La fin de l’opération Barkhane, est un indice de l’essoufflement de la France dans son pré carré africain. A l’heure où d’autres menaces stratégiques pèsent sur la sécurité du continent européen, nous publions cet article de René Naba sur la position inconfortable de la France au Mali, en partenariat avec le site d’info citoyen Madaniya . Au Mali, la France a tenté de préserver ses intérêts en comblant le vide politique1 sans succès. Le président Macron plaide depuis le début pour un soutien armé de ses alliés européens au Sahel, mais il est aujourd’hui incapable d’apporter à ceux-ci un minimum de garanties tandis que la Russie place ses pions sur fond de rivalité et de tensions avec l’Occident.


 

2021 aura été un grand millésime en matière de coups d’État en Afrique :  au Niger en mars, au Tchad en avril, au Mali en mai et en Guinée en septembre. Mais le coup d’État du Mali aura provoqué une onde de choc aux conséquences encore incalculables en ce qu’elle a placé le Mali face à une épreuve de vérité dont l’enjeu n’est rien moins d’autre que la pérennité de l’État avec l’organisation d’élections présidentielles, le 27 Février 20222, en vue de restaurer l’ordre constitutionnel normal, interrompu par un coup d’État duplique, en 2020 et 2021, fait unique dans les annales des pronunciamientos3, et la décision subséquente de la France de mettre un terme à l’opération Barkhane4.

Dix ans après le triomphe romain réservé à François Hollande, en 2013, au Mali, après le lancement de l’opération Serval5, la décision du retrait français de même que la fermeture des trois bases françaises dans le septentrion malien [à Tessalit, Tombouctou et Kidal, NDLR], marque indubitablement, au delà des justifications de circonstance, l’essoufflement de la France dans son pré carré africain. Un pays par ailleurs fragilisé par une dette publique qui a atteint en mars 2021 le niveau record de 118,2 % du produit intérieur brut (PIB), soit 2.739,2 milliards d’euros, selon l’INSEE. Enfin, derniers handicaps et non des moindres : ses piètres performances diplomatiques en Syrie et en Libye et le camouflet stratégique que lui ont infligé les États-Unis, en l’excluant de l’AUKUS6, l’alliance exclusivement anglo-saxonne du Pacifique.

En un siècle, l’érosion de l’Occident face à l’Asie est manifeste, comme en témoigne la débandade américaine en Afghanistan, 46 ans après la perte du Vietnam. Parmi les sept puissances économiques mondiales figurent désormais, selon le classement FMI de 2018, trois pays asiatiques: La Chine (1ère), le Japon (3e) et l’Inde (6e), dont deux pays (Chine et Inde) sous domination occidentale au début du XXe siècle, et le 3e, le Japon, vitrifié par les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki (Août 1945) et grand vaincu de la IIe Guerre mondiale (1939-1945). La Chine et le Japon surpassent désormais la France et le Royaume-Uni, les deux pays européens qui furent à la tête des deux grands empires coloniaux au début du XXe siècle.

Avec Serval puis Barkhane, la France a joué son rang de puissance, et le Mali son existence dans cette expédition, avec le premier engagement militaire direct français, en solitaire, sur un théâtre d’opération depuis la fin de la guerre d’Algérie en 1962.

L’expédition punitive du Mali de janvier 2013 se présentait dans une configuration stratégique sensiblement différente des précédentes séquences (Suez7, Bizerte8, Kolwezi9).
Au Mali, face à des hordes furtives, la France a été sous perfusion technologique américaine, sous transfusion matérielle et humaine européenne et africaine (2.000 Tchadiens, 500 Nigériens), sous injection financière arabe par le biais d’achats massifs saoudiens d’armement français, qui ont fait du Royaume Wahhabite, le premier client de l’armement français.

Intervenant trois mois avant le retrait des États-Unis d’Afghanistan, la décision de la France de mettre fin à Barkhane a pu être interprétée dans le tiers monde comme un renoncement, voire même comme un reflux des pays occidentaux face à leurs adversaires dans la guerre asymétrique10 contre le terrorisme. Et dans le cas particulier de la France, en superposition au camouflet diplomatico-militaire de son exclusion du marché des sous-marin australiens11, faisant apparaître l’arme atomique française comme le cache-misère, fort coûteux, d’une incapacité à assurer seule sa défense, de même que l’inadéquation de la puissance nucléaire dans les conflits asymétriques.

Pour mémoire, le colonel Assimi Goïta12 tire une partie de sa légitimité politique du soutien du Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP, principal mouvement d’opposition malien)13 qui a émergé en juin 2020 pour réclamer la destitution du dernier président élu, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

Cette mauvaise manière faite par la France à l’un des plus anciens alliés vise, de manière sous-jacente, à neutraliser toute possibilité des jihadistes maliens de s’ériger « en grand électeur » de la consultation présidentielle française de 2022 en ce qu’une prise d’otages ou une attaque terroriste de grande ampleur contre des cibles françaises pourraient attiser les critiques contre l’impéritie gouvernementale et faire basculer l’électorat français en faveur des partisans d’une politique ultra sécuritaire à l’effet de mettre en péril la réélection du président Emmanuel Macron.

Mais cette « brutale surprise » de la France au Mali pourrait, paradoxalement, favoriser un rapprochement entre le Mali et la Russie, déjà présente en RCA (République centrafricaine). Pour rappel, Bamako a signé un accord de défense avec la Russie en 2019 et le Mali constituait dans la décennie post-indépendance un des piliers du non-alignement14 en Afrique-Occidentale française (AOF) et, sous la présidence de Modibo Keïta, un allié de poids de Moscou en Afrique.

En cinq ans (2014-2019), la Russie a conclu 19 accords de coopération militaire et sécuritaire avec cinq pays africains, principalement de l’Afrique-Occidentale française15 (Angola, Guinée-Bissau, Mali, RCA et Mauritanie)… une expertise militaire fournie en contrepartie d’avantages dans les gisements africains, afin de contourner le blocus occidental de la Russie du fait de l’annexion de la Crimée.

Le Mali a d’ailleurs envisagé de solliciter l’aide de la compagnie militaire privée russe Wagner pour combattre le terrorisme qui gangrène le pays, suscitant une levée de boucliers de la France contre cette intrusion inadmissible dans sa chasse gardée.

Retour sur ce pays, le plus important pays musulman d’Afrique occidentale, victime collatérale de la déstabilisation16 de la Libye du fait de l’intervention occidentale contre la Jamahiriya17, un pays sans endettement extérieur doté d’importantes richesses naturelles. Une équipée menée par le président français Nicolas Sarkozy en tandem avec le Qatar.

 

De l’irresponsabilité du Mali

 

Le Mali semble avoir érigé l’irresponsabilité en mode de gouvernement, et l’impunité en principe cardinal de la vie politique malienne depuis le coup d’État du colonel Moussa Traoré, en 1968, contre le président Modibo Keïta, père de l’indépendance du Mali, à en juger par le traitement exorbitant [répression sanglante, NDLR] réservé aux nombreux factieux et faillis qui ont sillonné le pays depuis son indépendance il y a 60 ans.

Outre qu’il a provoqué une régression de la démocratie au Mali, au-delà en Afrique, un tel comportement a porté atteinte durablement à l’image du Mali dans le monde et sapé sa crédibilité, en même temps que celle de la France, la puissance tutélaire dans la zone.

Qu’on en juge. Trois coups d’État en 60 ans, soit un putsch tous les 20 ans, sans la moindre conséquence pour les factieux — Moussa Traoré, Amadou Haya Sanogo, et Assimi Goïta en 2020 — sans compter la tragique déstabilisation du Nord Mali par Ansar Eddine18, si dramatique pour la survie du pays.

 

Un coup d’État dans le coup d’État

 

Mieux : la sophistication a atteint un degré tel chez les putschistes maliens que le Mali a été, en Mai 2021, le théâtre d’un coup d’État dans le coup d’État. Neuf mois après avoir débarqué le président Ibrahim Boubacar Keïta, les colonels putschistes, sous la conduite de leur chef, le « serial putschiste » colonel Assimi Goïta, ont arrêté les principaux dirigeants civils, notamment le Premier ministre de transition Moctar Ouane. Deux figures emblématiques de la junte avaient été écartées de deux ministères clés lors de l’annonce du nouveau gouvernement ce lundi 24 mai : la Défense et la Sécurité, postes qu’ils occupaient depuis le coup d’État. Ils y ont été remplacés par des généraux plus neutres qui n’étaient pas en première ligne.

Ce remaniement a été vécu comme un camouflet par les putschistes qui entendaient bien rester aux commandes pendant trois ans et qui, de mauvaise grâce, avaient déjà dû s’engager à rendre le pouvoir dans les 18 mois. Le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta, affaibli par la contestation menée depuis des mois par le M5-RFP, cédait le pouvoir à une junte.

Symbole du pourrissement de l’État, le troisième coup d’État en dix ans au Mali, qui a mis au pouvoir le colonel Goïta, a fragilisé l’opération anti-terroriste française Barkhane.

 

La fin de l’opération Barkhane

 

Le Mali est un pays crucial pour la stabilité du Sahel mais ses forces manquent cruellement de moyens. Le maintien des partenariats internationaux est donc un enjeu de grande importance.

Échaudée par le nouveau coup d’État, la France a annoncé dans un premier temps la suspension de ses opérations communes avec l’armée malienne, après huit ans de coopération étroite contre les jihadistes, avant de mettre fin purement et simplement à l’opération Barkhane.

La situation dans la zone d’action de Barkhane reste pourtant préoccupante. Au Mali, onze membres d’une communauté touareg ont été tués, jeudi 3 juin 2021, par des inconnus près de Ménaka (Nord-Est). Le Burkina Faso voisin a, pour sa part, subi dans la nuit de vendredi à samedi 5 juin 2021 l’attaque la plus meurtrière menée par des jihadistes présumés depuis 2015. L’effroyable bilan s’établit à au moins à 160 morts, selon des sources locales. Les militaires maliens s’emploient aussi à rassurer les ex-rebelles indépendantistes du Nord, réunis dans la Coordination des mouvements de l’Azawad19 (CMA), signataire d’un accord de paix en 2015.

À la veille du sommet de l’OTAN, le premier de la mandature du président démocrate Joe Biden, le président Emmanuel Macron a annoncé le 10 juin 2021 la fin de l’opération Barkhane et son remplacement par une force d’intervention européenne, une structure plus adaptée aux moyens de la France avec partage des charges avec ses alliés européens.

La lutte contre le terrorisme sera faite « avec des forces spéciales structurées autour de [l’opération] TAKUBA (Sabre en Tamasheq, langue touarègue principalement parlée au Mali) avec, évidemment, une forte composante française – avec encore plusieurs centaines de soldats – et des forces africaines, européennes, internationales ». Cette alliance « aura vocation à faire des interventions strictement de lutte contre le terrorisme », a précisé le président français.

Cette décision vient rebattre les cartes au Sahel à moins d’un an de l’élection présidentielle française, sur fond de désamour de l’opinion française à l’égard de l’engagement de l’armée française dans la zone du Sahel. Elle marque, en tout état de cause, l’essouflement de la France dans ce qui fut jadis son pré carré africain. Elle met fin à l’illusion de moins en moins partagée d’une victoire militaire possible contre un mouvement insurrectionnel protéiforme, désormais solidement ancré dans les populations locales.

Le président français a promis une réduction du dispositif militaire français et un « changement de modèle » de cet engagement qui devrait impliquer le départ d’ici à début 2023 de la moitié des 5.100 militaires actuellement déployés… pour la simple raison que le bilan de huit ans d’intervention française au Sahel n’est pas brillant.

La conduite d’un engagement extérieur de grande ampleur afin de mener des missions de patrouille, de surveillance et de combat à l’intérieur d’une zone s’étirant sur 3.500 kilomètres d’Est en Ouest et sur 2.000 kilomètres du Nord au Sud a clairement montré les limites opérationnelles et logistiques françaises.

Certes, le déploiement de Serval au début de 2013, sous la présidence de François Hollande, à la demande des autorités maliennes, avait stoppé net l’avancée des groupes djihadistes et même sans doute évité l’effondrement de l’État malien.

Mais, depuis, les groupes djihadistes ont repris leur progression. Non seulement le Sahel est devenu l’« épicentre du terrorisme international », selon les mots d’Emmanuel Macron, mais les pays du golfe de Guinée que l’on pensait à l’abri sont maintenant visés. Les États locaux n’ont pas été capables de prendre le relais pour sécuriser les zones libérées. Le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Selon l’ONG Acled, plus de 8.000 personnes, essentiellement des civils, ont été tuées au Mali, au Niger et au Burkina Faso depuis 2013. Deux millions d’habitants ont été déplacés par les combats. Cinquante soldats français sont morts en service.

 

De la cohérence de la France

 

La position de la France gagnerait en cohérence si le président Emmanuel Macron ne se précipitait pas au Tchad pour assurer une transition héréditaire du pouvoir entre Idriss Déby — assassiné par les opposants tchadiens basés en Libye et soutenus par un allié de la France — et son fils, au mépris des principes démocratiques qu’elle brandit tant souvent à contretemps.

Ou si la France ne combattait pas le terrorisme au Mali, et, « en même temps » ne soutenait l’incubateur absolu du terrorisme islamique mondial, l’Arabie saoudite, dans sa guerre au Yémen, contre les Houthistes, des nationalistes yéménites qui revendiquent leurs droits en tant que minorité. Ou si enfin, elle ne soutenait l’indépendance des Kurdes en Syrie, et s’opposait « en même temps » à l’indépendance de la Corse en France.

 

Retour sur le phénomène putschiste du Mali

 

Au commencement était Moussa Traoré. Modibo Keïta « père de l’indépendance »20 meurt en mai 1977 en détention à Bamako à l’âge de 62 ans dans des circonstances suspectes. Le colonel Moussa Traoré a certes été condamné à la peine de mort en février 1993 pour « crime de sang »21, lors d’un procès qualifié de Nuremberg malien, devenant ainsi le premier chef d’État africain à devoir répondre de ses actes devant la justice de son pays. Mais, curieusement, il est gracié en 1997. Le président Alpha Oumar Konaré commue sa peine pour « crimes économiques » en prison à vie le 21 septembre 1999, avant de le gracier, en mai 2002.

Moussa Traoré était accusé d’avoir détourné pendant son règne plus de 2 milliards de dollars d’argent public. Depuis sa libération il a vécu dans une grande villa du quartier Djikoroni-Para à Bamako offerte par le gouvernement malien. Pis, il était jusqu’à sa mort considéré comme un« sage », recevant même quelques jours avant sa mort… ses émules dont il a servi d’exemple : les colonels ayant mené le coup d’État de 2020. Ben voyons, on ne change pas les habitudes qui gagnent.

Amadou Haya Sanogo. Arrêté en 2013, l’officier félon n’a toujours pas été sanctionné, en 2021, soit neuf ans après son putsch, ayant même eu droit à une mise en liberté provisoire le 28 janvier 2020… en attendant son jugement.

Amadou Toumani Touré : Ce général, qui a présidé son pays pendant deux mandats, a pris la poudre d’escampette au premier coup de feu, tout commandant en chef qu’il soit. Renversé par son cadet le capitaine Sango, il a vécu en exil au Sénégal. Le 27 décembre 2013, le gouvernement malien saisit l’Assemblée nationale, où siège la Haute Cour de justice, pour juger l’ancien président. Trois ans plus tard, en décembre 2016, l’Assemblée rejette finalement à une écrasante majorité l’ouverture de poursuites contre lui.

Le 24 décembre 2017, avec l’accord du président Ibrahim Boubacar Keïta, il rentre à Bamako avec sa famille. Sans être nullement inquiété sur la gabegie, ou la corruption voire le népotisme qui ont gangrené le Mali pendant sa double mandature, à l’origine de l’effondrement de son pays.

 

Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), un président mal élu à la légitimité minorée

 

Loin d’être un triomphe romain, la réélection d’Ibrahim Boubacar Keita, alias IBK, en 2019, à la présidence malienne, a apporté la preuve que les Maliens ont atteint le degré zéro de la politique, en ce que ce président si mal réélu, si pourtant décrié tout au long de sa première mandature présidentielle, a néanmoins triomphé de tous ses rivaux. Sur fond de paupérisation croissante de la population, de désintérêt de la chose publique, voire même de découragement, la présidentielle de 2018 du Mali aura donc propulsé un président à la légitimité sinon minorée à tout le moins entachée. Et cela a hypothéqué la 2e mandature d’IBK, par ailleurs plombé par des scandales liés à l’affairisme.

Les Maliens vivent depuis lors un cauchemar épouvantable. Pis, en désignant comme vainqueur de la consultation présidentielle IBK, le partenaire en affaire du casinotier corse, Michel Toumi, les Maliens se sont livrés à ce qui s’apparente à un rare cas de suicide politique en direct sous couvert de démocratie.

 

La déstabilisation du Mali en toute impunité

 

Pis. Il est de notoriété publique que le Mali a été déstabilisé par Ansar Eddine, un groupement islamiste parrainé par le Qatar, l’allié le plus récent de la France dans les équipées anti-arabes du philo-sioniste Nicolas Sarkozy.

Ainsi donc un allié de fraîche date de la France, le Qatar, a entrepris la déstabilisation d’un allié de longue date de la France, le Mali, sans que l’ami des deux pays, la France, ne pipe mot sur la mauvaise manière faite par le nouveau riche à l’un des plus importants contributeurs de « chairs à canon » africain des deux guerres mondiales du XXe siècle. En toute impunité, sans la moindre action coercitive à son égard.

Jamais le Mali n’a porté plainte devant la Cour pénale internationale, ni contre la France, ni contre le Qatar, pour acter leurs responsabilités directes et indirectes dans la destruction du pays. Au lieu de cela, Bamako a accepté que la France vole à son secours, dans le cadre de l’opération Serval, autrement dit de se placer sous les fourches caudines [d’être humilié par ses vainqueurs, NDLR] du pays auteur de son malheur, son bourreau, pour perpétuer sa dépendance à l’égard de son colonisateur.

Mais l’instrumentalisation par le Qatar du groupe djihadiste Ansar Eddine contre le Mali a servi de prétexte à la France pour opérer un retour en force sur la scène malienne et de s’exonérer à bon compte de son passif colonial. Ce faisant, le Mali est perdant à double titre : Il a blanchi la France de son passif colonial et doit subir à nouveau la présence militaire française aux conditions de son ancien colonisateur, avec l’édification d’une base militaire à Kidal, dans le Nord Mali, la première depuis l’indépendance du pays, en 1960. « Il existe quelqu’un de pire que le bourreau, c’est son valet » (Mirabeau).

Si Serval (petit félin du désert) au Mali et Sangaris (papillon) en Centrafrique ont enrichi l’onomastique des opérations militaires en Afrique de deux codes-barres en 2013, bouleversant les données géostratégiques, ces deux interventions françaises dans son pré carré ont néanmoins créé une nouvelle dynamique, dont le Mali, la RCA, au-delà l’Afrique francophone dans son intégralité en pâtiront et en paieront longtemps le prix.

Les interventions militaires françaises répétitives en Afrique ont eu pour effet second de blanchir la France de son passif colonial en raison du fait que le recours au pouvoir colonial pour restaurer son indépendance plombe définitivement tout discours sur l’indépendance et la dignité du fait de la vénalité et la couardise de la classe politique africaine, particulièrement malienne, son indignité et son absence de sens patriotique.

Le trafic, en parallèle, des djembés et des mallettes22 au delà du tolérable, en toute indécence, a constitué une pratique qui fait honte à toute l’Afrique et à la France en ce qu’il n’appartient pas au tiers monde arabo-africain de soutenir le train de vie de l’élite politico-médiatique française et ses vacances paradisiaques, sur le budget du contribuable des peuples affamés.

Une honte à l’Afrique de nourrir ses bourreaux en ce que la vénalité française et la corruption africaine constituent une combinaison corrosive, dégradante pour le donateur, avilissante pour le bénéficiaire. Cette observation vaut pour l’ensemble de la clientèle africaine de la France.

Un an après la chute de Kadhafi, la zone sahélienne a ainsi pris l’allure d’une zone de non-droit de 4 millions de km2, un périmètre, sous surveillance électronique de l’aviation américaine, vers où convergent désormais les islamistes du Sud du Niger, du Tchad et du Nigeria (Boko Haram23), plaçant l’Algérie face à un redoutable dilemme d’accepter le développement de l’insurrection islamiste à sa frontière sud, ou de tolérer une intervention militaire de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), sous forte tutelle des États-Unis et de la France… Avec en perspective la multiplication des compagnies militaires privées et son corollaire, la prolifération des groupements terroristes.

On prêtait aux pays occidentaux l’intention d’obtenir de la future République Azawad ce qu’ils n’ont pu obtenir du Mali, à savoir la base de Tessalit hautement stratégique au plan économique24 et militaire, ainsi que de la fermeté dans la lutte contre l’émigration « clandestine ».

Une manœuvre destinée, en complément, à prendre de revers l’Algérie, l’alliée de la Russie, le protecteur de la Syrie, de surcroît le dernier État séculier arabe à avoir échappé aux manœuvres de déstabilisation des pétromonarchies du Golfe que le Qatar avait menacé de représailles pour s’être opposées à l’exclusion du régime alaouite de la Ligue arabe25.

Kadhafi, certes, a été depuis lors expédié ad patres dans des conditions ignominieuses, tant il est vrai qu’il n’est jamais sain de piétiner un homme à terre, mais Nicolas Sarkozy et son satrape régional, l’émir du Qatar, Hamad Al Khalifa, n’ont pas été épargnés par le mauvais sort, projetés sans ménagement dans les trappes de l’histoire.

René Naba

04 janvier 2022

 

Photo. Manifestation-contre-la-présence-militaire-française-au-Mali-à-Bamako-le-4-février-2022. Crédit Paloma Lauder Collectif Hors-Format

Voir aussi : Sommet Afrique-France à Montpellier : Que dit le rapport Achille Mbembe ?

« L’intervention de la France au Mali a relevé d’une stratégie de défense du pré carré africain »

 

Plus d’info sur le site Madaniya

 

Notes:

  1. L’Élysée s’est en quelque sorte assigné pour mission de reconstruire un État, mais sans prévenir les Français de l’ampleur de la tâche. En réalité, l’échec politique et militaire de la France au Sahel était programmé d’avance, souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’IRD, dans son livre Une guerre perdue, Éd. JC Lattès, 2020
  2. Le 27 Février 2022 ne constituait pas une date butoir mais une échéance aléatoire en ce que les élections pourraient être reportées de plusieurs semaines voire quelques mois, selon les indications fournies par le pouvoir à Bamako.
  3. Dans les pays hispaniques, Coup d’État militaire, putsch. Un pronunciamiento, signifiant « déclaration », est un procédé par lequel l’armée se déclare contre le gouvernement en place dans le but de le renverser.
  4. L’opération Barkhane est une opération militaire de forces spéciales européennes créé en 2020 à l’initiative de la France et menée au Sahel et au Sahara, qui vise à lutter contre les franchises locales d’Al-Qaïda et du groupe État islamique (groupes armés salafistes djihadistes) dans toute la région du Sahel. Lancée le 1ᵉʳ août 2014, elle remplace les opérations Serval et Épervier.
  5. Le 11 janvier 2013, la France lançait l’opération Serval  en soutien de l’armée malienne, pour enrayer la progression vers la capitale des groupes armés islamistes qui avaient pris le contrôle du nord du pays. Trois semaines après l’arrivée du contingent français, la ville de Kidal était reprise, puis progressivement une grande partie de la région du nord. Le 2 février, François Hollande qui arrivait triomphalement au Mali, était accueilli en héros à Tombouctou, libérée du joug djihadiste quelques jours avant.
  6. AUKUS est une alliance militaire tripartite formée par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Rendue publique le 15 septembre 2021, elle vise à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indo-Pacifique.
  7. Le 29 octobre 1956, la France et la Grande-Bretagne lancent avec Israël une intervention militaire contre l’Egypte dans la région du Sinaï, à la suite de la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte, dirigé par le président Gamal Abdel Nasser, figure du nationalisme arabe. Le Royaume-Uni et la France, veulent reprendre le contrôle du canal et la France voit en outre dans l’Égypte un allié du mouvement de libération nationale algérien. Ils s’entendent avec Israël qui souhaite aussi une action contre Nasser, depuis que celui-ci interdit aux navires israéliens l’accès au canal de Suez et au golfe d’Akaba (1955). Les attaquants, dotés de matériels sophistiqués à l’époque, n’ont pas eu de mal à repousser la défense égyptienne. Cependant cette victoire militaire s’est transformée en défaite diplomatique : les forces de cette coalition devront capituler le 6 novembre sous la double pression de l’URSS et des États-Unis. Israël doit se retirer sur la ligne d’armistice de 1949.
  8. En 1961, en pleine guerre d’Algérie, la Tunisie indépendante depuis cinq ans, alors dirigée par Habib Bourguiba, tenta un coup de force sur la base navale de Bizerte encore sous contrôle de la France, dirigé par le général Charles de Gaulle, qui doit la quitter en 1963. Bourguiba réalise que l’Algérie va être indépendante, il décide de faire pression sur le gouvernement français, de provoquer une crise pour récupérer Bizerte. Avec un objectif secondaire : négocier avec la France tant qu’il est temps la frontière entre la Tunisie et l’Algérie, car il sait que ce sera très difficile avec le FLN. Il organise donc une crise en envoyant des civils, à mains nues pratiquement, marcher vers cette base de Bizerte. Les combats furent meurtriers, particulièrement du côté tunisien, aboutissant à un échec de l’opération voulue par Tunis.
  9. Le 19 mai 1978, les légionnaires du 2e Régiment Étranger de Parachutistes (REP) sont largués sur la ville de Kolwezi, au sud-est du Zaïre (ex-Congo belge et future République Démocratique du Congo). Cette opération est décidée en urgence par le président de la République Valéry Giscard d’Estaing et fait suite à une demande d’aide du président zaïrois Mobutu Sese Seko. Elle a pour objectif de sécuriser la ville -aux mains des rebelles katangais du FLNC (Front de Libération National du Congo), qui veulent renverser le pouvoir en place- et de libérer les Européens piégés sur place.
  10. Une guerre asymétrique est un conflit qui oppose des combattants dont les forces sont incomparables ; où le déséquilibre militaire, sociologique et politique entre les camps est total : une armée régulière forte contre un mouvement de guérilla a priori faible qui se sert des points faibles de l’adversaire pour parvenir à son but ; une nation contre un mouvement terroriste, etc.
  11. Le contrat que la France a passé avec l’Australie en 2016 pour la commande de 12 sous-marins est rompu dans le cadre d’un nouveau pacte baptisé Aukus, réunissant Canberra, Washington et Londres. D’abord pour des raisons géopolitiques, et notamment un climat de tension grandissant entre l’Australie et la Chine qui renforce sa présence dans la région et construit des îlots qui lui servent de bases militaires et de renseignement. Un sentiment antichinois enfle donc à Canberra, mais aussi à Washington où les tensions se doublent d’un face-à-face économique. Les Américains souhaitent renforcer leur position dans la région indopacifique en s’implantant militairement chez son allié australien. Londres, empêtré dans le Brexit et dans la pandémie du Covid, rêve de renforcer une alliance avec ses alliés américains qui avait perdu de son lustre sous les présidences Obama et Trump. Mais à peine 48 heures après l’annonce de l’abandon du contrat français, les groupes anglais BAE system et Rolls Royce se sont positionnés pour équiper les futurs sous-marins.
  12. Colonel, Assimi Goïta est président du Comité national pour le salut du peuple du 19 août 2020 au 18 janvier 2021 et chef de l’État du Mali du 24 août au 25 septembre 2020, à la suite d’un coup d’État, puis vice-président de la Transition depuis le 25 septembre 2020. Étant demeuré l’homme fort du pays, il reprend officiellement la tête du Mali en mai 2021, à la suite d’un nouveau putsch.
  13. Composé de partis politiques, de syndicats, d’organisations religieuses et de la société civile, le M5-RFP a été créé le 5 juin 2020. Accusant le président Ibrahim Boubacar Keita de mauvaise gouvernance, il a fait de sa démission une exigence. Après plusieurs manifestations organisées par ce mouvement, dont certaines réprimées dans le sang, l’armée a organisé un coup d’État le 18 août 2020, ouvrant la voie à une transition politique. Estimant n’avoir pas été véritablement impliqué dans cette transition, le M5-RFP s’en est démarqué et a continué à critiquer les actions des autorités de cette transition, menaçant de renouer avec les manifestations de rue. Avec le limogeage du président de transition Bah N’Daw et du premier ministre Moctar Ouane, le nouveau président de transition Assimi Goïta a décidé de composer avec le M5-RFP en lui confiant le poste de premier ministre.
  14. Le mouvement des non-alignés est une organisation internationale regroupant 120 États en 2012, qui se définissent comme n’étant alignés ni avec ni contre aucune grande puissance mondiale (17 États et 9 organisations internationales y ont en plus le statut d’observateur). En effet, ce mouvement né durant la guerre froide visait à regrouper les États qui ne se considéraient comme alignés ni sur le bloc de l’Est ni sur le bloc de l’Ouest.
  15. L’AOF était un gouvernement général regroupant au sein d’une même fédération huit colonies françaises d’Afrique de l’Ouest entre 1895 et 1958.
  16. Après avoir longtemps déstabilisé la région, le colonel Kadhafi avait changé de politique depuis quelques années et au moment où nous lui avons déclaré la guerre, il la stabilisait. Il avait ainsi mis « sous cloche » les velléités des Toubou libyo-tchadiens et l’irrédentisme des Touaregs du Mali.
  17. La Jamahiriya (« État des masses ») arabe libyenne est le nom officiel en forme abrégée dans les usages diplomatiques utilisé par la Libye ainsi rebaptisée, de 1977 à 2011, sous le régime politique de Mouammar Kadhafi.
  18. Ansar Dine ou Ansar Eddine (« Les défenseurs de la religion ») est un groupe armé salafiste djihadiste fondé et dirigé par Yyad Ag Ghali. Apparu au début de l’année 2012, c’est l’un des principaux groupes armés participant à la guerre du Mali. Le 1er mars 2017, Ansar Dine fusionne avec plusieurs autres groupes djihadistes pour former le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans qui reste sous la direction d’Iyad ag Ghali.
  19. L’Azawad est un territoire presque entièrement désertique situé dans le Nord du Mali recouvrant des zones saharienne et sahélienne, dont les Touaregs réclament l’indépendance, qu’ils ont proclamée en 2012, avant d’y renoncer le 14 février 2013.
  20. Modibo Keïta proclame, le 22 septembre 1960, l’indépendance du Soudan français qui devient la république du Mali.
  21. En mars 1991, les militaires qu’il avait envoyé contre les manifestants pro-démocratiques se retournent contre lui et le renversent au cours d’une sanglante insurrection, qui fait officiellement plus de deux cent morts et un millier de blessés.
  22. Tradition qui consiste à envoyer des mallettes à Paris ou à remettre des enveloppes en papier kraft pleines d’argent liquide pour financer des campagnes électorales françaises. Certains affrétaient à cet effet des vols privés qui se posaient au Bourget, tandis que d’autres convoyaient l’argent dans les poches des vestes et les chaussettes. D’autres encore recouraient au djembé qui pouvait servir à transporter discrètement du cash d’Afrique vers la France.
  23. Le Groupe sunnite pour la prédication et le djihad, plus connu sous le surnom de Boko Haram, est un mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste.
  24. Tessalit est une importante oasis du Sahara, constituant un point d’eau et de nourriture stratégique dans cette partie du désert. Autrefois prospère, elle bénéficiait du passage touristique transsaharien entre le sud de l’Algérie et le Mali. Un gisement de gypse, ainsi qu’une usine de plâtre contribuaient aussi à son économie. La zone présenterait également un potentiel en termes de différents minerais.
  25. La communauté alaouite représente environ 10% de la population syrienne. Les membres du clan de Bachar Al Assad, qui gouverne la Syrie depuis 1970, sont pour la plupart de confession alaouite, considérée comme une branche du chiisme, présente principalement en Syrie. Voyant que la répression ne faiblissait pas et que le plan de paix négocié avec le régime de Bachar Al-Assad était resté caduc, la Ligue arabe a accédé à la demande des opposants au régime de Bachar al-Assad en suspendant la Syrie et en la menaçant de sanctions et ce « jusqu’à l’application dans sa totalité du plan arabe de sortie de crise accepté par Damas le 2 novembre » 2011.
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René Naba est un écrivain et journaliste, spécialiste du monde arabe. De 1969 à 1979, il est correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France-Presse (AFP) à Beyrouth, où il a notamment couvert la guerre civile jordano-palestinienne, le « septembre noir » de 1970, la nationalisation des installations pétrolières d’Irak et de Libye (1972), une dizaine de coups d’État et de détournements d’avion, ainsi que la guerre du Liban (1975-1990), la 3e guerre israélo-arabe d'octobre 1973, les premières négociations de paix égypto-israéliennes de Mena House Le Caire (1979). De 1979 à 1989, il est responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP], puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, chargé de l'information, de 1989 à 1995. Membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), de l'Association d'amitié euro-arabe, il est aussi consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) depuis 2014. Depuis le 1er septembre 2014, il est chargé de la coordination éditoriale du site Madaniya info. Un site partenaire d' Altermidi.