L’art comme une forme d’hospitalité, c’est le mot d’ordre au Festival In Extremis Hospitalités qui se tient à Toulouse jusqu’au 11 juin. Pour sa 10e édition, In Extremis affirme que l’art porte une forme d’hospitalité inconditionnelle et nous interpelle, à la fois en tant que société et en tant qu’individus.
Quatorze propositions à découvrir et expérimenter, avec des artistes de tous les horizons (Grèce, États-Unis, Belgique, Brésil, Israël, Suisse, Nouvelle Zélande…), invité.e.s par le Théâtre Garonne. A Toulouse durant quatre semaines le festival In Extremis déplace les frontières entre disciplines et entre scène et salle.
« In Extremis ne porte pas de thématique, à l’origine il s’agissait d’accueillir des propositions artistiques hors norme dont la forme ne nous permettait pas de les inscrire dans la saison. Cette année, en complicité avec Itzik Giuli, nous avons construit la programmation autour de l’idée d’hospitalité », explique le directeur artistique du Théâtre Garonne, Stéphane Boitel. « Ce n’est pas proprement une thématique. Ce qui nous a guidé relève plutôt d’une exploration, avec le public, du rapprochement entre la tradition de l’hospitalité et la puissance de l’art, en tentant d’inventer des formes nouvelles avec les artistes. » Dans la mise en action, placer l’hospitalité au cœur du théâtre produit une émulsion revigorante impliquant le personnel du théâtre, les techniciens et les spectateurs du festival qui sont invités à participer de différentes manières à ce qui se passe.
Out of place
Le week-end dernier, à l’issue de sa pièce Ballad, un travail novateur sur le vocabulaire du mouvement — sur lequel nous reviendrons ultérieurement —, la chorégraphe grecque Lenio Kaklea a appelé le public à se retrouver sur le plateau pour vivre une expérience participative intitulée Out of Place. En répondant à des questions concernant nos pratiques quotidiennes, politiques et intimes, permettant l’émergence de l’altérité, la chorégraphe met notre groupe en mouvement dans l’espace scénique.
« C’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c’est-à-dire penser. »
Hannah Arendt, Cahier XXV.
Parmi les chemins qui s’ouvrent sur l’inconnu à la rencontre de l’Autre, il y a eu aussi Teach me (to be) french (Apprenez-moi à parler/à être/français-e), une proposition du metteur en scène israëlien Itzik Giuli. Sur les allées Jean-Jaurès, une personne issue d’un pays étranger vous aborde, elle a besoin de votre aide pour mieux comprendre le sens de quelque chose lié à la culture française ou élucider un point de vocabulaire. Vous vous attablez avec elle en terrasse et débutez un échange. La conversation devient l’occasion de repenser ensemble ce que l’on croit savoir de l’Autre et de sa culture.
Rencontre avec Hazem
Mon échange se déroule avec Hazem, un jeune comédien palestinien bien intégré dans son pays. Il l’a cependant quitté pour disposer de sa liberté de circuler, m’explique-t-il, et veut connaître le monde. Il me demande de lui raconter un souvenir de mon enfance. Je lui parle d’un poussin offert avec l’achat d’une paire de chaussures lorsque j’étais enfants. Histoire rocambolesque qui se termine par la cohabitation d’une famille et d’une poule dans un appartement parisien. Je lui demande si depuis qu’il est en France il a participé à des actions en soutien à la Palestine. Il me répond qu’il préfère parler de son pays avec les gens que cela intéressent plutôt que de s’impliquer dans une association. Imagine que tu vis dans un appartement avec quatre chambres, me dit Hazem, quelqu’un entre chez toi et occupe trois chambres, et chaque jour il vient t’importuner dans la chambre où tu te retrouves pour te dire que tu fais trop de bruit, ou que l’odeur de ta cuisine le dérange…
Bien que sensibilisé aux sort du peuple palestinien, je réalise que je n’avais jamais pensé l’occupation sous cet angle. Au cours de notre échange il est arrivé que nous ayons à préciser le sens de quelques mots ou de revenir sur une formulation syntaxique, mais l’essentiel de notre enrichissement mutuel a été proprement culturel. Il est plus facile d’apprendre une langue que d’acquérir la connaissance d’une autre culture. Au sortir de ma conversation avec Hazem, lors de laquelle nous avons très peu échangé d’idées politiques, j’ai le sentiment d’en savoir un peu plus sur les hommes en général et la culture de son pays en particulier. J’ai plus appris qu’en lisant trois articles du Monde diplomatique sur le conflit israëlo-palestinien. Je me sens aussi renforcé dans la conviction qu’une vision monoculturelle de soi et de sa culture comme une entité fixe et séparée du reste du monde n’est pas soutenable.
Jean-Marie Dinh
Voir aussi : Rencontre avec Itzik Giuli autour de « Teach me (to be) french »