Alors qu’il avait promis de ne pas autoriser de nouveaux forages pétroliers sur les terres fédérales, le président américain Joe Biden a donné son accord à un projet d’extraction controversé dans le nord de l’Alaska, malgré l’intense mobilisation des écologistes. Une décision qui illustre les paradoxes de la politique américaine en matière climatique.
Pour les défenseurs du climat aux États-Unis, c’est une trahison. Malgré la campagne acharnée menée par ces derniers contre le mégaprojet pétrolier Willow, dans le nord de l’Alaska, le président américain a donné son feu vert, lundi 13 mars, au géant du secteur ConocoPhillips pour procéder à plusieurs forages dans cette région particulièrement affectée par le réchauffement climatique.
Fustigé pour son impact catastrophique sur l’environnement, le projet est néanmoins soutenu par une partie de la population locale qui y voit une importante manne financière et des retombées bénéfiques en matière d’emplois. Tiraillé entre la défense des intérêts économiques et celle du climat, Joe Biden a finalement approuvé trois zones de forage contre les cinq initialement demandées par l’entreprise.
L’or noir de l’Arctique
La controverse autour du méga projet de forage dans l’Alaska débute en 2017. Suite à la découverte d’importants gisements de pétrole dans le nord-ouest de cet État, l’entreprise ConocoPhillips annonce un projet d’extraction ambitionnant d’atteindre jusqu’à 180 000 barils par jour. Problème, la zone en question, des terres fédérales qui portent l’appellation trompeuse de Réserve nationale de pétrole en Alaska, est en fait une vaste zone sauvage considérée comme un havre de paix pour la biodiversité et notamment les oiseaux migrateurs.
Elle se situe par ailleurs dans l’Arctique, frappée de plein fouet par les effets du dérèglement climatique. « L’Alaska s’est réchauffé deux fois plus vite que le reste du pays, ce qui a eu des répercussions considérables », alertent les chercheurs du programme fédéral Global Change Research (USGCRP) dans un rapport, citant en exemple la disparition d’espèces sauvages ou bien encore la recrudescence des incendies de forêt.
Bataille judiciaire
En 2020, le président Donald Trump avait donné son accord à l’entreprise ConocoPhillips pour trois sites de forage. Mais trois organisations de défense de l’environnement avaient saisi la justice, et obtenu en août 2021 l’interruption du projet au motif que son impact sur les ours polaires n’avait pas été correctement évalué.
Début février, le Bureau de gestion du territoire avait publié une nouvelle analyse environnementale du projet, privilégiant à nouveau l’option de trois sites de forage, finalement retenue par Joe Biden.
Durant la campagne, le président américain avait fustigé à de nombreuses reprises le climato-scepticisme de Donald Trump et promis de ne pas autoriser de nouveaux forages pétroliers sur les terres fédérales. Mais le projet de ConocoPhillips suscite un fort engouement en Alaska, en proie à d’importantes difficultés économiques et dont les revenus reposent en grande partie sur l’industrie pétrolière. Ses défenseurs insistent par ailleurs sur l’importance d’assurer l’indépendance énergétique du pays dans le contexte de crise provoqué par l’offensive russe en Ukraine.
« J’ai le sentiment que les habitants de l’Alaska ont été entendus », s’est félicité Mary Peltola, représentante démocrate de l’Alaska, lundi, suite à l’annonce de la décision. « L’État de l’Alaska ne peut pas porter seul le fardeau de la résolution des problèmes liés au réchauffement climatique. »
« Bombe climatique »
Pour faire passer la pilule auprès des défenseurs de l’environnement, le gouvernement américain a annoncé travailler sur des protections supplémentaires pour une vaste zone de la réserve nationale de pétrole. Il a également annoncé vouloir interdire de façon permanente les forages sur une grande zone de l’océan Arctique, bordant cette réserve.
Mais des ONG dénoncent les contradictions de la politique de Joe Biden, qui a promulgué en août un plan de 370 milliards d’euros pour la transition énergétique tout en poursuivant les investissements dans les énergies fossiles.
« Malgré le leadership historique du président en matière de climat, son héritage comprendra désormais l’approbation d’une bombe climatique qui garantira des décennies d’émissions de gaz à effet de serre alors que le monde devrait s’éloigner des combustibles fossiles », a déclaré Karlin Itchoak, directeur régional principal de la Wilderness Society pour l’Alaska.
« Willow est une effroyable trahison », fustige pour sa part la présidente du think tank The Climate Center, Ellie Cohen, estimant que le projet émettrait à lui seul 280 millions de tonnes de CO2 au cours des 30 prochaines années, soit l’équivalent de l’introduction de près de 2 millions de voitures neuves à essence par an.
Ces dernières semaines, une vague de vidéos d’opposition au projet avait notamment déferlé sur le réseau social TikTok, alors qu’une pétition en ligne a recueilli plus de 3,3 millions de signatures. Plusieurs organisations ont déjà laissé entendre envisager un nouveau recours en justice pour barrer la route au projet Willow.
Avec AFP