Manque de représentativité, de cohérence, de moyens, réglementation trop diverse ou trop permissive, gouvernance, gestion : il y a encore beaucoup à faire, d’après les scientifiques, pour améliorer l’efficacité des aires marines protégées, aussi en Méditerranée.
Les 1062 aires marines protégées (AMP) de la mer Méditerranée recouvrent plus de 6 % du bassin méditerranéen. Mais une équipe de recherche dirigée par le CNRS en 20201 a montré que 95 % de la surface de ces aires est dépourvue de réglementations suffisantes pour réduire les impacts humains sur la biodiversité : « Inégalement réparties entre les frontières politiques et les écorégions, les aires marines protégées ayant des niveaux efficaces de protection ne représentent que 0,23 % du bassin méditerranéen. » Les efforts actuels sont « insuffisants pour gérer les activités humaines en mer Méditerranée et les niveaux de protection devraient être augmentés pour une réelle conservation de la biodiversité marine. »
En 2008, le rapport « Statut des Aires Marines Protégées en Mer Méditerranée » réalisé conjointement par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), WWF (en anglais World Wildlife Fund ou Fond mondial pour la nature) et MedPAN (en anglais Mediterranean Protected Areas Network ou Réseau des gestionnaires d’Aires Marines Protégées en Méditerranée), précise que les AMP méditerranéennes ne représentent pas totalement les habitats de la région. Le document explique que les aires marines protégées « sont menacées par des pressions externes importantes tant au niveau local, que régional et global », qu’elles sont affectées « par des menaces anthropiques multiples, provenant des espaces terrestres et marins adjacents ou proches, qui peuvent influencer leur efficacité (mouillages, plantes invasives, surpêche, pollutions diverses, changements de la composition de végétaux ou d’animaux dus au changement climatique, urbanisation ou constructions artificielles) », la distance les séparant étant trop importante pour garantir la connectivité de l’écosystème.
Pour renverser la tendance, le rapport soulignait déjà la nécessité de créer de nouvelles aires marines, en haute mer et dans les mers profondes.
Méditerranée : des parcs de papiers
Giuseppe Notarbartolo di Sciara, coordinateur régional CMAP (Commission mondiale des aires protégées)-Région Marine Méditerranée et Mer Noire, souligne dans la préface du rapport les lacunes méditerranéennes en termes de gestion ainsi que la nécessité d’échanger entre réseaux, notamment pour résoudre les questions de gouvernance : « Les AMP méditerranéennes fonctionnent toutes en tant qu’entités séparées, et aucun réseau fonctionnel n’est encore apparu à l’horizon. Plus de la moitié des AMP de la région n’a pas adopté de plan de gestion — la plupart d’entre elles parce qu’aucun organisme de gestion n’a été nommé. Cela signifie que plus de la moitié des AMP méditerranéennes pourraient être considérées comme des “parcs de papier” [ …]. Plus important, la protection marine efficace dans toute la Méditerranée est encore soumise à l’hétérogénéité de la gouvernance de la région, des structures institutionnelles, de la répartition des richesses, du capital social et de la connaissance de l’environnement. » Le scientifique italien préconise une évaluation des acquis et des besoins en connaissances pour le bassin tout entier, de nouvelles AMP pour compléter celles qui existent et la création de réseaux écologiquement et géographiquement équilibrés.
Une réglementation le plus souvent nationale
La Commission européenne engage chaque État membre possédant une façade littorale à désigner un réseau cohérent et suffisant d’habitats naturels d’intérêt communautaire, à définir et recenser les habitats et espèces d’importance communautaire, à proposer des mesures de gestion en prenant en compte des exigences économiques, culturelles et sociales. Mais les directives européennes ne donnent aucune précision au sujet de la gestion des AMP. Les États membres ont donc demandé à appliquer leur propre plan : le plus couramment, chaque État applique sa législation nationale (ou selon un traité international selon la zone où se situe l’aire marine) et est libre de ses méthodologies pour désigner les sites sur des bases de données scientifiques qui seront validés par l’UE.
Les États se doivent de respecter les conventions et accords européens ou internationaux auxquels ils ont adhéré. « Les ONG et associations peuvent intenter des recours en droit communautaire en cas de litige, mais il existe de multiples possibilités de déroger », souligne Camille Mazé, chercheuse du CNRS au laboratoire Littoral, environnement et sociétés.
Statuts et gouvernance
En France, la politique de création et de gestion d’aires marines protégées est mise en œuvre par l’Office français de la biodiversité (OFB), établissement public sous tutelle du ministère de la Transition écologique.
Le réseau Natura 2000, ensemble de sites naturels terrestres et marins de l’Union européenne qui vise à préserver les espèces et les habitats particulièrement menacés, est le référent technique national. « Il y a plusieurs statuts d’aires marines protégées (parcs naturels, parcs naturels marins, site Natura 2000, qui chevauchent certaines AMP) et plusieurs types de gouvernance, explique Camille Mazé, la réglementation varie selon les régions, mais aussi selon la composition des conseils de gestion. »
Selon la chercheuse, les parcs naturels marins, qui fonctionnent avec un conseil de gestion englobant l’ensemble des acteurs d’un espace maritime, sont les plus participatifs : « les décisions sont prises en confrontant ce que l’on connaît de la science, ce que dit l’écologie de l’état de l’écosystème et comment les différentes parties à l’intérieur de ce conseil de gestion ont réussi à s’entendre pour prendre ces décisions ».
Élargir la gestion participative
Camille Mazé insiste sur la nécessité d’élargir la gestion participative et de créer des conseils de gestion, tous au même niveau, qui impliqueraient de façon démocratique les parties prenantes, dans leur intégralité. Elle souligne l’importance d’y associer systématiquement les pêcheurs (ou les prud’homies de pêche en Méditerranée) qui connaissent parfaitement les territoires où ils exercent et la biodiversité marine.
Les prud’homies de pêche gèrent la ressource disponible avec une vision sur le long terme. Elles fixent un règlement prud’homal que chaque patron pêcheur devra respecter sous peine d’exclusion de la prud’homie. « Il s’agit d’un système historique de gestion des ressources naturelles qui date du Moyen Âge, où le mode de gouvernance implique les communautés de pêcheurs. Les prud’homies constituent une organisation sociale applicable à d’autres cadres dans la société, explique Camille Mazé. Par exemple, en Polynésie française, il y a un mode de gestion des ressources, marin ou terrestre, qui s’appelle le Rāhui2. Ces communautés avaient déjà conscience de la nécessité de mettre en place des systèmes de protection de l’exploitation des ressources pour les préserver afin qu’elles puissent se renouveler ».
Mais quel que soit le statut, les décisions finales pour les niveaux de protection ou les autorisations d’activité d’exploitation incombent dans la majorité des cas à l’État, plus précisément au préfet.
« La France a exclusivement développé des approches contractuelles pour l’ensemble des activités présentes dans les zones définies et elle accumule des retards dans l’application de la directive Natura 2000. Le pouvoir de l’État et des préfets reste fort, les scientifiques ne sont pas assez écoutés et les moyens manquent en matière de surveillance », précise Camille Mazé.
Protéger 30 à 50 % de la surface de l’océan
Globalement, pour protéger réellement la biodiversité et les populations, il faudrait, d’après les scientifiques, que les aires marines protégées couvrent 30 à 50 % de la surface de l’océan en étant réglementées et gérées de façon cohérente. Cet objectif demande des décisions politiques fortes de la part des gouvernements. Seules, les AMP ne suffiraient pas à préserver la biodiversité, mais associées à des mesures drastiques pour enrayer le réchauffement climatique et la pollution, l’océan pourrait être restauré « de façon substantielle », estime Jean-Pierre Gattuso, chercheur océanologue.
Avant la présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’augmenter le nombre d’AMP et de porter la protection forte à 5 % dans l’espace maritime français en Méditerranée d’ici à 2027.
Le temps presse rappellent les scientifiques, l’engagement est-il à la hauteur des enjeux ?
Sasha Verlei
- Étude, publiée le 24 avril 2020 dans One Earth par des scientifiques du Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (CRIOBE, CNRS/UPVD/EPHE) et du Royal Belgium Institute of Natural Science.
- Dans la culture maorie, un rāhui est une forme de tapu (interdit lié au sacré) restreignant l’accès ou l’utilisation d’une zone ou d’une ressource par le kaitiakitanga (la sauvegarde et le soin portés aux ressources) de la zone dans la gestion des zones de pêche d’eau douce ou de mer. Réserve, refuge marin ou terrestre, le rāhui sanctuarise un espace et proscrit tout prélèvement en son sein.
Plus d’infos sur les initiatives internationales et européennes
Les objectifs majeurs de la préservation des mers et des océans sont, en 2022, malheureusement loin d’être remplis, malgré les diverses initiatives internationales et européennes qui engagent pourtant les États signataires. Tour d’horizon.
Initiatives mondiales
La dimension de « l’océan libre » s’est réduite au fil des années avec la nécessité d’encadrer juridiquement les volontés d’acquisition de l’espace marin et les multiples activités humaines qui mettent en péril la biodiversité. Il est difficile de concilier conventions internationales, droit régional européen et droits nationaux, mais aussi enjeux stratégiques, politiques et économiques et crise du vivant. Ce qui entraîne forcément conflits et compromis au détriment de l’écosystème marin et des êtres humains qui en dépendent.
La Convention sur le droit de la mer des Nations Unies (CDMNU)
Jusqu’au XXe siècle, les océans ont été soumis à la liberté de la mer, sauf bandes côtières bordant le littoral d’un pays. Puis la Convention sur le droit de la mer des Nations Unies (CDMNU — signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994)1 est venue diviser les océans en différentes zones de juridictions, dans lesquelles chaque État, qui a ratifié ou adhéré à la convention, possède différents droits.
Le texte précise les catégories d’espaces maritimes sur lesquels les États côtiers peuvent revendiquer leur souveraineté : les eaux intérieures, la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental (extension sous-marine du territoire d’un État jusqu’à 200 miles marins). Au-delà, les eaux et les fonds marins relèvent du régime de la haute mer.
Jusqu’à une limite ne dépassant pas 12 miles nautiques (m.n), chaque État définit sa mer territoriale. Les bateaux de tous les États possèdent un droit de passage innocent dans cette zone.
De 12 à 200 miles nautiques, l’État côtier peut déclarer une zone économique exclusive (ZEE) dans laquelle il a le droit souverain d’explorer, d’exploiter, protéger et gérer les ressources naturelles. Il met en place la juridiction sur la recherche scientifique marine, la protection et la préservation de l’environnement marin.
Au-delà des 200 miles nautiques, le régime de haute mer s’applique, les ressortissants de tous les États ont le droit de pêche, « conformément aux obligations de leur traité et aux droits, devoirs et intérêts des autres États et doivent coopérer pour la conservation et la gestion des ressources vivantes ». Le régime inclut aussi le survol, la pose de câbles sous-marins et de tubes, la recherche scientifique. Le texte prévoit également la lutte contre le transport d’esclaves et contre la piraterie, la conservation des ressources biologiques en haute mer…
La législation est donc différente selon les zones où les aires marines protégées sont établies.
Autres conventions internationales
La Convention sur la Diversité biologique (CBD – Rio de Janeiro, 1992) crée un cadre légal pour la gestion des aires protégées. Elle transforme le besoin de création d’aires marines protégées (AMP) en loi internationale engageant les États l’ayant ratifiée (notamment l’ensemble des pays bordant la Méditerranée). La Convention sur les Zones Humides d’Importance Internationale (Ramsar – 1971) concerne, quant à elle, particulièrement les habitats d’oiseaux d’eau. On peut également citer la Convention sur le Patrimoine Mondial de l’Unesco, la Conservation du Patrimoine Culturel Sous-Marin, la Conservation de la Vie Sauvage et des Habitats Naturels Européens, les Réserves de Biosphère qui sont des sites reconnus par le Programme de l’UNESCO « L’Homme et la Biosphère », le Réseau Émeraude basé sur les mêmes principes que celui de Natura 2000 (initiative européenne, voir ci-dessous), mais étendu aux pays non-communautaires2.
Initiatives de l’Union européenne
Le réseau Natura 2000
Maillon important du réseau des aires marines protégées depuis 2012, Natura 2000 est un ensemble de sites naturels terrestres et marins de l’Union européenne qui vise à préserver les espèces et les habitats particulièrement menacés. Son objectif est de « maintenir la diversité biologique des milieux, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales et la conservation des aires protégées présentant un intérêt écologique à long terme. »
Le réseau Natura 2000 est basé sur deux directives :
– La directive Oiseaux (1979), programme complet de conservation pour toutes les espèces d’oiseaux sauvages qui vivent dans l’UE, demande la désignation de Zones de protections spéciales (ZPS) pour les oiseaux sauvages.
– La directive Habitats (1992) qui sert de base à la politique de conservation de la nature de l’UE, protège plus de 200 types d’habitats et plus de 1 000 espèces de plantes et d’animaux listées. Cette directive demande la désignation de zones spéciales de conservation (ZSC) pour les habitats et espèces d’importance communautaire (applicable au-delà des 12 miles nautiques des États membres).
Certaines AMP incluent des réserves de pêche dont l’unique objectif est le renouvellement des espèces. Dans ces espaces, très délimités, la pêche est totalement ou partiellement interdite.
La politique commune de la pêche (PCP)
Instrument pour la gestion de la pêche et de l’aquaculture, la politique commune de la pêche a été élaborée pour recentrer l’activité sur une approche à plus long terme ; L’intention étant de gérer l’effort de pêche afin de garantir une pêche durable (ce qui nécessite une réduction importante et immédiate de l’activité), d’éviter le gaspillage, mais aussi de soutenir la mise à disposition de conseils scientifiques de haute qualité… La PCP comprend la création de zones et/ou de périodes où les activités de pêche sont limitées ou restreintes ainsi que des mesures spécifiques destinées à réduire l’impact des activités de pêche sur les écosystèmes marins et sur les espèces non cibles (non menacées d’extinction).
Les États de la Communauté ont convenu d’appliquer la PCP dans les zones de pêche, ce qui implique des règles communes adoptées au niveau de l’UE et mises en œuvre dans tous les États membres.
A toutes ces réglementations s’ajoutent des directives de protection de l’environnement marin, telles que la directive Stratégie pour le milieu marin (2008/56/CE), dont l’objectif était d’élaborer des stratégies pour parvenir à « un bon état écologique » de l’environnement marin européen « d’ici à 2020 ».
La Directive-cadre sur l’eau (DCE) de l’UE, adoptée en 2000, définit, quant à elle, un cadre pour les actions communautaires dans le domaine de la politique sur l’eau. L’intention principale est d’atteindre d’ici 2027 un bon état général des eaux souterraines et de surfaces.
Plans d’action, conventions, accords et outils régionaux
PAM et Convention de Barcelone (1975 et 1976)
En 1975, 16 pays méditerranéens et la Communauté européenne ont adopté le Plan d’action pour la Méditerranée (PAM), premier Programme des mers régionales placé sous l’autorité du Programme pour l’environnement des Nations Unies (PNUE). En 1976, les parties ont adopté la Convention de Barcelone et des protocoles sont venus compléter le cadre légal (protection de la Méditerranée contre les pollutions en mer, en provenance de la terre, résultant de l’exploration et de l’exploitation du plateau continental, du fond de la mer et de son sous-sol et gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée…). Depuis 1976, la Convention de Barcelone et ses amendements consacrent la volonté commune des pays riverains de sauver « Mare nostrum », menacée de mort biologique.
A ces textes, s’ajoutent des accords comme l’Accord sur la conservation des cétacées de la mer Noire, de la mer Méditerranée et des zones atlantiques contiguës (ACCOBAMS) (Sanctuaire Pelagos, réserve de dauphins Lošinj…), des outils régionaux tels que les organisations régionales de gestion des pêches maritimes, MedPAN, le réseau des gestionnaires des aires marines protégées en Méditerranée…
La liste des dispositifs pour la préservation de l’environnement marin est non exhaustive.
Notes
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- Les membres de l’ONU n’ayant pas ratifié la Convention sont : les États-Unis, le Pérou, Israël, la Syrie, la Turquie, le Venezuela et l’Érythrée.
- Source : Le service public d’information sur le milieu marin
- Pour en savoir plus : lire l’entretien avec la chercheuse du CNRS Sophie Gambardella et notre dossier Méditerranée dans altermidi mag#5, août-septembre-octobre 2022, disponible en kiosque.