Après l’étalage des différends, la tentative de relance : Emmanuel Macron reçoit Olaf Scholz dimanche à Paris pour afficher une certaine unité retrouvée, à l’occasion du 60e anniversaire solennel du traité de réconciliation entre l’Allemagne et la France.
Après une cérémonie à la Sorbonne à 11h00 (10h00 GMT), le président français et le chancelier allemand réuniront à la mi-journée à l’Élysée un conseil des ministres franco-allemand.
En octobre, ce rendez-vous annuel avait dû être reporté en raison de dissensions sur une série de sujets-clés, de l’énergie à la défense. Résultat, la rencontre entre les deux premières puissances de l’Union européenne sera cette fois scrutée de près pour déceler leur degré d’entente.
La date des retrouvailles est hautement symbolique : soixante ans jour pour jour après la signature du Traité de l’Élysée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer1, qui « a marqué la fin de décennies, si ce n’est de siècles, de rivalités féroces et de guerres sanglantes », écrivent les deux dirigeants dans une tribune publiée par le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung et le Journal du dimanche.
Alors que la guerre a fait son retour sur le continent depuis onze mois, Olaf Scholz et Emmanuel Macron ont affirmé leur volonté que « l’Europe devienne encore davantage souveraine », en investissant plus dans la défense et en se dotant « d’une stratégie de renforcement de la compétitivité industrielle européenne ».
La France met en garde contre une « désindustrialisation » si l’UE ne riposte pas de manière musclée, avec un financement conséquent, au plan massif américain de subventions en matière d’énergies renouvelables, l’Inflation Reduction Act (IRA).
À l’unisson avec le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez jeudi à Barcelone, le président français espère rallier le chancelier allemand à sa cause. Une source gouvernementale allemande prédit « un accord », « même si les points de départ sont différents ».
« Pas un amour romantique »
Les deux voisins doivent également tenter de s’accorder sur les réformes européennes pour endiguer l’envolée des prix de l’énergie liée notamment à la guerre en Ukraine, et mettre en avant des projets communs en matière d’innovation. Un billet de train destiné à favoriser les voyages des jeunes entre les deux pays va par ailleurs être lancé.
En matière de défense, si le Système de combat aérien futur (SCAF) a fait des progrès récemment, la défense antimissile reste une pierre d’achoppement : Berlin promeut un projet de bouclier comprenant une composante israélienne auquel veulent se joindre 14 pays européens, alors que Paris travaille sur son propre système, avec l’Italie, au nom de « l’autonomie stratégique » de l’Europe.
Les deux dirigeants pourraient discuter de l’opportunité d’envoyer des chars lourds à Kiev — qui bute sur les réticences de Berlin à livrer ses tanks Leopard.
« Soyons à l’initiative », a lancé samedi sur Twitter le député du parti présidentiel français Benjamin Haddad, prônant l’envoi par la France d’un « nombre limité de chars Leclerc pour créer une dynamique ».
De quoi donner du grain à moudre aux observateurs qui raillaient la panne du moteur franco-allemand, souvent jugé indispensable aux avancées de l’UE ?
À l’Élysée comme à la chancellerie, on se refuse en tout cas à dramatiser la crise au sein du tandem.
Une source diplomatique française relève que le gouvernement s’abstient désormais de parler de « couple » franco-allemand, un terme dans un registre trop affectif. « Ce n’est pas un amour romantique mais une vraie responsabilité politique », abonde-t-on de source diplomatique allemande.
C’est donc avec réalisme que les deux alliés abordent cette nouvelle phase, même si un parfum d’incompréhension flotte entre eux depuis qu’Olaf Scholz a succédé à Angela Merkel fin 2021, chacun s’agaçant des initiatives prises par l’autre sans consultation préalable.
Le chancelier et le président affichent des tempéraments aux antipodes, qui compliquent cette relation particulière où les liens personnels font souvent la différence.
« Pour les Allemands, Macron est un Français tel qu’ils les imaginent, il parle énormément, aime le verbe », relève Maurice Gourdault-Montagne, conseiller diplomatique de Jacques Chirac en 2002-2007.
« Scholz est à première vue un homme froid, c’est comme si cela lui faisait de la peine de devoir parler, il réfléchit trois fois avant d’agir », dit pour sa part Joachim Bitterlich, conseiller du chancelier Helmut Kohl de 1987 à 1998.
Source AFP
Notes:
- Traité bilatéral entre la République fédérale d’Allemagne et la République française signé au palais de l’Élysée le 22 janvier 1963 par le chancelier allemand, Konrad Adenauer, et le président français, Charles de Gaulle. Il définit le cadre d’une coopération entre l’Allemagne et la France dans les domaines des relations internationales, de la défense et de l’éducation. Ce traité entérine la relation de confiance et d’amitié qui s’est instaurée entre les anciens « ennemis héréditaires », à peine dix ans après le début de la réconciliation, amorcée par la déclaration Schuman de 1950 et jalonnée par la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1951) et de la Communauté économique européenne (1957). L’objectif principal du traité pour de Gaulle, au-delà d’une alliance franco-allemande étroite, est de construire un bloc européen indépendant à la fois des États-Unis et de l’Union soviétique, dans un contexte de guerre froide. En effet, il s’agissait d’éloigner la RFA, et les autres pays de l’Europe des Six, de leur protecteur américain pour les rapprocher de la France, une protectrice alternative disposant de sa propre force de dissuasion nucléaire.