Alors que l’affaire de la petite Lola1 a fait connaître aux ennemis des migrants et aux autres les quatre lettres OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), dont le durcissement des conditions est proposé par le ministre de l’Intérieur, un jeune musicien malien “intégré et sans histoire” vient d’être frappé d’une telle mesure à Avignon. Ses amis et la municipalité se mobilisent.


 

Boubacar Kone est arrivé en France, du Mali, pour se faire soigner d’une maladie qui le handicape, en 2014. À son arrivée il est hébergé par un oncle mais doit partir. Reçu par le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) à Avignon dès novembre 2014, il sera suivi par l’association jusqu’en 2015 pour l’aider notamment à régulariser son séjour.

« J’ai commencé à travailler un peu dans les vignes, et j’ai fait ma première demande de régularisation en tant qu’étranger malade en 2016. cette demande m’a été refusée, assortie d’une OQTF. »

Rétention et OQTF

Puis, pendant 13 mois, il travaille dans un restaurant sur le quartier d’Agroparc. « Là, j’étais en CDI de juin 2016 à juillet 2017. La police est venue me chercher au boulot en 2017. Je me suis d’abord retrouvé en garde à vue à Avignon puis en rétention à Nîmes. Le juge des libertés m’a remis en liberté considérant que la garde à vue n’était pas régulière. J’ai ensuite été reconvoqué à Nîmes avec mon patron, et là le juge a donné raison à la préfecture sachant pourtant que mon expulsion n’était pas applicable, selon ses dires. Mon patron a alors fait une demande auprès de la Dirrecte (Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi)2 pour que je puisse travailler avec lui, un refus lui a été signifié du fait que je ne travaillais pas assez d’heures chez lui. »

La maire d’Avignon, Cécile Helle, prendra fait et cause pour lui en écrivant la même année au ministre de l’Intérieur afin d’obtenir sa régularisation.

Première carte de séjour en 2019

Il fait une troisième demande de régularisation, arguant cette fois de sa maladie chronique, et c’est ainsi qu’il obtient une première carte de séjour en janvier 2019. « J’ai commencé à travailler au centre de tri de Vedène pendant huit mois. Mais j’avais un concert à préparer et ça s’est mal passé avec l’employeur. J’ai dû alors reprendre du service comme chauffeur livreur de fruits et légumes pour une société de Rognonas. Et là, ce fut le coup d’arrêt du Covid. En mai, j’ai pu reprendre le travail, puis ai été opéré de ma jambe, avec six mois de convalescence. »

Le jeune homme profite alors de ce repos forcé pour entamer une formation en vue d’obtenir le permis de transport en commun. « J’ai finalement obtenu le permis en mars 2021 et j’ai commencé à bosser comme chauffeur de bus chez Transdev en avril. »

Sa première carte de séjour d’un an est renouvelée une première fois, puis une deuxième en deux fois six mois. « J’attendais pour 2022 le troisième renouvellement puisque, jusqu’ici, on m’avait toujours renouvelé avec un contrat de travail. Et là, alors que je viens d’obtenir un CDI, on me dit que je ne serai pas régularisé, n’ayant pas le droit de travailler. On ne m’avait jamais demandé d’autorisation de travail jusque-là. J’ai pourtant, à chaque demande de renouvellement, fourni une copie de mon contrat de travail. J’ai un contrat légal, je cotise. »

Renouvellement refusé et prière de quitter la France

La tuile, c’est la décision qu’il reçoit en octobre dernier, suite à sa dernière demande de renouvellement de carte de séjour. Un refus — argumenté par le fait qu’il n’aurait pas le droit de travailler et ses demandes pour étranger malade — assorti d’une OQTF. Bouba a vu un avocat qui a déposé un recours, et ne comprend pas cette décision : « je suis intégré, j’ai un bon salaire, un CDI… ce qui me rend triste, ce serait de perdre cette vie que j’ai réussi à mettre en place. Je suis autonome. »

Son parcours de vie lui a inspiré des textes. Après une premier morceau intitulé Rester positif, c’est un album complet que le musicien a composé. « En tant que musicien, je suis officiellement soutenu par la ville d’Avignon qui m’a même aidé à préparer mon concert. J’attendais ce renouvellement avec impatience pour préparer un nouveau concert, avec un collectif de musiciens. »

Si le recours fonctionne, il sera suspensif3. En attendant, les amis de Bouba Kone résistant veulent garder leur ami ici, et l’entendre jouer bientôt.

Christophe Coffinier

 

Notes:

  1. La principale suspect du meurtre de Lola (âgée de 12 ans), est une femme sans domicile fixe âgée de 24 ans (au moment des faits), née en Algérie (alors en proie à une violente guerre civile), qui se trouve depuis 2019, soit 3 années avant le drame, en situation irrégulière sur le territoire français ; elle n’a pas d’antécédent judiciaire. Elle est connue des services de police uniquement comme victime de violences conjugales. L’affaire est exploitée par la droite et l’extrême droite qui tentent de la récupérer pour faire passer leurs idées en matière d’immigration, dénonçant à cette occasion la non-exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF).
  2. La DIRRECTE est placée auprès du Préfet de région, pour assurer le pilotage coordonné des politiques publiques du développement économique, de l’emploi, du travail et de la protection des consommateurs.
  3. Voies de recours dont le délai d’exercice ou l’exercice par une partie empêche l’autre de poursuivre l’exécution forcée du jugement.
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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.