Écrit et réalisé par la cinéaste Alauda Ruíz de Azúa et en compétition dans la catégorie Longs métrages, Lullaby, ou Cinco lobitos pour le titre original espagnol, nom de petite comptine transmise de génération en génération, questionne les places des femmes et des hommes au sein de la cellule familiale.
La femme méditerranéenne, dans l’imaginaire collectif et dans la pratique, c’est le pilier de la famille. Elle élève ses enfants avec force et courage, tient la maison en y assurant hygiène et ordre, nourrit mari et enfants toute en abnégation puisque tout repose sur son inlassable énergie. Voilà donc la vie qui attend l’héroïne de Lullaby, Amaia, rédactrice aux nombreuses compétences linguistiques et fraîchement maman d’une petite fille incarnée par l’actrice à la trogne toute en émotion, Laia Costa, repérée dans la série espagnole d’Isabel Coixet, Foodie love. Rentré de la maternité et aidé par les parents d’Amaia venus pour l’occasion habiter quelques jours dans le petit appartement, le nouveau cocon familial se forme avec amour, mais aussi angoisses naissantes et maladresses. Surtout lorsque que le compagnon d’Amaia, Javi, créateur lumière dans le monde du théâtre, est sollicité pour une mission de 3 semaines, délaissant ses obligations familiales au profit du revenu financier… Et de sa carrière.
Livrée à elle-même, la jeune mère montre des tentatives de renouer elle aussi illico avec une vie professionnelle carriériste, mais ne s’en sort pas. Après que sa petite Jone tombe du canapé pendant qu’elle prend un appel professionnel, retour au domicile parental du littoral basque pour trouver réconfort et aide auprès de ses parents, ou plutôt de Begoñia, matriarche interprétée avec brio par Susi Sánchez, aussi raide que tendre qui gère depuis toujours sa maison au cordeau. Retour au domicile d’enfance, soit, mais sous un statut et un angle de vue bien différents, surtout quand Begoña tombe malade, incapable dorénavant d’assurer son rôle de gestionnaire du quotidien : celui de la mère qui endosse une vie au service de la famille.
Voilà tout le propos du long métrage, dénoncer la charge mentale ménagère à laquelle sont vouées des générations de femmes qui gardent jalousement un pouvoir aussi grand que destructeur et laisse, consciemment ou inconsciemment, les hommes hors de tout pouvoir d’agir, dans un flou indéfini. Un cadeau empoisonné, voire une malédiction transmise de mère en fille comme en témoigne la réplique de Begoña suite à la plainte de douleur infligée par les points de suture de sa fille : « Ça va, des points de suture on en a toutes eus ! ». Un film qui entend rompre avec les traditions, plus d’actualité que jamais, à voir ce jeudi 27 octobre à 16h, salle Pasteur au Corum.
Alice Beguet