Robert est absolument excédé par tout ce qu’il peut entendre et voir circuler sur les grands médias. Si, certes, il n’est pas le seul, il s’est laissé aller à nous confier dans le détail et sous l’anonymat l’essentiel de son ressentiment. Un témoignage très intéressant qui prend tout le monde à contrepied.


 

Robert, vous aurez bientôt cinquante ans, vous travaillez dans la restauration et vous ne voulez pas partir en vacances. Quelles en sont les raisons, comment vous adaptez-vous, notamment face à la canicule actuelle ?

J’ai fait installer la climatisation chez moi parce que c’est en fait très écologique. Parce que cela me permet de supporter les grosses chaleurs et si jadis je partais l’été pour aller au frais à la montagne, je ne subis maintenant plus les embouteillages monstres habituels, je ne fréquente plus les autoroutes. Je n’ajoute pas ma consommation d’essence et l’usure de mon véhicule, ou ma place en train, avion, bateau à tous les autres postes de dépense si dévastateurs de l’environnement et de mes économies. Alors voilà, la situation de la planète exige une réduction de la pression que nous lui faisons subir, tout en faisant en sorte de vivre confortablement (d’où mon choix pour la climatisation).

 

Partir en congé, c’est pourtant une idée très répandue. Qu’y répondez-vous?

Si nous subissons un conditionnement permanent au départ en congé, dans les médias mais aussi dans nos discours (où vas-tu cet été ?) entretenant ainsi ce que l’on nomme le tourisme de masse, générateur de formidables profits dans de nombreux secteurs, il reste que l’équivalent d’un peu moins de la moitié de la population y est réfractaire. Ce n’est pourtant pas facile, tant les voyages nous sont vantés, tant la vie quotidienne est vécue comme oppressante, tant les inquiétudes face aux crises économiques, politiques, sanitaires se succèdent. On est ainsi un certain nombre à le faire, rester chez nous ou ne pas aller bien loin, disposant certes de petits moyens pour la plupart mais aussi de grands principes. Aller se promener sur les plus belles plages, les hauts sommets, les villes exotiques, rencontrer des ambiances étranges en Asie ou ailleurs, cela a un coût pour la vie future.

 

Qu’allez-vous donc faire de votre temps libre ?

Autour de nous, on peut observer beaucoup de gens venir pour la saison estivale, sur les autoroutes, dans les gares et aérogares. Mais on en voit aussi qui restent là, chez eux, dont moi, et qui sont heureux comme ça. On se retrouve ainsi titulaire d’un capital multiforme : du temps, de l’argent, qu’on aurait dépensés ailleurs, des gens sympas qu’on peut rencontrer et qu’on reverra. On recherche près de chez soi ce qu’il y a de bien et où on n’a jamais le temps d’aller. Je me souviens d’une rencontre avec le président du Parc National des Cévennes qui expliquait que quasiment personne de Florac ne venait visiter le Musée-centre d’interprétation, qu’il n’y venait que des étrangers à la région. Pour nous, ici, c’est pareil, on découvre tous ces petits lieux, de la piscine au cinéma en passant par la bibliothèque municipale, les parcs ouverts, les concerts locaux, les fêtes estivales. les marchés, les vide-greniers. Et croyez-moi, il y en a des choses à faire !

 

Que pensez-vous de cette population qui part, elle, l’été ?

Je vois souvent ces touristes, l’air benêt, qui photographient tout avec leur Smartphone sans prendre le temps de regarder vraiment. Je les retrouve, assis en terrasse, payant cher de la cuisine sommaire, et je sais de quoi je parle, faisant la queue presque partout. Cibles de pickpockets habiles ; ils arrivent aussi à se faire flasher sur les routes pour excès de vitesse ou défaut de ceinture quand ce n’est pas pour usage de leur téléphone au volant. On se retrouve face aux fameux dessins de Dubout, à part que de son temps, la cohue bizarre se limitait au petit train, ou aux plages, ce n’était pas l’espace entier qui était ainsi surchargé. Ce n’étaient pas non plus les conséquences que l’on commence à vivre liées directement au réchauffement climatique (sécheresse, incendies, grêle, inondations). Ce qui arrive remet tout en question et pose le problème du fonctionnement de la société de consommation : va-t-on continuer à dépenser sans retenue la nature, la vie animale et végétale, les énergies ? Comment peut-on détruire tous ces espaces naturels au nom de loisirs prétendument indispensables mais surtout lucratifs. Quid des bateaux croisières, du Machu Picchu, des îles Galapagos et j’en passe.

 

Pensez-vous incarner un nouveau courant ?

Vous comprendrez qu’on est un certain nombre, encore minoritaire, certes, a avoir des valeurs, des idées fortes. On ne veut pas mettre au rebut des véhicules thermiques qui marchent bien pour les remplacer par des véhicules électriques peu fiables et au final tout aussi polluants1, on ne pense pas que les bicyclettes soient une réponse sérieuse à la pollution de l’atmosphère (d’autant que près de 30 % des ventes aujourd’hui sont des modèles électriques), que la densification de la construction dans les villes apporte une quelconque solution. Par contre, j’ai bien conscience, moi mais mes amis aussi, que des solutions ne seront malheureusement trouvées qu’après avoir reçu de bien plus sérieux avertissements climatiques. C’est très inquiétant, comme certitude, mais ça ne m’empêche pas d’essayer, à mon niveau, de faire le maximum pour modifier les choses et de dire à tous d’en faire autant.

Recueilli par Thierry Arcaix

*Pour Jean Paulhan, écrivain nîmois, “reboussier” signifie « toujours prêt à prendre le parti du contraire, le parti du refus, parce que le nîmois est viscéralement attaché à son libre choix et à son libre arbitre ».

Notes:

  1. Selon l’Adem (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), alors que les émissions de particules à l’échappement ont très nettement baissé avec la généralisation des filtres à particules, celles hors échappement provenant de l’abrasion des freins, des pneumatiques et des chaussées deviennent prépondérantes et représentent en France 59 % des particules en suspension. Si l’électrique s’illustre avec des particules issues du freinage bien moins importantes, elles sont en revanche légèrement plus émettrices à cause de la largeur de leurs pneus.
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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.