Risque « réel » de 3e guerre mondiale : quatre questions sur la déclaration du ministre russe Sergueï Lavrov
Le ministre russe des Affaires étrangères a mis en garde lundi contre un risque « réel » de troisième guerre mondiale et de guerre nucléaire. Dans le même temps, les États-Unis réunissent en Allemagne leurs alliés pour armer davantage l’Ukraine.
L’invasion russe qui devait être extrêmement rapide en Ukraine s’est transformée en une guerre qui dure depuis plus de deux mois désormais. Et le ton monte entre les deux camps. Confronté à des difficultés stratégiques, le Kremlin, par la voix du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, a mis en garde lundi contre le risque « réel » d’une troisième guerre mondiale et d’une guerre nucléaire. En face, les États-Unis commencent à livrer des armes lourdes à l’Ukraine et organisent ce mardi une réunion avec une quarantaine de pays pour accélérer les livraisons.
Qu’a dit exactement Sergueï Lavrov ?
Dans un long entretien à la télévision publique russe, Sergueï Lavrov a accusé l’Ukraine de « faire semblant » de négocier pour la paix et a mis en garde les Occidentaux sur un risque d’escalade. Interrogé sur l’importance d’éviter une troisième guerre mondiale et sur une comparaison avec la crise des missiles nucléaires à Cuba de 1962, il a assuré que la Russie faisait tout pour éviter de recourir à l’arme nucléaire : « L’inadmissibilité de la guerre nucléaire est notre position de principe. (…) Je ne veux pas alimenter ce risque de manière artificielle. Beaucoup aimeraient cela. Le danger est grave, réel. Et nous ne devons pas le sous-estimer. »
Mais d’après lui, « l’Otan, en substance, est engagée dans une guerre avec la Russie via un intermédiaire et elle arme cet intermédiaire. Cela signifie la guerre. » Sergueï Lavrov a toutefois assuré vouloir éviter une troisième guerre mondiale et promis de continuer à mener des négociations.
Quel est le contexte ?
Cette déclaration intervient au lendemain d’une visite en Ukraine des responsables américains des Affaires étrangères et de la défense, Antony Blinken et Lloyd Austin. L’Ukraine peut, si elle a les « bons équipements », « gagner » la guerre contre la Russie, a affirmé lundi le chef du Pentagone, Lloyd Austin. « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse plus faire le même genre de choses que l’invasion de l’Ukraine », a-t-il ajouté après avoir rencontré le président Volodymyr Zelensky. Les États-Unis ont accéléré dernièrement leurs livraisons d’équipements militaires et fournissent désormais des armes lourdes pour aider l’Ukraine à résister à l’offensive russe qui se concentre désormais sur l’est et le sud de l’Ukraine.
Ce mardi, les États-Unis réunissent en Allemagne une quarantaine de pays alliés dans le but d’accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine. D’après une source gouvernementale, Berlin devrait sortir de sa politique de prudence et autoriser la livraison à Kiev de chars de type « Guepard », spécialisés dans la défense anti-aérienne. Lundi soir, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a, lui, assuré à l’issue d’un entretien avec son homologue Dmytro Kuleba que la France allait « approfondir » son appui à l’Ukraine « dans tous les domaines », y compris militaire.
Comment ont réagi les Occidentaux ?
Avant sa visite au Kremlin mardi à la mi-journée, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a appelé à un cessez-le-feu : « Ce qui nous intéresse beaucoup, c’est de trouver les moyens de créer les conditions pour un dialogue efficace, créer les conditions pour un cessez-le-feu dans les plus brefs délais. » Il doit rencontrer Sergueï Lavrov, puis devait être reçu par le président Vladimir Poutine, avant de partir pour Kiev.
Par ailleurs, interrogé sur les déclarations de Sergueï Lavrov, le secrétaire d’État britannique aux Forces armées, James Heappey, a souligné que la raison de la guerre en Ukraine est que « la Russie a franchi les frontières d’un pays souverain et a commencé à envahir son territoire ». « L’Otan n’est pas une alliance expansionniste » mais une « alliance défensive », a-t-il poursuivi, « tout ce bruit de Moscou selon lequel leur attaque de l’Ukraine serait une réponse à une agression de l’Otan est simplement absurde ».
Qu’en disent les experts
Pour le Général Dominique Trinquand, la situation devient particulièrement critique pour la Russie. « C’est explosif depuis longtemps mais là, on arrive à un point où, ayant fixé l’objectif du Donbass, la Russie doit gagner dans le Donbass », souligne l’ancien chef de mission militaire à l’ONU. En parallèle, les États-Unis et les pays européens ont commencé à livrer des armes offensives à l’Ukraine : « Progressivement, les alliés ont augmenté la pression pour voir jusqu’où Poutine acceptait la limite de la “cobelligérance”. (…) On voit que tout ceci grimpe. La déclaration de monsieur Lavrov entre dans ce cadre en disant, “attention, on n’est pas loin de la limite”. »
« Il faut prendre ces menaces au sérieux », ajoute Cyrille Bret, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions internationales sur Franceinfo. D’après lui, « la Russie veut éviter d’avoir face à elle non seulement l’Ukraine mais aussi, comme belligérants, les États-Unis et le Royaume-Uni », qui, pour le moment, « ne combattent officiellement pas » mais « pourraient être tentés d’engager les combats plus directement (…) face aux difficultés militaires que rencontre la Russie ».
Ces difficultés pourraient pousser la Russie à « radicaliser la façon dont elle emploie ses forces contre des civils ou pour expérimenter de nouveaux armements ». Paradoxalement, « la position de faiblesse de la Russie n’est pas une bonne nouvelle pour la sécurité en Europe, elle peut ouvrir la possibilité d’actions, sinon désespérées, du moins radicales ».
Source Noémie Lair, France Inter, le 26 avril 2022.
Photo : Capture d’écran de l’interview de Sergueï Lavrov sur la chaîne de télévision publique russe.
Commentaire. Dans cet article, la rédaction de France Inter reste nuancée en soulignant cependant que les Américains jouent dangereusement avec le feu. À ce stade du conflit, ils apparaît que Les États-Unis sortiront gagnants quoiqu’il arrive, ce qui n’est pas le cas de leurs alliés européens…