De la « montée » au Mur des Fédérés, à Paris, jusqu’à Martigues, de nombreuses initiatives destinées à célébrer les 150 ans de la Commune se sont déroulées lors des derniers jours de mai.


 

Elle n’aura duré que 72 jours mais son aura demeure : événement majeur de l’histoire sociale et politique de la France, la Commune de Paris s’est achevée par ce qui a été nommé « la semaine sanglante », l’exécution de milliers de communards par les troupes du gouvernement d’Adolphe Thiers, du 21 au 29 mai 1871. « Le 27 mai 1871, la Commune se meurt sous les balles des Versaillais entre les tombes du Père-Lachaise. Les 144 survivants sont alignés contre le mur de clôture au sud-est de la nécropole et passés par les armes, les corps ensevelis dans une fosse commune au pied du lieu de leur exécution », écrit l’historienne Mathilde Larrère1, enseignante-chercheuse à l’Université Gustave-Eiffel (Paris-Est). De là est née la tradition de « la montée au Mur des Fédérés », hommage rendu chaque année aux combattant-e-s de la Commune et à l’œuvre sociale de cette période dont l’audace fut inversement proportionnelle à sa brièveté.

Le samedi 29 mai, à Paris, des milliers de manifestant.e.s ont donné une ampleur particulière à ce rituel, le « Mur des Fédérés » étant devenu un lieu de mémoire. 89 organisations avaient appelé à prendre part à ce rendez-vous pour les 150 ans.

Dans un chapitre de son livre La Commune, intitulé La lutte dans Paris. — L’égorgement, Louise Michel décrit une accélération de l’histoire : « Tout ce qui s’est passé dans ces jours-là s’entasse comme si en quelques jours on avait vécu mille ans. »2 Figure majeure de la Commune et auteure de nombreux écrits, Louise Michel n’est pas la seule communarde dont les mots sont parvenus jusqu’à nous. En mettant en scène ceux d’Elisabeth Dmitrieff, ou ceux de Nathalie Le Mel, déportée en Nouvelle-Calédonie avec Louise Michel, les organisateurs3 des deux jours d’initiatives à Martigues ont redonné de la chair à cette histoire. Jusqu’à revendiquer le terme de « pétroleuses » dont les affublaient les Versaillais, ainsi nommés parce qu’ils s’ étaient retranchés dans « la ville des rois » après la proclamation de la Commune de Paris, le 18 mars 1871.

Le parti de l’ordre

Révolte patriotique contre l’occupation prussienne autant que mouvement révolutionnaire, la Commune n’a pas tardé à susciter l’hostilité des gouvernants, mus par ce qu’il faut bien appeler une véritable haine de classe. Dès le 21 mars, le chef du gouvernement Adolphe Thiers adresse un télégramme édifiant à Jules Favre4 : « Je supplie M. de Bismarck, au nom de la cause de l’ordre, de nous laisser accomplir nous-mêmes cette répression du brigandage antisocial qui a pour quelques jours établi son siège à Paris. Ce serait causer un nouveau préjudice au parti de l’ordre en France et des lois en Europe, que d’agir autrement. »5Adolphe Thiers tiendra promesse. Certaines de nos rues portent encore son nom, tout comme un lycée de Marseille, éphémèrement renommé « Lycée de la Commune » en mai 1968.

Si l’histoire a surtout retenu les dates de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871), des mouvements, encore plus éphémères car rapidement réprimés, ont eu lieu dans d’autres villes de France comme à Lyon, à Saint-Etienne, au Creusot, à Marseille où la tentative communaliste a été réprimée dès le 4 avril par les troupes du général Espivent, et sa figure majeure, Gaston Crémieux, fusillé. « Les combats font 150 morts chez les insurgés et une trentaine du côté de l’armée. La ville est quadrillée et les arrestations se multiplient. L’état de siège est maintenu, avec une censure sur la presse jusqu’ en 1876 », relève Marc César, enseignant et chercheur en histoire contemporaine à l’Université Sorbonne-Paris Nord.

On ne peut pas parler de soulèvement général (tout le Nord-Est de la France est occupé par l’armée prussienne et les communards présentés comme des barbares), mais Louise Michel fait néanmoins mention de nombreuses révoltes en Languedoc. À Narbonne (Aude) comme dans des communes de l’Hérault : Montpellier, Sète, Béziers, Clermont-L’Hérault, Lunel, Marseillan, Montbazin, Gigean, Maraussan, Abeilhan, Saint-Thibéry.

« Un des plus beaux exemples de démocratie directe »

L’expérience de la Commune de Paris a été noyée dans le sang, probablement parce que l’effet de « contagion » ne pouvait qu’être insupportable aux yeux des privilégiés. « La Commune est un des plus beaux exemples de démocratie directe de l’histoire sociale, les électeurs contrôlaient avec beaucoup de vigilance l’action de leurs mandants », souligne Gérard Leidet, historien et membre de l’association Provence Mémoire et Monde ouvrier (Promémo). Parmi les actes forts de la Commune : la question de la laïcité, posée bien avant la loi de 1905, l’égalité de traitement entre institutrices et instituteurs, l’interdiction de la retenue sur salaires, la réquisition de logements vacants…

Parcours dans la ville au gré des noms d’écoles (Louise Michel) ou de rues (Eugène Pottier, créateur de L’Internationale en juin 1871, Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des cerises), exposition sur la Commune de Marseille, intervention sur les révoltes contre le colonialisme en Kabylie (aspect méconnu de l’année 1871), conférence à la Maison des syndicats : les organisateurs de ces différents rendez-vous à Martigues ont aussi (re) découvert cette période qui n’a pas grande place dans les manuels d’histoire. Ni dans les discours officiels où l’on préfère, et de loin, célébrer Napoléon. L’éducation populaire, c’est apprendre les uns des autres.

                                                                                                              J-F. Arnichand

                                                                                       

 

 

Notes:

  1. « Politis », n° 1655, du 27 mai au 2 juin 2021
  2. La Commune, Éditions La Découverte Poche, 2015.
  3. MJC, café associatif Le Rallumeur d’étoiles, syndicats SUD-Solidaires, FSU, CGT, association Provence Mémoire et Monde ouvrier, La Libre Pensée, Jeunesse ouvrière chrétienne, Gilets jaunes
  4. Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Thiers.
  5. Cité dans Louise Michel : La Commune
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"