Il existe en France une telle résistance à reconnaitre les méfaits de la colonisation et les souffrances que ses crimes ont engendrées qu’on ne peut qu’accueillir avec bienveillance la promesse du président Macron d’une loi de reconnaissance et de réparation des injustices commises envers les harkis et leurs familles.


 

Mais de quels harkis parle-t-on ? Des quelques 30 000 hommes qui réussirent à s’enfuir en France en 1962 — 80 000 personnes en tout en comptant leurs femmes et leurs enfants ? Ou bien de l’ensemble des harkis dont le nombre, si on prend le terme au sens large de tous les Algériens qui portèrent l’uniforme français pendant la guerre, s’élevait à environ 400 000 hommes, soit environ un million et demi de personnes en comptant leurs femmes et leurs enfants ?

Encore une fois, tout porte à croire que ces derniers demeurent les grands oubliés de cette nouvelle politique mémorielle. Et pourtant, cette loi de reconnaissance et de réparation va s’articuler autour de trois grandes injustices déjà reconnues par le président Hollande : la décision délibérée du gouvernement du général de Gaulle en mai 1962 de tout mettre en œuvre pour que ce un million et demi de Musulmans ne viennent pas en France ; la part de responsabilité de la France, au vu de cet abandon, dans les représailles (exécution sommaire, torture, relégation sociale) que subirent plusieurs milliers d’entre eux au moment du retrait des troupes françaises d’Algérie ; l’accueil ignoble que fut réservé aux 80 000 personnes qui débarquèrent en métropole.

Or, sur les deux premiers points, l’abandon et les représailles, les harkis restés en Algérie peuvent évidemment prétendre à une reconnaissance et à des réparations, et depuis l’annonce du président Macron, des milliers d’enfants de harkis vivant en Algérie tentent de joindre l’ambassade de France à Alger pour savoir s’ils vont enfin être reconnus, et indemnisés.

Il y a malheureusement très peu de chance qu’ils le soient, et cela pour plusieurs raisons. Pour les associations d’enfants de Harkis en France, qui se battent depuis des années pour cette loi de reconnaissance et de réparation, l’existence de ces familles de harkis restés en Algérie ne cadre pas avec un point essentiel de leur discours : à savoir que si leurs parents n’avaient pas réussi à fuir en 1962, ils auraient été forcément tués. Ce qui historiquement est faux, le nombre d’assassinats de harkis pendant la période des représailles, même s’il demeure inconnu dans ses détails, reste dans une fourchette de plusieurs milliers à deux ou trois dizaines de milliers.

Du côté du ministère du budget, toujours très inquiet dès qu’un président de la République prononce le mot réparation, passer de l’indemnisation des seules familles en France à l’ensemble des familles de harkis signifierait changer d’échelle et atteindre un coût qu’il se refuse catégoriquement d’envisager.

Enfin, imaginons un instant que le président Macron accepte d’indemniser aussi les harkis restés en Algérie. Concrètement, cela signifierait que la France, ancienne puissance coloniale, distribue de l’argent à des Algériens, en Algérie, parce qu’ils ont pris les armes contre leur peuple et son désir d’indépendance.

On n’ose imaginer la réaction du gouvernement algérien, alors que la France, qui vient de dire « pardon » aux Harkis, n’a toujours pas dit pardon aux Algériens pour les injustices qu’ils ont subies en 132 années d’occupation coloniale.

Pierre Daum 1

 

Cette tribune a été publié dans le quotidien Libération. Nous remercions son auteur d’avoir accepté d’en faire profiter les lecteurs d’altermidi.

Notes:

  1. Pierre Daum, est journaliste et historien, auteur de Le Dernier Tabou, les « Harkis » restés en Algérie après l’indépendance, Actes Sud 2015
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