relations Nord-Sud ont été considérablement abimées ces dernières années », souligne Le secrétaire général de l’information du groupe Radio France Éric Valmir, « on parle beaucoup d’immigration mais on en parle souvent mal. L’idée c’est d’avoir des reporters qui puissent mieux parler de l’actualité méditerranéenne. Et pour cette actualité-là il faut être présent sur le terrain. Le numérique est une chose, la désinformation en est une autre, il n’y a que la présence sur le terrain de journalistes qui pourront porter les valeurs chères à la COPEAN ».
Fondé au Caire en 1996, le siège opérationnel de l’association a but non lucratif est basé à Rome, dans les bureaux de la RAI qui en assure le secrétariat général depuis sa fondation. L’association réunit aujourd’hui environ 60 associés et base son action sur une formule de coopération multilatérale qui vise à la valorisation et à l’échange de compétences. La COPEAM est engagée dans la formation (en particulier au journalisme) en mobilisant des jeunes professionnels provenant de médias des deux rives de la Méditerranée. Elle coordonne des coproductions internationales radiophoniques et télévisuelles et des actions de promotion du patrimoine audiovisuel euro-méditerranéen.
Mais peut-on vraiment s’en tenir aux échanges de compétences sans interroger les cadres publics dans lesquels ils s’exercent ? Aujourd’hui plus que jamais, s’interroger sur « l’actualité », sur la production de contenus audiovisuels et numériques, c’est questionner les liens entre langage et politique. De sa production à sa réception, de sa fabrication à sa consommation, il n’y a pas d’actualité qui ne soit prise dans un rapport de force entre l’univers du langage et le champ du politique.
Un risque que les choix techniques balaient les questionnements politiques
le 30e anniversaire de la Conférence marque trois décennies consacrées à la volonté de renforcer la coopération entre les médias de la région méditerranéenne et les relations Nord-Sud à travers activités et projets conjoints soutenus par l’UE.
Depuis sa création, l’idée de créer une chaîne euro-méditerranéenne a plusieurs fois été évoquée mais sans avancées suffisantes pour pouvoir aboutir. Lorsque l’on prend connaissance du comité de direction 2022-2024 — réunissant des télévisions et radio publiques françaises, croates, jordanienne, libanaise, égyptienne, palestinienne, roumaine, italienne, albanaise, espagnole, tunisienne et turque — on imagine que le tour de table d’un tel comité doit souvent produire des résonances difficilement démêlables. Il est ainsi à craindre que les débats et réflexions sur une coopération multilatérale euro-méditerranéene aboutissent à un « méditerranéisme » creux. On voit mal, du reste, comment l’Union européenne peut parvenir à avancer si elle se pense comme une actrice rassembleuse des médias publics de la Méditerranée.
Feuilleter l’album méditerranéen
À un moment où le souci de sa relation avec les pays méditerranéens s’impose de plus en plus à l’Europe sous les pressions nationalistes avec les drames quotidiens liés à l’immigration que l’on connaît, c’est l’idée méditerranéenne elle-même qui disparaît, sans bruit. À cet endroit, les pratiques communautaires des médias publics réunis au sein de la COPEAM pourraient trouver une nouvelle vocation. Il en va de même pour la défense de la liberté de la presse face à des pays comme L’Égypte, la Tunisie ou la Turquie, pour ne citer qu’eux, qui bâillonnent la presse. Une réflexion sur la liberté d’informer permettrait peut-être de réhabiliter la nuance et d’esquisser quelques voies pour sortir d’un univers d’une simplicité trop violente.
Certes, dans un contexte géopolitique où les relations Nord-Sud sont totalement bouleversées, la Méditerranée est désormais considérée comme l’épicentre d’une crise latente. Dans le même temps, elle apparaît comme un cadre géographique et conceptuel possible pour élaborer une réponse européenne à la menace, cadre dans lequel les médias ont un rôle majeur à jouer. La COPEAM, qui poursuit ses activités de coopération entre l’Europe et le monde arabe, se trouve en position privilégiée pour examiner l’apport spécifique de l’idée méditerranéenne à la progression des politiques extérieures de l’Union européenne, afin de comprendre et de faire savoir, de part et d’autre des rives, en quoi la Méditerranée est encore un horizon d’action fécond.
Jean-Marie Dinh
Voir aussi : Le programme de La 30e conférence copeam