Algeria Alegria de David Wampach. En clôture du festival Uzès danse, le chorégraphe réactive un pan de l’histoire, la sienne, celle de ses origines algériennes et celle de l’Algérie, toute deux en constante mutation.
C’est l’affaire de nos vies, savoir d’où l’on vient, ce que l’on est et où on va… Pour Algeria Alegria, David Wampach laisse le corps reprendre à son compte l’aventure et servir de boussole, dans un duo sensible avec Dalila Khatir, également d’origine algérienne, dont la carrière associe la comédie, l’art lyrique et la performance. La quête des origines est un sujet qui pouvait paraître inattendu pour ce chorégraphe dont l’œuvre témoigne d’un engagement artistique aux influences multiples.
En réalité cette pièce pourrait s’inscrire dans la continuité de ENDO, créé en 2017, qui s’inspire de l’endotisme1 et de l’art action2. Initialement, il y a la volonté de questionner la relation avec son pays d’origine et sa culture. Sur cette piste, l’artiste a croisé le hirak3 et les rythmes endiablés travaillés par Mustapha Lakhdari qui nous plonge dans les profondeurs du vivier culturel algérien. Espace fertile pour le chorégraphe qui puise, dans la connaissance intime des origines partagées avec sa complice, la puissance d’une expression corporelle sans revendiquer la filiation traditionnelle.
La pièce transcrit les différents temps de cette confrontation émotionnelle. Tout s’articule autour d’une table placée au centre du plateau qui délimite l’espace de séparation entre les individus comme un désert de pierre. Peut-être celui d’une société narcissique, d’un système de contrôle efficace d’assignation identitaire dans lequel on perd les racines de notre savoir, du monde et de l’altérité… Mais voilà les corps au cœur de cette recherche qui entrent en action, s’imprègnent du rythme et des esprits qui transitent. Désormais les corps ne tournent plus en rond, il circulent autour de la table, faux-carré d’une frontière immobile, au-dessus et en-dessous, s’étirent, se reconnaissent, dépassent l’empêchement pour se retrouver et fusionner. Maintenant, la table gît comme une ancre brisée au fond de la mer et les poissons multicolores qui sont apparus s’en amusent.
Le parcours de David Wampach soutient que la danse doit se mêler d’autre chose que d’elle même. Avec Algeria Alegria il aborde le sujet des origines de front en se confrontant à sa vérité sensible. Une perspective artistique qui renouvelle le sujet et trouve une résonance dans différentes cultures, confirmant la danse comme une trajectoire aux multiples correspondances pour interroger notre rapport au monde.
L’évolution des corps dans l’espace nourrit le flux de pensée des spectateurs. À la fin de la représentation on réalise que la métamorphose qui s’est produite sous nos yeux modifie l’état antérieur dans lequel nous nous trouvions. L’effet du langage corporel nous traverse créant un réseau invisible de ramifications. Comme si le social réinventé nous reliait. Serions-nous tous un peu algérien ?
Jean-Marie Dinh
Notes:
- L’endotisme est le contraire de l’exotisme. Dans sa perspective artistique, c’est une tentative de renouveau, non pas en détournant le sujet ou en le contournant, mais en l’abordant de façon directe et en se confrontant à son vécu instantané.
- Les pratiques d’art action se reconnaissent par les critères performatifs que les artistes s’imposent. Elles passent par l’expression du corps tant individuel que social, mais utilise aussi comme matériaux le temps et l’espace. Les caractéristiques formelles sont la présence de l’artiste, l’immédiateté ici et maintenant, le contexte de présentation de l’action, la dématérialisation de l’œuvre et le spectateur devenu acteur.
- Mouvement populaire et pacifique hebdomadaire où les Algérien.ne.s sont descendus dans la rue pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel.