La COP26 s’est achevée samedi, le vote du pacte de Glasgow sur le Climat est décevant. Face aux bouleversements climatiques que nous sommes en train de vivre et à leurs effets très perceptibles, la lutte pour le climat ne se joue plus contre les négationnistes du changement mais dans la désignation des grands manquements et des grands absents.


 

La Conférence de Glasgow de 2021 sur les changements climatiques1, ou COP26, est une conférence internationale de l’Organisation des Nations unies. De timides avancées ont été actées, elles portes notamment sur :

La réduction de l’utilisation d’énergies fossiles, pour la première fois mentionnée. Moteurs du réchauffement climatique, les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) n’avaient pourtant jamais eu les honneurs d’une déclaration finale. Comme le rappelle le chercheur Stefan Aykut2, elles avaient été retirées de l’accord de Paris sous la pression de l’Arabie saoudite, grand producteur de pétrole. Cette fois-ci, la communauté internationale a tenu bon.

Mais le progrès reste très limité : les pays membres sont invités à « accélérer les efforts vers la diminution progressive de l’énergie au charbon sans système de capture3 et des subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Quant à ces dernières, les pays sont seulement invités à cesser celles jugées « inefficaces ». Par qui ? Selon quels critères ? Ces questions restent en suspens.

Dans la dernière ligne droite, alors que tout le monde était d’accord sur le texte, l’Inde a obtenu que le terme « disparition progressive » soit remplacé par « diminution progressive ». La dernière d’une longue liste de modifications : les termes « accélérer les efforts vers » ne figuraient pas dans la précédente version de ces textes, négociés et renégociés depuis vendredi. Le précédent avait déjà atténué la formulation par rapport à la première qui ne mentionnait pas les « systèmes de capture », technologie encore peu rodée, et ne précisait pas le terme « inefficaces » concernant les financements des énergies fossiles.

L’urgence sur les 100 milliards. C’était un point crucial de la négociation pour les pays pauvres : les pays développés, historiquement responsables du réchauffement climatique, s’étaient engagés à leur verser 100 milliards de dollars par an pour les aider à faire face. La déclaration finale note « avec grand regret » que cette promesse n’a pas été tenue et les « exhorte » à le faire « urgemment » jusqu’en 2025, date à partir de laquelle cette enveloppe doit être réévaluée à la hausse. Aucune compensation du manque à gagner accumulé par ce retard n’est prévue.

Un appel à améliorer les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’accord de Paris repose sur les contributions déterminées au niveau national (CDN) des engagements chiffrés de réduction de gaz à effet de serre pris par chaque pays. À l’heure actuelle ils sont insuffisants pour atteindre les objectifs de l’accord. La déclaration finale appelle chaque pays « à réviser et à renforcer » l’objectif 2030 de ces CDN d’ici à la fin 2022 « pour s’aligner » avec l’accord. Mais le texte évoque la nécessité de « prendre en compte les circonstances nationales », ouvrant la porte à ce que certains pays traînent les pieds.

L’objectif des 1,5°C réaffirmé. La déclaration « réaffirme » les objectifs de l’accord de Paris : « Maintenir l’augmentation de la température globale bien en dessous des 2°C et poursuivre les efforts de limitation de l’augmentation de la température à 1,5°C. » Le texte reconnaît que ce dernier objectif nécessite une « rapide, profonde et soutenue réduction des émissions globales de gaz à effet de serre, notamment en réduisant les émissions de dioxyde de carbone [CO2] de 45 % en 2030 par rapport à 2010 et d’atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle ».

Un blocage sur les « pertes et dommages ».

Pas de mécanisme pour les « pertes et dommages ». Cette demande forte des pays les plus pauvres et les plus exposés aux effets du réchauffement climatique n’a pas été entendue. L’objectif de ces pays était d’obtenir une compensation financière pour les dommages déjà subis par les tempêtes, sécheresses et canicules provoquées par le changement climatique, un phénomène dans lequel leur responsabilité est très faible. À la place, la déclaration finale propose de lancer un dialogue sur cette question.

Des accords thématiques en marge des négociations.

Sur la déforestation. Dès le 2 novembre, près de 180 pays, dont la France, se sont engagés à enrayer la déforestation d’ici à 2030. Cet accord prévoit de mobiliser 16,5 milliards d’euros pour la protection et la restauration des forêts. Mais ces engagements, qui font écho à ceux déjà pris, sans succès, en 2014 dans la déclaration de New York sur les forêts, ne sont pas contraignants.

Sur le méthane (CH4)4. C’est une première historique pour le deuxième gaz responsable du réchauffement climatique après le CO2, longtemps ignoré par la communauté internationale. 107 pays, dont ceux de l’Union européenne et les États-Unis, se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30 % d’ici à 2030, par rapport à 2020. Mais cet accord ne couvre que 45 % des émissions mondiales de méthane, des pays très émetteurs comme l’Iran et la Russie ne l’ayant pas signé. L’agriculture, la principale source d’origine humaine de méthane, est très peu concernée par le texte.

Sur le financement des énergies fossiles à l’étranger. 39 pays, dont la France qui a longtemps traîné les pieds, ont signé un accord mettant fin aux financements à l’étranger de projets d’exploitation d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone d’ici à la fin 2022. Si cet engagement est tenu, plus de 15 milliards de dollars devraient bénéficier aux énergies propres, estiment des experts.

Sur la réduction de la production de pétrole et de gaz. BOGA (Beyond Oil and Gas Alliance) [Au-delà de l’alliance pétrolière et gazière], réunit 10 pays5 derrière l’engagement d’accélérer l’abandon progressif de la production de combustibles fossiles en fixant une date d’échéance — qui n’est pas encore déterminée pour l’instant. Une coalition très étroite pour le moment.

Sur les véhicules zéro émission. Une coalition de pays, villes, régions propriétaires de flottes de véhicules ou plateformes de mobilité partagée ont annoncé vouloir « accélérer la transition vers 100 % de voitures et camionnettes zéro émission » de CO2 d’ici à 2040. Mais d’importants acteurs du marché, comme la France, l’Allemagne, Volkswagen ou Stellantis6 n’ont pas signé cet engagement basé sur le volontariat. Il est en outre moins exigeant que la proposition de la Commission européenne de stopper la vente des voitures thermiques7 neuves en 2035.

Pour le sociologue Harald Welzer8, faire des promesses ne constitue pas une contrainte. Ceux qui en formulent aujourd’hui n’exerceront plus de responsabilité dans quelques années, s’il ne sont déjà morts.

Climat : politique de l’autruche. Dessin de Bertrams (Pays-Bas)

Notes:

  1. Un changement climatique, ou dérèglement climatique, correspond à une modification durable (de la décennie au million d’années) des paramètres statistiques (la température moyenne est un indicateur statistique qui s’avère très utile pour évaluer des évolutions climatiques à l’échelle planétaire, tant sur le passé qu’en projection pour les prochains siècles ; variabilité) du climat global de la Terre ou de ses divers climats régionaux. Ces changements peuvent être dus à des processus intrinsèques à la Terre, à des influences extérieures (par exemple les variations de l’intensité du rayonnement solaire dues aux variations de l’orbite terrestre, ou aux variations de l’activité solaire) ou, plus récemment, aux activités humaines. Le changement climatique en cours depuis la Révolution industrielle, ou réchauffement climatique, résulte d’une modification de la composition de l’atmosphère terrestre par les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités humaines. Des variations naturelles du climat peuvent s’y superposer.
  2. Stefan Aykut est politiste et sociologue au LISIS, à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et chercheur associé au Centre Marc Bloch de Berlin (centre franco-allemand de recherche en sciences humaines sociales). Dans sa thèse, il interroge l’émergence d’un nouveau champ des politiques publiques – les politiques climatiques – dans différents contextes nationaux et supranationaux. Ses intérêts de recherche actuels portent sur les politiques climatiques internationales, en particulier les négociations au sein de la Convention climat des Nations Unies, et le rôle des experts et des réseaux d’experts dans la définition des alternatives d’action ; le rôle des futurs technico-économiques et des scénarios énergétiques dans les débats sur la transformation des systèmes énergétiques nationaux ; le développement d’une théorie sociologique de la limitation, à partir d’une étude des processus de définition et d’institutionnalisation des limites écologiques globales (objectif des 2°C, limites planétaires). 
  3. La capture et la séquestration du carbone (CSC) permet d’éviter le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en récupérant le dioxyde de carbone au niveau des installations émettrices puis en le stockant ou en le valorisant, éventuellement après transport. La CSC pourrait permettre de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité et à l’industrie sans renoncer à la consommation d’énergie fossile.
  4. Le méthane est naturellement présent dans l’atmosphère terrestre, mais les apports anthropiques ont plus que doublé sa concentration depuis la révolution industrielle. c’est un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2, avec un potentiel de réchauffement global 28 fois plus élevé, responsable, au niveau actuel de sa concentration, de quelques pour cent de l’effet de serre total à l’œuvre dans notre atmosphère. Ainsi, à titre comparatif, sur un horizon de 100 ans, relâcher une certaine quantité de méthane dans l’atmosphère a un effet sur le réchauffement climatique environ neuf fois plus important que de brûler cette même quantité de méthane en dioxyde de carbone (CO2).
  5. BOGA regroupe le Costa Rica et le Danemark – premier producteur de l’Union européenne de pétrole –, qui l’ont lancée, ainsi que la France, le Groenland, l’Irlande, le Pays de Galles, le Québec et la Suède.
  6. Stellantis est un groupe automobile multinational fondé le 16 janvier 2021 résultant de la fusion du groupe PSA et de Fiat Chrysler Automobiles. Le groupe Stellantis exploite et commercialise quatorze marques automobiles dont cinq issues du Groupe PSA et neuf issues de FCA.
  7. Une voiture thermique est par définition non électrique car elle fonctionne en produisant son énergie grâce à la combustion du carburant. Les gaz brûlés sont ensuite évacués par le pot d’échappement. La majorité des voitures sont thermiques et sont alimentées par essence ou gazole (diesel).
  8. Harald Welzer est un sociologue et socio-psychologue allemand. Un de ses objets de recherches et de son enseignement est l’étude des impacts climatiques sur le mode de vie actuel des sociétés occidentales. Welzer a été à la tête de différents projets du Programme de recherche interdisciplinaire sur le climat et la culture.