Imaginons un lieu où l’on peut venir, en plein festival, s’asseoir sans être tenu de consommer, où l’on peut le soir, à la fraîche, déguster pour un prix modique un repas complet à base de produits locaux, frais et sans poison ; où l’on s’assoit à une table à côté d’inconnus pour écouter des concerts tous les soirs de ce mois de juillet… Ce lieu existe, c’est la cantine populaire du Fenouil à vapeur1 — ou feu nouille à vapeur — qui prend ses quartiers d’été. Un lieu unique à l’existence menacée.


 

À l’origine, le 1er mai 2006 après la manifestation, quelques amis décident d’animer les places du quartier populaire du Portail Magnanen en centre-ville d’Avignon. L’idée d’installer un lieu dans ce quartier où l’on pourrait se retrouver fait alors son chemin et dans le courant de l’année, une ancienne boulangerie au 3 et 5 de la rue du Portail Magnanen est investie. Sur l’initiative de Manuela, Marion, Franck et Jean-Marie les portes de la cantine du Fenouil à Vapeur s’ouvrent enfin après six mois de travaux et d’innombrables coups de mains. Quatre mois plus tard, l’AMAP2 à vapeur s’installe à son tour. Il s’agit d’une alternative économique qui permet aux paysans locaux de maintenir leur activité en proposant leurs productions aux consommateurs inscrits sur une liste qui paient à l’avance des produits livrés chaque semaine. D’abord des légumes puis très vite des œufs, du pain, fromage, miel et viande, et ensuite châtaignes, agneau, légumineuses, tisanes, cosmétiques.

Les deux sont liés ; si on vient à la cantine pour partager un moment, c’est la même chose avec l’AMAP à vapeur. Au début les adhérents venaient juste chercher leur panier et repartaient contents, mais un peu comme dans un commerce. Les bénévoles de l’association ont très vite décidé de faire du moment de retrait des paniers un moment de partage avec les Lundis chantants, des apéritifs dînatoires mensuels, pour prendre le temps de s’arrêter dans le lieu et d’échanger tout en dégustant ensemble des produits de l’AMAP.

 

« Je préfère manger à la cantine… »

 

Le principe de la cantine est participatif. Chaque dimanche, l’équipe du Fenouil ou une autre équipe, associative ou pas, propose un menu avec entrée, plat et dessert pour 80 personnes. Ceux qui viennent manger — et assister au concert parfois — paient 6 euros pour le repas, s’assoient où ils veulent (ici on ne réserve pas de table et on voisine avec des inconnus), viennent chercher leur repas en cuisine, font la vaisselle à plusieurs et quelquefois avec l’équipe. La convivialité est reine et celui qui passe avec les poches vides peut se voir offrir un repas. Cette initiative est riche des heures que les bénévoles donnent sans compter, très attachés à l’idée que sans salaire, sans poison et sans contrainte on tisse plus facilement du lien.

Si dans un premier temps il s’agissait de nouer des liens avec les gens du quartier, le concept a attiré des gens de toute la ville et au-delà. Depuis 14 ans, des centaines de repas ont été proposés, avec des produits de saison les plus locaux possible, montrant que la convivialité ne peut se résumer à un commerce.

Tous les dimanches il y a donc au Fenouil à vapeur une activité débordante, culminante en soirée. Depuis le début du mois de juillet une animation quotidienne offre un havre aux habitants comme aux festivaliers qui seraient tentés, un havre de non-marchandise.

 

Une situation précaire

 

Cette vision, portée par un groupe aux contours changeants au cours des années, mais qui a su conserver un noyau dur, n’est pourtant pas du goût ou plutôt de la compréhension de tous. Ainsi, il a fallu composer avec les institutions pour obtenir un local et donc créer une association ad hoc.

En 2007, la boulangerie, investie aux 3 et 5 rue du portail Magnanen, fait l’objet d’une convention avec Citadis, la SEM3 chargée de l’immobilier de la ville et du département. Les « fenouillards » investissent les lieux, font des travaux pour aménager et conforter leur nouvelle activité et doivent en échange prendre en charge l’électricité, l’eau et le gaz. Mais en 2015 le local fait l’objet, comme depuis des années les autres immeubles de la rue, d’une rénovation dans le cadre de la réhabilitation de l’habitat ancien. Il faut donc trouver une solution et après plusieurs mois de négociation avec Citadis ils investissent, en mai 2016, un ancien local commercial au rez-de-chaussée d’un immeuble, au 145 rue Carreterie, quartier alors en train de se vider de sa vie et de ses habitants. Le paiement d’un loyer leur sera alors demandé et le bail précaire qu’ils avaient obtenu en 2016 pour 9 ans rue du Portail Magnanen deviendra un bail dérogatoire d’une durée de trois ans. Le local est non seulement plus grand, mais il dispose en plus d’une cour à l’arrière qui autorise de belles fêtes anniversaires chaque premier mai.

Sauf que Citadis, en plus d’être la société qui achète, rénove et gère pour le compte de la ville d’Avignon et du département de Vaucluse, est aussi la société qui revend éventuellement les biens : le local de la rue Carreterie est vendu à des investisseurs qui veulent un retour. Côté Fenouil, un engagement ayant été obtenu de pouvoir revenir dans ces locaux, des demandes précises ont été faites pour leur réaménagement. Une bataille, y compris juridique, fera gagner du temps à l’association qui renouvelle le bail au grand dam de l’investisseur. Ces locaux, l’association De Passages gérant officiellement le Fenouil à Vapeur les prête à l’association Les réparateurs qui propose à ceux qui désirent faire durer les objets du quotidien de venir les réparer eux-mêmes sous la houlette de bricoleurs confirmés.

 

Menaces sur l’avenir et mobilisation

 

Depuis le déménagement au 145 rue Carreterie de la cantine et de l’AMAP il y a eu des contacts avec la municipalité d’Avignon. Celle-ci, passée à gauche en 2014, renvoie dans un premier temps l’association vers Citadis. Aussi, quand ces derniers modifient les conditions d’occupations demandant un loyer de 900 euros par mois et parlent de vendre l’immeuble, c’est la mobilisation, en avril 2021, pour la défense de la cantine. D’autant que si Citadis consent à proposer un autre local, ce dernier est loin d’être adapté à l’activité du Fenouil, cantine et AMAP. Des entrevues avec des élus de la majorité ne permettent pas dans un premier temps de trouver une solution satisfaisante. Il faudra le lancement d’une pétition4 qui recueille quelques centaines de signatures, plusieurs manifestations et soirées de soutien, notamment chez Rosmerta, le lieu d’accueil pour migrants en attente de solutions. Cette solidarité aura au moins permis d’obtenir un sursis, jusqu’en 2022, assorti de l’augmentation du loyer à concurrence de 1 500 euros. Ce n’est donc que partie remise.

Désormais l’association porteuse a un besoin crucial de fonds, vu que la période de crise sanitaire a empêché toute initiative pendant de longs mois. Si ce n’est pas la raison qui a amené à une ouverture quotidienne pendant la période du festival, il n’est pas interdit d’apporter concrètement son soutien, avec du temps sinon de l’argent, à la manière de l’esprit des fondateurs. Pour que cet esprit un peu anarchiste et très humain continue à inonder la ville comme un lieu de résistance tenace à la société de consommation.

Christophe Coffinier

Notes:

  1. https://www.fenouilavapeur.org/
  2. Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne.
  3. Société d’économie mixte
  4. https://www.change.org/p/citadis-le-fenouil-%C3%A0-vapeur-un-lieu-unique-et-incontournable-d-avignon-en-danger?recruiter=1205162175&recruited_by_id=857d1840-b804-11eb-ae1f-6b96be8c9104&utm_source=share_petition&utm_medium=copylink&utm_campaign=petition_dashboard
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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.