Reprendre le fil du mouvement interrompu par la crise sanitaire, c’est l’objectif des organisations syndicales qui appellent à manifester ce 5 octobre. Réforme des retraites, sort fait aux soignant.e.s au cœur des préoccupations : illustration à Martigues avec les syndicats CGT de la pétrochimie.
Cela paraît presque lointain, tant la pandémie de Covid a occulté tout le reste depuis mars 2020, mais avant le premier confinement le pays a connu un fort mouvement social pour protester contre un énième projet de réforme des retraites. Le pouvoir n’ayant pas renoncé à ses projets, dans ce domaine et dans d’autres, en ajoutant de nouvelles contraintes sur les salarié.es, plusieurs organisations syndicales (CGT, FO, Solidaires, FSU…) ont décidé de reprendre le chemin des manifestations nationales, dans le cadre d’un mouvement interprofessionnel.
« Il faut aujourd’hui le pass sanitaire pour aller boire un café, il faut être vacciné pour accueillir du public, des clients, des usagers et des passants… Force est de constater que cette exigence de contrôle ne s’applique pas aux milliards d’euros qui ont été versés aux entreprises sans garantie sur le maintien de l’emploi à minima et sans exigence sur le plan social », écrit l’Union départementale CGT 13. Les syndicalistes sont certes sans illusions sur l’écoute de la part du gouvernement et sa capacité à renoncer à ses projets (recul de l’âge de départ en retraite, réforme de l’assurance chômage, imposition du pass sanitaire aux soignants) dans l’immédiat : « Ça ne pourra pas changer les choses dès le 5 octobre mais il y aura un après », souligne Julien Granato, secrétaire de l’Union locale CGT de Martigues. Dans une conférence de presse commune aux syndicats CGT de la pétrochimie — qui reste une industrie importante, avec la présence dans la zone Golfe de Fos-Étang de Berre de sites comme Inéos, Naphtachimie, Esso, LyondellBasell, Total ou Kem One — les militants ont décliné les multiples raisons de participer à cette journée d’actions.
« Cela fait longtemps qu’il n’y avait pas eu un tel engouement, tous les salariés sont au courant et la banderole qui était dans un placard depuis le Covid va ressortir », annonce Julien Granato. La banderole en question est celle commune aux sites pétrochimiques. Où la dangerosité du travail amène les syndicalistes à être particulièrement sensibilisés au sort des soignants : « On ne peut pas les applaudir comme des héros hier et les mettre à la rue aujourd’hui », s’indigne Sébastien Varagnol, responsable syndical à la raffinerie Inéos, en songeant aux licenciements de personnels qui n’ont pas le pass sanitaire. « Il y a ceux qui manifestent le samedi (jour de “manif” à Marseille contre l’imposition du pass sanitaire) et on sait que le mouvement sera suivi », affirme-t-il.
À l’image de Daniel Bretonnes (Naphtachimie, située à Lavéra), les syndicalistes expriment les mêmes inquiétudes sur l’état de leurs industries, de l’hôpital public et la santé des salariés. « Il y a ceux qui veulent partir le plus tôt possible et les retraités victimes de cancers et de l’amiante, ce n’est pas le Covid qui les tue. » Vingt ans après la catastrophe d’AZF à Toulouse, il redoute le pire en cas d’accident industriel : « Dans les années 1970, l’hôpital a été implanté à Martigues parce que les zones de Lavéra, de Fos, de Berre se développaient, mais quand on voit les services décimés, le personnel qui n’en peut plus, on se dit que l’hôpital serait incapable de gérer le problème et ce serait la même chose à l’hôpital Nord à Marseille ou à la Timone ».
«Travailler jusqu’à 65 ans, c’est mourir au travail »
La sécurité au travail qui est aussi celle des riverains reste une préoccupation majeure pour les syndicalistes du secteur. « Avec les entretiens défaillants, nous sommes de plus en plus exposés », souligne Fabien Cros, délégué au Comité central d’entreprise de Total. « En Normandie, la moitié de l’usine est partie en flammes, il y a eu Lubrizol avant. Chaque incident majeur a renforcé les droits des CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), mais Macron les a supprimés, leur attitude [celle des directions, Ndlr] a changé complètement depuis la disparition des CHSCT et le contre-pouvoir s’est délité », déplore-t-il.
Lutte pour la sécurité des installations, reconnaissance de la pénibilité et opposition au recul de l’âge de départ en retraite : tout est lié pour ces militants syndicaux. « Nous sommes toujours présents dans les combats pour la retraite, rappelle Fabien Cros, dans la convention collective, nous avons encore droit à un départ anticipé après 25 ans de quart [travail de nuit, Ndlr], mais chaque fois que le gouvernement ajoute des trimestres supplémentaires, cela nous fragilise encore plus ». Les conquêtes sociales ne s’usant que si l’on ne les défend pas, les salariés de la pétrochimie considèrent qu’ils ont plus d’une raison de manifester ou d’être en grève le 5 octobre. « Travailler jusqu’à 65 ans, c’est mourir au travail », résume le responsable syndical pour lequel les gouvernants « accélèrent le mouvement car demain ils n’auront plus les arguments : selon les prévisions, le régime général sera excédentaire en 2030 ».
Le fait qu’il n’y ait pas « plus de personnel dans les hôpitaux qu’il y a deux ans alors qu’on nous impose les réformes des retraites et de l’assurance chômage », s’indigne Daniel Bretonnes. Et le récent rachat de l’entreprise Kem One, deuxième producteur européen de PVC (un matériau qui sert dans le bâtiment mais aussi dans la composition de matériel médical) par un fonds de pension américain, Apollo, suscite de vives inquiétudes chez les syndicalistes CGT : « Nous n’avons pas de garanties sur les emplois, les statuts. » Kem one avait déjà connu un redressement judiciaire en 2012. L’entreprise compte deux sites dans les Bouches-du-Rhône (Fos-sur-Mer et Martigues) et près de 1 600 salariés en France.
J-F.A
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