Comment faire du théâtre et s’adresser aux absents ? Et surtout, « pour qui on joue ? » C’est une question que le metteur en scène François Cervantès « se pose toujours » et à laquelle il tente de répondre, à la fois par le spectacle et par différentes propositions autour.
L’origine du spectacle s’appuie en partie sur une histoire vraie : en 1980, Gaston Deferre, maire de Marseille, a un projet de site pétrolier sur le littoral. Il s’adresse pour cela à un milliardaire américain, Armand Hammer, patron de la puissante Occidental petroleum company. À la fin de leur rencontre l’homme d’affaires demande à visiter le théâtre du Gymnase. Consternation du maire qui l’a fait fermer quelque temps auparavant, officiellement en raison de sa vétusté. L’édile demande pourquoi il veut visiter ce lieu spécialement, et le milliardaire lui raconte alors l’histoire de ses parents juifs qui, en 1897, ont fui la Russie en bateau. Mais ce dernier, particulièrement abîmé, doit faire escale à Marseille pour des réparations. Le couple déambule alors dans les rues de la ville en attendant de rejoindre les États-Unis. Un soir, ils sont surpris par un violent orage et s’abritent sous un porche. La porte s’ouvre et on les fait rentrer dans un théâtre où se joue La Dame aux camélias. Il explique que ses parents étaient tellement heureux d’avoir vu la pièce que de retour dans leur cabine ils conçoivent un enfant… qui n’est autre que lui ! Il offre alors de l’argent à la ville pour rénover complètement ce théâtre à l’italienne et le Gymnase rouvre ses portes en 1986.
Un aller-retour permanent entre le théâtre et la ville
Ce qui inspire surtout François Cervantès c’est la requête du mécène : il souhaite que le lieu soit ouvert tous les soirs pour que les spectateurs puissent être au chaud et trouvent à boire et à manger. Le théâtre devient un espace original, entre théâtre et maison, un cabaret où s’inventent des « moments inattendus qui naviguent entre les rires et l’émerveillement ». Il propose ainsi un aller-retour permanent entre le théâtre et la ville, « parce que dans les très grandes villes il y a une culture qui s’invente : on n’est jamais à l’abri de découvrir quelque chose. C’est pour ça que j’aime Marseille, il y a beaucoup de brassage ». Il s’interroge également sur la question de l’absence, « mais comme une autre présence ».
Il y aura « une sorte de petit village avec une place » entre la salle de spectacle et les Grandes Tables pour que les spectateurs se retrouvent soit avant, soit après la représentation, afin de passer la soirée et échanger avec d’autres. « Un des objets du théâtre, c’est partager avec des inconnus. La poésie touche à l’intime mais ça nous concerne tous. »
En concertation avec La Friche, l’objectif de François Cervantès est de faire venir le plus de monde possible, faire que le public « se mélange sans entrave ». Il propose ainsi des tickets suspendus : le billet est à 10 euros, avec l’entrée et un plat chaud — servi aux Grandes tables — compris. En prenant une place on peut en acheter une deuxième pour une autre personne. Des associations ou des partenaires “relais” (Maisons pour Tous, structures sociales ou l’association Solstice entre autres) distribuent ces billets auprès de leur réseau. Des Levers de rideau donnent une carte blanche à de tous nouveaux artistes, l’occasion pour eux de se “frotter” au public. Pour les représentations du dimanche, afin de soulager les parents, des comédiens de La Réplique1 encadreront les enfants.
Nathalie Pioch
Le Cabaret des absents, jusqu’au 4 février à la Friche Belle de Mai, 41 rue Jobin – 13003 Marseille. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Entrée au prix unique de 10 € avec un plat chaud. Possibilité d’acheter des places pour d’autres personnes avec les tickets suspendus.
Levers de rideau : vendredi 28 et samedi 29 janvier, de 19h à 19h20, au Grand plateau de La Friche. Entrée libre sur présentation du billet.