Inondations tragiques au nord de l’Europe, incendies impressionnants en Sardaigne : au-delà des images apocalyptiques, quels enseignements faut-il tirer de ces phénomènes extrêmes ?


 

Des maisons emportées, des images de désolation, l’impression de ne plus reconnaître les paysages engloutis par les eaux et le sinistre décompte des morts et des disparus : les inondations de ce mois de juillet en Belgique et en Allemagne (mais aussi au Luxembourg, en Autriche et en Pologne) nous ont rappelés à une triste réalité, déjà vécue par les habitants des vallées de la Roya, la Vésubie et la Tinée (Alpes-Maritimes), en octobre 2020. Une réalité d’autant plus cruelle que la période estivale devrait rimer avec désirs d’ailleurs, de vacances, de balades et bonheurs du retour aux spectacles en plein air, chez nos voisins européens aussi.

180 victimes en Allemagne et 150 disparu.e.s, 36 victimes en Belgique : les chiffres font froid dans le dos. Certains affirmeront : « cela a toujours existé », comme s’il s’agissait d’une fatalité, d’un fardeau du destin. Certes, on peut dire que le phénomène pluvieux fut d’une rare intensité en un laps de temps relativement court, certaines villes ayant reçu 150 mm d’eau en seulement 12h, ce qui équivaut en moyenne à deux mois de précipitations « normales ». Mais dès lors que l’on aborde des dimensions qui ne sont pas purement météorologiques, de multiples questions se posent quant aux dégâts funestes causés par ce type de phénomène. Faut-il chercher du côté de la bétonisation à outrance, du fait que les terrains sont vallonnés avec des villes et des villages encaissés, ce qui favorise le ruissellement et le gonflement des cours d’eau ? Faut-il incriminer un système d’alerte défaillant en Allemagne, pointé notamment par le quotidien Le Monde ? :  « À l’évidence, certains dispositifs d’alarme n’ont pas fonctionné ou alors ont été déclenchés trop tard (…) sans laisser le temps aux habitants de quitter leurs maisons menacées »1.

 

En 1990, le GIEC2 alertait déjà

Si la prise de conscience du dérèglement climatique progresse, le passage aux actes, au-delà des belles formules, se fait bien souvent attendre : « À deux mois des élections législatives du 26 septembre, c’est la question — récurrente — du manque d’investissement de l’État allemand dans les infrastructures qui est de nouveau posée à l’occasion de cette catastrophe »3.

Mieux entendues aujourd’hui, les alertes sur la future multiplication d’événements extrêmes (inondations, mégafeux) ne datent pourtant pas d’hier. « Ce sont des événements que nous, climatologues, avions annoncés il y a déjà trente ans et qui deviennent très concrets. Dès 1990, le premier rapport du GIEC indiquait que l’effet de serre accentuera les deux extrêmes du cycle hydrologique : il y aura plus d’épisodes de pluies extrêmement importantes et plus de sécheresses prononcées », souligne Jean-Pascal van Ypersele (Université de Louvain, en Belgique), ancien vice-président du GIEC.

Le premier phénomène n’est pas sans lien avec des activités humaines. Comme d’autres, le climatologue rappelle qu’on a « trop laissé construire là où on n’aurait pas dû, dans le lit majeur des rivières, sans laisser suffisamment d’espaces pour la biodiversité. On a canalisé trop de rivières, on a bétonné leurs flancs alors qu’on aurait mieux fait de les laisser dans un état naturel, on a imperméabilisé trop de surfaces avec du béton ».

Le deuxième phénomène extrême produit dans le même été des incendies impressionnants, de la Sardaigne, où 20 000 hectares sont déjà partis en fumée, à la Turquie, en passant par la Grèce. Pendant ce temps,  une « grande » chaîne de télévision parle d’« été meurtrier »… mais pour désigner la guéguerre entre Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, candidats à la candidature à droite pour la présidentielle de 2022 !

 

Court-termisme et réparation

Le lien entre ces deux phénomènes, c’est probablement l’incurie des gouvernements et l’incapacité à sortir du court-termisme. Le récent vote de la loi climat, vidée d’une grande partie de la substance qu’avaient insufflé les travaux de la Convention citoyenne, en porte encore la trace. Dans le débat sociétal, tout se passe comme si la science était tantôt instrumentalisée pour justifier les décisions du pouvoir (voir la gestion du Covid-19), tantôt ignorée si les avis vont à l’encontre d’un certain système économique. Selon Jean-Pascal van Ypersele, « les scientifiques alertent depuis plusieurs décennies maintenant, mais ils ne sont pas écoutés. Écouter, ce n’est pas seulement faire une réunion avec des scientifiques devant les caméras de télévision. Écouter, c’est lire les documents et ensuite réunir tous ceux qui doivent l’être, tous les départements ministériels, les acteurs économiques, les représentants de la société civile et voir comment s’adapter et transformer notre économie et notre société. Il faut une révolution sociétale qui touche à tous les domaines »4.

L’ampleur du chantier de la lutte contre le déréglément climatique est telle qu’elle peut conduire au découragement, voire au catastrophisme. Mais ce que des décisions (ou le manque de décisions) a détruit, d’autres décisions peuvent encore le réparer. « Il faut d’urgence commencer à limiter nos émissions de gaz à effet de serre en décarbonant les économies : sortir du charbon, arrêter le déboisement, réduire notre consommation d’énergie, développer massivement les énergies renouvelables, réorienter les flux financiers », plaide le climatologue.

Les images apocalyptiques de ce mois de juillet, après tant d’autres, nous renvoient à notre impuissance mais, paradoxalement, le nombre de catastrophes naturelles n’est pas plus important en 2021 que lors des années précédentes ; elles sont juste de plus en plus relayées, notamment sur les réseaux sociaux. Ce qui change, c’est la violence et la rapidité avec laquelle ces phénomènes frappent.
Heureusement, le mécanisme de solidarité européen permet encore de faire face à ces catastrophes, même s’il faudrait probablement le réformer pour le rendre encore plus solide. La France a envoyé des moyens humains et matériels en Allemagne, Belgique et Sardaigne pour épauler nos voisins dans les recherches pour les inondations ou dans la lutte contre le feu.
Relatés par les médias, les actes de solidarité des populations sont aussi des motifs d’espoir.

J-F Arnichand

 

Région de Rhénanie-Palatinat, dégâts des inondations mortelles. 19 juillet 2021 Photo Dr AP

Notes:

  1. Thomas Wieder : Après les crues, le climat au cœur des préoccupations en Allemagne, Le Monde, 18 et 19 juillet 2021
  2. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
  3. Le Monde, 18 et 19 juillet 2021
  4. Le Monde, 18 et 19 juillet (entretien réalisé par Audrey Garric)
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"