Vivre avec les sangliers :

Immersion dans le quotidien des habitants

Des Sangliers et des hommes épisode 2

 


La mobilisation des habitants concernant la gestion de la faune sauvage en ville questionne leurs représentations du cadre de vie périurbain. Faut-il cohabiter avec les sangliers ?


 

La mobilité résidentielle des citadins vers les limites de l’aire périurbaine s’est accélérée depuis une vingtaine d’années, notamment à Bordeaux et Périgueux. Ce phénomène induit une transformation des modes de vie et des représentations de l’espace vécu. Parallèlement, les sangliers investissent les marges des villes et vivent dans les friches, les parcs industriels, les bois et les vignes, où ils s’adaptent à une habitat densifié et à la présence du trafic routier.

Les habitants rencontrés dans des parcs en ville ou des espaces naturels périurbains font preuve d’une sensibilité et développent un discours sur leur environnement. Près de Bordeaux, ils sont confrontés à un bassin urbain parsemé d’îlots de vignobles ou d’espaces naturels, tandis que dans les communes limitrophes de Périgueux, les habitants vivent dans des îlots d’habitations au milieu d’espaces forestiers. Malgré cette apparente disparité paysagère, en tant qu’usagers d’origine citadine, leurs représentations de la grande faune sauvage sont assez similaires.

 

« Plus on restreint leur cadre de vie, obligatoirement ils vont investir notre cadre de vie, je pense que tout le monde en est conscient. »

(Anne, Périgueux)

 

Le quotidien des personnes rencontrées est d’abord marqué par une séparation entre le domicile, le quartier, et l’ensemble de la ville. La présence des sangliers dans l’espace domestique (jardin du domicile) ou dans les rues est connotée négativement, alors que leur présence dans les forêts et parcs du quartier et de la ville est acceptée en tant que lieux de vie sauvage que les humains se sont appropriés. Cette séparation spatiale et symbolique produit des échelles de représentations distinctes (Bromberger, 1987), et elle permet aux habitants de combiner une volonté de réguler les sangliers près du domicile tout en préservant la biodiversité en ville.

Les personnes rencontrées distinguent également les espèces végétales ou les petits mammifères et la grande faune (ongulés, cervidés). Les premiers participent à la définition du cadre de vie périurbain recherché et il est donc possible de cohabiter, tandis que les seconds sont représentatifs d’un imaginaire rural, forestier ou montagnard, opposé à la vie urbaine. Il s’agit alors pour les usagers de séparer deux espaces (notamment les zones boisées et des zones habitées) par une frontière que ni les humains, ni les animaux ne doivent franchir.

Dès lors, ces représentations des interactions avec les animaux participent à la définition d’une culture de l’habiter périurbaine. L’idéal d’un cadre de vie en contact avec la flore et la petite faune (arbres, fleurs, écureuils, oiseaux, etc.) conduit les habitants à rejeter toute forme d’expansion urbaine qui vient perturber cet écosystème de leur quartier. La végétalisation urbaine est donc encouragée, tandis que la régulation de la grande faune semble nécessaire afin d’éviter les accidents routiers et les dégâts dans les champs et jardins.

 

« Si on commence à laisser les chasseurs venir ici et tirer sur tout ce qui bouge… Ça doit être limité, ils ne doivent pas s’approcher des villes trop près ! »

(Michel, Périgueux)

 

Par ailleurs, pour défendre cette frontière établie entre humains et grande faune sauvage, les habitants investissent les chasseurs d’un rôle de gardiens à la lisière entre les réserves sauvages boisées et les zones habitées, mais sans pénétrer dans l’un ou l’autre. Or, les chasseurs suivent les sangliers qui, mobiles, ne connaissent pas ces frontières1. Des conflits éclatent entre chasseurs et habitants, car ces derniers rejettent la présence des chasseurs près des espaces résidentiels. Les scientifiques de toutes les disciplines, par leur compréhension globale de ces transformations sociales, détiennent donc souvent les clés d’un dialogue renoué entre ces acteurs.

Zoé OLIVER

 

Le premier volet de cette série est paru dans altermidi Mag#5 aout sep oct 2022

Notes:

  1. Mathevet, R., Bondon, R., Mounet, C., Chamaille-Jammes, S., 2021. « Passer les limites, rythmer le territoire. Paysage et mobilité du sanglier en Valbonnais (Isère, France) », Géocarrefour, vol.95 n°4 [En ligne].
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