Députés et juristes planchent sur les initiatives qui pourraient contrer le passage en force du projet de réforme des retraites. Cet énième 49.3 met fortement la légitimité du gouvernement en question et déclenche la colère dans toute la France.
Amendements rejetés, tractations secrètes, refus de rencontrer les syndicats, 47.11 au Sénat, interdiction de diffusion de la commission paritaire et 49.3 sans vote à la Chambre des députés… Le gouvernement aura tout fait pour imposer sa loi retraites aux Français.se.s.
Les conditions de vote au Sénat, mais aussi le 49.3 dégainé à l’Assemblée nationale sont considérés par la majeure partie de l’opposition comme une volonté de museler le Parlement. Plusieurs groupes d’opposition des deux chambres ont donc décidé de saisir le Conseil constitutionnel pour défaut de procédure. Deux motions de censure dans le but de renverser le gouvernement seront également votées lundi prochain à l’Assemblée nationale. L’organisation d’un référendum populaire, à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, comme le prévoit l’article 11 de la Constitution depuis 2008, est également évoquée.
Dans une interview accordée à franceinfo, Dominique Rousseau, juriste et professeur de droit constitutionnel, explique que cette loi a de forts risques d’inconstitutionnalité. Si l’on se réfère à l’article 47 de la Constitution, « le principe de sincérité et de clarté des débats parlementaires n’a pas été respecté ». D’un point de vue juridique, il s’agit bien d’un déni de démocratie parlementaire. La majorité s’est construite grâce à l’alliance LR/Renaissance. Malgré sa fragilité, il y avait une majorité, on l’a vu au Sénat et à la Commission paritaire, explique Dominique Rousseau. L’utilisation de l’article 49.3 a donc stoppé le débat parlementaire. Le Conseil constitutionnel pourrait donc invalider tout ou partie du texte.
Il existe des précédents : en 1979, le Conseil avait censuré pour des raisons de procédure la loi finances et en 2012 la loi Dufflot dans leurs totalités. L’examen par les sages devrait prendre un mois, sauf si le gouvernement demande une procédure d’urgence. Les juges auraient alors huit jours pour rendre leur jugement suivi ou non d’une promulgation de la loi. Ce qui sera voté à l’Assemblée, lundi prochain, n’est pas le texte de la « réforme » des retraites, comme pourraient le faire croire les déclarations de l’exécutif, mais seulement la continuité ou non du gouvernement Macron, dont la légitimité est fortement remise en question.
Deux motions de censure ont été déposées, une par le RN et l’autre par les centristes du Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). La motion « transpartisane » du Liot contre le gouvernement a été validée par la Nupes, vendredi 17 mars : « La décision de faire adopter sans vote la réforme des retraites, via l’article 49.3 de la Constitution est l’apogée d’un déni de démocratie inacceptable dans sa constance et son mépris de nos institutions et de nos corps sociaux », dit le texte. L’enjeu est certes de taille. Mais la motion de censure des centristes a peu de chance de passer. En effet, il faudrait pour ce faire un vote majoritaire des membres présents à l’Assemblée, puis, à la suite, une éventuelle démission du gouvernement. Les députés LR ne sont pas signataires, certains pourraient la voter mais il faudrait au moins 30 votes sur les 61 du groupe. Et les voix du Modem, qui ne souhaite peut-être pas que le gouvernement tombe, ne sont pas non plus acquises.
Autre initiative à laquelle sont favorables les syndicats, l’organisation d’une consultation populaire (RIP – référendum d’initiative partagée) qui devra en premier lieu être validée par le Conseil constitutionnel, puis soutenue par 4,87 millions de personnes dans un délai de neuf mois. La mise en place de cette consultation est problématique en terme d’organisation (plate-forme et base de données fiables), mais surtout de calendrier. Car le temps est compté et le Rip doit être déclenché avant la promulgation de la loi pour respecter la Constitution.
Alors que des députés de l’opposition planchent sur la manière de contrer la réforme, ce déni de démocratie, qui fait en outre place belle à l’extrême-droite, choque fortement une grande partie des Français.se.s, très majoritairement opposé.e.s à la loi sur les retraites.
Dans le contexte d’inflation, de crise sociale et environnementale, l’utilisation du 49.3 est ressentie comme un profond mépris. Elle est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Le contentieux entre l’Etat et les citoyens est lourd. Depuis le début du mandat du Président, les revendications du pays ne sont pas prises en compte pour la fabrication des lois (Lois travail, sécurité, fiscalité, assurance chômage, éducation, santé, environnement…). « Le gouvernement, élu grâce à nos votes pour contrer l’extrême-droite, a oublié ses promesses d’obligation », expriment d’autres personnes rencontrées lors des rassemblements.
Depuis l’annonce du passage en force, les manifestations spontanées ont lieu dans tout le pays, les grèves et les blocages se durcissent, les jeunes se mobilisent nombreux. Le 16 mars, face à la Chambre des députés, la place de la Concorde, encerclée par les forces de l’ordre, se remplit. Les gens discutent, le visage fermé, la colère est forte. La détermination à continuer la lutte est affirmée.
Juste avant que les forces de l’ordre chargent pour dégager la place immense qui se noircit de monde, des jeunes nous confient : « Il n’y a plus rien à perdre. Quel mépris, quelle violence ! Des mois que nous manifestons pacifiquement pour rien, nous sommes face à un mur, ce n’est plus supportable. Où est la démocratie ? Quelle alternative reste-t-il dans ce pays pour se faire entendre, si ce n’est résister ? »
La France ne décolère pas. Ces derniers jours, les actions de blocage, de soutien aux grévistes et les manifestations spontanées se multiplient. On voit de plus en plus de manifestants déterminés, pacifistes ou non, prendre des risques et se tenir sans peur face aux forces de l’ordre qui gazent, matraquent, menottent et interpellent. La responsabilité du gouvernement, quant aux conséquences de ce passage en force, est clairement engagée. L’exécutif mise sur une retombée prochaine de la colère — à quel prix ? — et annonce froidement continuer à suivre la feuille de route qu’il s’est fixé (Loi Olympiques (actuellement à l’Assemblée, art.7 sur l’utilisation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA)), éducation, contrôle de l’immigration…).
Dominique Rousseau souligne le décrochage entre les idées du pays et les institutions. Le gouvernement n’a plus de majorité pour faire passer ses textes. Mercredi dernier un projet de loi qui visait à faire fusionner deux autorités indépendantes sur les questions nucléaires a été retoqué : « Autrement dit, le gouvernement n’a plus la majorité, il ne peut plus gouverner. » Le juriste affirme, mais avec quelques précautions, que la Constitution possède les instruments pour affronter cette crise. Elle « a permis de surmonter la guerre d’Algérie, Mai-68, le départ du général de Gaulle, la cohabitation, la gauche au pouvoir, etc. […] Pour éviter les débordements, les violences, il faut à un moment donné soit faire un référendum, soit dissoudre » l’Assemblée nationale.
Quelle sera la décision du Conseil constitutionnel ? A suivre.
Texte mis à jour le 21/03/2023.
Sasha Verlei
Notes:
- Un projet ou une proposition de loi fait des allers-retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Le texte reste en séance, et ce, jusqu’à ce qu’il soit adopté ou rejeté. Grâce à l’article 47.1, le gouvernement a la possibilité de raccourcir la durée des débats en imposant des délais aux deux chambres : 20 jours pour l’Assemblée nationale, 15 jours pour le Sénat, le temps global (du dépôt du texte jusqu’à son adoption définitive) ne pouvant excéder 50 jours.