Très attachée à sa terre et sa capitale catalanes, c’est en aller-retour avec la vie alternative des Cévennes qu’Anna Ishtar nourrit son trait de dessinatrice, droit surgi d’un regard libéré.
Anna Ishtar n’est pas occitane. Mais dans son village au pied du Mont Caroux, elle fréquente assidument le cercle de conversation qui s’obstine dans la pratique de la langue d’oc. Entretenir, approfondir un lien. Celui-ci parmi d’autres. Et défendre un principe inextinguible de diversité, de curiosité. La moitié du temps ce n’est pas là qu’elle réside, mais à Barcelone. Cet aller-retour dure depuis deux décennies, au gré de son parcours de vie. Barcelone, capitale de Catalogne, la cité de toute son histoire, sa culture, ses engagements.
Alors imagine-t-on Anna, désœuvrée, loin de la métropole, dans un bout de garrigue, entre Lamalou et Olargues ? Ce serait céder au cliché. Anna pondère son expérience : « Ce piedmont cévenol est très cosmopolite, les gens y sont venus de partout, avec un fort engagement de vie. Spontanément, et par nécessité aussi, car la vie n’est pas toujours simple, il y a ici beaucoup d’échanges, d’entraide, de rencontres. C’est très vivant et très fluide. Au regard de cela, il est vrai que Barcelone offre un capital énorme de vie sociale et culturelle, mais beaucoup de pression aussi. À bien y regarder, les gens y ont tendance à se replier en cercles finalement limités. Et l’entretien des relations y demande énormément d’investissement. »
À propos de villes et campagnes, de Catalogne prospère et de Languedoc en déshérence, ces observations sont paradoxales. Elles surprennent les attendus. On peut les garder en tête au moment de découvrir le travail de dessinatrice d’Anna Ishtar. Sa principale activité. Elle se définit volontiers comme « dessinatrice de rue ». Entendons par là qu’elle a choisi d’oublier radicalement « l’ennui des cours académiques, la lenteur besogneuse, la discipline » auxquels elle s’astreint en un premier temps.
À l’opposé aujourd’hui, elle vante la philosophie et les méthodes de l’Urban Sketching1, qui fédère un réseau de praticiens du dessin, pour qui « l’essentiel réside dans la saisie de ton temps, de ton réel, toujours sur le vif ». Les carnets qui découlent de cette attitude relatent volontiers l’inépuisable déploiement architectural de la capitale catalane : « mais ces grands immeubles peuvent finir par m’écraser, sous leurs lignes très établies », se réserve Anna. À l’inverse, son regard reste indéfiniment mobile au cœur de la nature et du patrimoine foisonnants qui s’ouvrent entre villages, jardins et garrigues.
« C’est ainsi que s’établit une relation vivante, où tu tâtonnes dans ton appréhension du réel, où ton crayon déjoue ce qui pourrait s’interposer entre l’objet et la représentation, souvent préétablie, que tu en as », apprécie la dessinatrice. « Ainsi tu pénètres la part de l’univers qui échappe. Toujours jouer, toujours se libérer, dans le vif il n’y a pas d’erreur. » Scruter le trait d’Anna Ishtar immerge dans le miroitement, l’écho, le surgissement, transgressant tout complexe de conformité.
Gérard Mayen
Les œuvres d’Anne Ishtar sont à découvrir à l’expo-gare de Lamalou-les-bains, du 13 au 27 mai.
Notes:
- Urban Sketchers (USk) est une communauté mondiale de dessinateurs professionnels et amateurs qui met en avant la valeur artistique, narrative et pédagogique du dessin in situ, d’après l’observation directe de la vie urbaine et quotidienne, qui en fait la promotion et crée des liens entre croqueurs dans le monde entier, qu’ils soient chez eux ou en voyage.