Maïne, qui vit en France, accompagne avec sa famille le cercueil de son père pour qu’il soit enterré dans son village au Maroc. Le lendemain, seuls les hommes pourront assister à l’inhumation.


 

Le court-métrage franco-marocain de la jeune réalisatrice Jawahine Zentar traite en 24 mn d’un sujet difficile et quelque peu tabou dans les pays musulmans : l’interdiction majoritairement appliquée aux femmes d’accompagner lors de l’enterrement, ou du moins l’obligation de se tenir dans le cimetière à l’arrière-plan, sans pouvoir s’approcher du cercueil avant les dernières prières et la mise en terre.

Pourtant, le Coran ne se prononce par sur le sujet. En se basant sur un Hadith1, certaines écoles déconseillent aux femmes d’y participer : elles  sont considérées comme des êtres fragiles, qui expriment leur douleur parfois bruyamment et qui pourraient perturber, par le « risque de tentation lié à leur jeunesse ou leur beauté », ce jour de recueillement et de prières. Elles dérangent, sont donc écartées et figurent à l’arrière-plan, sans qu’il ne leur soit possible de s’imposer.

 

D’ici et d’ailleurs

 

Cet état de fait est considéré comme normal pour les hommes et les femmes du fait de l’éducation qu’on leur a inculquée. Et si certaines ressentent mal cette interdiction, il leur est difficile de s’y opposer, par respect pour l’âme du mort, par peur du « qu’en dira-t-on », mais aussi par soumission. Les femmes sont parfois les meilleures gardiennes de leur prison. En se pliant aux traditions patriarcales, fatalistes, elles mettent fin à toute discussion par un « c’est ainsi, ça l’a toujours été » ou par un « mesquina (ma pauvre), tu viens d’ailleurs », qui sous-entend « tu ne peux pas comprendre ».

Pourtant, aucune ne pourra faire complètement son deuil. Ces femmes garderont à vie une blessure. Mais aussi le sentiment, ici livré, souvent tu, d’avoir été méprisées, humiliées, rejetées en ce moment de douleur intense, quand la mort nous enlève un être cher. La jeune Maïne, élevée en France, ne peut comprendre cette injustice majeure. Les mots que lui renvoie son entourage, voisines et femmes de la famille, dont ceux de sa propre mère, sont durs, impossibles à accepter. Elle découvre, entravée dans son désir si légitime d’accompagner son père aimé à sa dernière demeure, la difficile condition de la femme et se révolte.

La veille de l’enterrement, Maïne se tient debout, dans la grande pièce où les hommes réunis dînent de leur côté. Elle se glisse contre le poteau et observe, quand soudain des bras féminins la soulèvent pour la remettre à sa place. « J’irai demain », assène-t-elle. Focus sur le visage triste et les larmes de la jeune femme, les hommes prient, évoluent à part ne faisant preuve d’aucune agressivité car les femmes savent gérer les écarts et veiller sur leur tranquillité. Le lendemain, Maïne tentera de se glisser au milieu des hommes, rabattant la capuche de la djellaba sur sa tête, serrant fort la main complice de son petit frère, priant pour ne pas être découverte. Tout le long, la jeune fille est digne. De rage, elle va s’attaquer à ses beaux cheveux, les tailler violemment, rejetant cette féminité qui l’empêche d’être libre. Pourquoi ne suis-je pas née homme, pourquoi n’ai-je pas les mêmes droits ?

On se plonge dans l’ambiance grâce aux cadrages serrés sur les visages empreints de tristesse, les yeux remplis d’impuissance de l’adolescente. Les couleurs floues, les chuchotements, les pas feutrés, les ombres qui glissent au côté du cercueil semblent traduire le recueillement, mais également l’effacement de ces femmes. Puis, ce plan plus large nous projette dans la beauté des paysages immenses, du ciel lumineux où se fondent les nuages, lorsque mère et filles se retrouvent alignées face à l’horizon ; cet espace infini, chargé d’espoir, que nous rêvons ouvert sur la liberté et le changement, semble infiniment loin. Alors, Maïne ramasse une poignée de la terre du pays de son père, qui est aussi le sien, et se met à courir.

Le film de Jawahine Zentar, fier et courageux, présenté dans le cadre du panorama courts métrages, nous fait découvrir une jeune réalisatrice-scénariste talentueuse qui a toute sa place autant dans la compétition de Cinemed que dans l’univers du cinéma.

Sasha Verlei


 

 

 

Sur la tombe de mon père
Production : Fabrice Préel-Cléach, Emmanuelle Latourrette, Saïd Hamich Benlarbi
Scénario : Jawahine Zentar
Images : Chloé Terren
Montage : Yannis Polinacci
Musique : Amine Bouhafa
Son : Maël Desreumaux, Emmanuel Bonnat
Interprète(s) : Yasmine Kéfil, Sonia Bendhaou, Adam Ouadah, Maya Racha
Décor : Aziz Hamichi

 

Jawahine Zentar, réalisatrice
« Après des études de management, Jawahine Zentar débute au cinéma comme Assistante mise en scène, accompagnant des réalisateurs et réalisatrices sur les plateaux pendant 10 ans. Sur la tombe de mon père, largement autobiographique, est son premier film à l’écriture et à la réalisation. D’autres projets de courts et de longs sont actuellement en développement ».

Notes:

  1. Les hadiths sont les recueils de tous les dires, faits et gestes du prophète Mohamed et constituent avec le Coran le socle théologique et législatif de l’islam. Ils apportent des détails précis sur la façon de faire tous les actes islamiques (prières, vêtements, pèlerinage, etc) et sont à la base de la charia, la loi islamique.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.