Le peuple palestinien n’a pas besoin de charité mais de solidarité active des autres peuples pour en finir avec l’occupation, la colonisation et l’apartheid israélien. Ce soutien passe par le boycott d’Israël à tous les niveaux et des sanctions internationales contre cet État criminel comme du temps de l’apartheid en Afrique du Sud.


 

Nous avons rencontré Jean-Pierre Bouché, militant toulousain de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS).

 

Jean-Pierre Bouché. Photo Dr altermidi Pablo Arce

 

Expliquez-nous ce qu’est la campagne BDS ?

La campagne internationale Boycott-Désinvestissement-Sanctions a été initiée par trois secteurs palestiniens en 2005. Parmi les 172 organisations signataires issues de la société civile, la moitié vient des territoires occupés, une vingtaine des Palestiniens d’Israël et le reste des Palestiniens de l’exil. C’est un choix, que les partis politiques n’y figurent pas. La création de BDS part de la remise à zéro des compteurs après les accords d’Oslo1.

Elle a pour objectif le droit au retour des réfugiés, l’égalité des droits pour les Palestiniens d’Israël, la fin de l’occupation militaire, de la colonisation et la destruction du mur.

Le peuple palestinien appelle les citoyens du monde à boycotter cet État, qui pratique une politique d’apartheid, à tous les niveaux : sportif, culturel, universitaire, y compris les produits israéliens, et à faire pression sur les entreprises étrangères, notamment européennes, pour qu’elles ne collaborent plus avec Israël. Cet appel vise aussi à ce que les États appliquent des sanctions sous la pression des peuples en lutte aux côtés de la résistance des populations palestiniennes.

 

Il y a eu le rapport onusien qui a censuré l’apartheid israélien, plus récemment la dénonciation de la politique d’apartheid par l’ONG israélienne B’Tselem, comment expliquez-vous le peu d’échos que cela suscite en France ?

Je ne suis pas d’accord, le mot apartheid n’est plus tabou. Au début, quand on a débuté la campagne BDS en France en 2009, après les massacres à Gaza, et qu’on parlait d’apartheid, les gens nous regardaient de travers. Aujourd’hui, on ouvre n’importe quel journal, tous les journalistes parlent d’apartheid, mais il est vrai que certains n’y mettent pas un contenu politique très fort.

 

Concrètement, comment se manifeste cette politique de séparation et de discrimination envers les populations palestiniennes par Israël ?

Ces domination et discrimination se manifestent de façons différentes suivant les cinq secteurs concernés de la population palestinienne. Il y a d’abord les réfugiés palestiniens qui n’ont pas le droit de rentrer chez eux, c’est contraire au droit international et aux résolutions onusiennes. Ensuite, il y a les Palestiniens d’Israël qui ne peuvent pas sortir de leur ghetto ou de leur village. L’État d’Israël fait tout pour les maintenir dans un état de pauvreté extrême, sans industrie et avec un sous-financement. Depuis 1948, Israël n’a pas créé de nouveaux villages palestiniens, sauf sept villes dans le Neguev2 uniquement dans le but de concentrer les Bédouins et de leur faire lâcher leur mode de vie traditionnel dans le désert. Le taux de chômage y est très élevé, il n’y a pas d’écoles, de raccordement électrique, de ramassage des ordures ni d’adduction d’eau. Au total ils sont 200 000, dont 100 000 vivent dans les sept villes, et les restants continuent de vivre dans des tentes. Pour les autres palestiniens, ceux qui ne sont pas Bédouins, une loi passée il y a 10 ans autorise, via ses commissions d’admission, les communes rurales à majorité juive à rejeter les demandes de résidence présentées par des familles arabes, légalisant ainsi cette pratique discriminatoire. Et en 2018, la loi fondamentale proclamant l’État-nation du peuple juif et la suppression de la langue arabe est un pas supplémentaire pour finaliser l’apartheid.

Puis il y a les Palestiniens de Jérusalem-Est, de plus en plus nombreux, et qui deviendront majoritaires dans quinze ans. Ils ne sont pas des citoyens israéliens et n’ont pas le droit de vote. Ils sont sur un siège éjectable, tout est fait pour supprimer leur droit de résidence. L’autorité palestinienne n’a pas droit de cité (ou droit du citoyen) dans Jérusalem ; la colonisation israélienne y est un échec. Israël a tenté d’y créer des colonies sans jamais réussir à créer une continuité. Les Palestiniens combattent pied à pied, comme on l’a vu récemment à Sheik Jarrah3 et Silwan4, toute tentative de grignotage de leurs quartiers. Enfin, on a les Palestiniens de Cisjordanie, ici l’occupation et les tribunaux militaires sont le lot quotidien avec la confiscation des terres. Les accords d’Oslo de 1993, qui rationalisent l’occupation, ont défini trois zones. La zone A est sous contrôle civil et sécuritaire palestinien comme à Ramallah, Bethléem, Jericho ou Gaza. La zone B est sous contrôle sécuritaire israélien et sous contrôle administratif palestinien. Aucune colonie n’est établie dans cette zone.

La zone C, la plus vaste, est sous contrôle administratif et sécuritaire israélien. Elle est de plus en plus grignotée par de nouvelles colonies. Au nord, Naplouse et Jenine résistent avec peu de colonies.

 

 

 

 

Quelles sont les victoires remportées par cette campagne internationale ici et ailleurs ?

Il y a eu très peu de victoires en France. La plupart du temps ce sont des campagnes menées à l’échelle européenne contre Agrexco5 — même si cette campagne a été gagnée en France — ou celle qu’on mène actuellement contre Puma6 et Axa7. Sur le boycott culturel ou sportif, ce n’est pas spectaculaire mis à part quelques sportifs sensibilisés à la cause de BDS. Aux États-Unis, le mouvement BDS gagne. Il est très bien implanté dans les universités contrairement aux universités françaises. Là-bas, ce sont des organisations juives, telles Jewish Voice for Peace8, qui développent le BDS. Les Sénats, qui sont les organismes de représentation des étudiants face à l’administration, ont obtenu des résolutions de soutien au boycott d’Israël. Et comme les universités sont privées, ils ont gagné le retrait des fonds privés des universités israéliennes tout comme les pays nordiques.

 

Le BDS peut-il venir à bout de la politique coloniale israélienne ?

C’est le seul moyen pour changer les choses à la condition qu’il se développe. Il n’y a pas d’autres possibilités. C’est pour ça que BDS est traité par ses adversaires de complice des terroristes.

Le ministère des Affaires stratégiques israélien a été réactivé, il y a six ans, uniquement dans le but de nous combattre. C’est la méthode sioniste de lobbying auprès des institutions, des États-Unis et de l’Union européenne. En 2019, il a publié deux brochures. Dans la première il est écrit que derrière le mouvement BDS se cachent des organisations terroristes comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le Hamas. La deuxième publication explique que BDS est la face cachée de l’antisémitisme. Les procès de militants ne l’intéressent pas, l’objectif de ce ministère est de faire condamner le mouvement Boycott-Désinvestissement-Sanctions.

 

« Tout ce dont nous avons besoin est d’un peu plus de courage de la part du monde », affirme Omar Barghouti, co-fondateur de BDS, c’est aussi votre opinion ?

Je partage son opinion. Il a suffi que BDS France reçoive une lettre de Teva nous menaçant de poursuites pour qu’on vire nos deux pages sur Teva9 il y a trois ans. Olivia Zemor a été poursuivie par Teva et a gagné son procès, elle a été relaxée10. L’appel au boycott est légitime et légal. Malgré le fait que le gouvernement français essaye de criminaliser le mouvement BDS, la justice fait son travail.

 

Les crimes de guerre et crimes contre l’Humanité de cet État seront-ils jugés un jour ?

Il y a eu un énorme travail de juristes palestiniens et internationaux, notamment Gilles Devers11 en France, pour qu’une plainte soit portée par le gouvernement palestinien devant la Cour pénale internationale (CPI), ça avance extrêmement lentement. La procureure générale africaine a accepté de mettre cette question à l’ordre du jour. Mais s’il faut compter sur la CPI pour une condamnation d’Israël, il n’y a aucune illusion à se faire. Israël ne changera pas sa politique d’un iota. Comme le disait l’ancienne ministre de la Justice israélienne (2013-2014), Tzipi Livni : « J’étais ministre de la Justice. Je suis juriste… mais je suis contre le droit … le droit international en particulier. Le droit en général ».

propos recueillis par Piedad Belmonte

 

Pour en savoir plus : https://www.lecourrierdelatlas.com/la-france-est-le-seul-pays-a-criminaliser-les-appels-au-boycott-disrael-olivia-zemor-convoquee-au-tribunal/

Notes:

  1. Les accords d’Oslo sont le résultat d’un ensemble de discussions menées en secret, en parallèle de celles publiques consécutives à la conférence de Madrid de 1991, entre des négociateurs israéliens et palestiniens à Oslo en Norvège, pour poser les premiers jalons d’une résolution du conflit israélo-palestinien.
  2. Le Néguev est une région désertique du sud d’Israël.
  3. Cheikh Jarrah est un quartier à majorité palestinienne de Jérusalem-Est, au nord de la vieille ville. Il est illégalement administré par Israël depuis 1967, puis incorporé à la juridiction israélienne par la Loi de Jérusalem de 1980. Celle-ci ne bénéficie pas d’une reconnaissance internationale.
  4. Silwan ou Wadi Hilweh est un quartier de Jérusalem-Est à population majoritairement palestinienne situé au sud-est de la cité dont elle est séparée par la vallée de Cédron, à côté de la vieille ville de Jérusalem.
  5. Agrexco : société israélienne d’importation de fruits et légumes
  6. Puma est le principal sponsor de l’Association Israélienne de Football, qui inclut des équipes des colonies israéliennes illégales.
  7. AXA a investit 7 millions de dollars dans trois banques israéliennes impliquées dans la colonisation illégale israélienne : Bank Leumi, Israeli Discount Bank et Mizrahi Tefahot Bank. Ces banques fournissent des prêts hypothécaires aux colons et des services financiers aux autorités locales des colonies pour des projets de construction.
  8. Une Voix Juive pour la Paix bataille pour la justice, l’égalité et la liberté pour les deux peuples : palestinien et israélien. L’association s’oppose au sionisme, car il est contraire à ces idéaux. Elle compte plus de 70 sections locales aux États-Unis.
  9. Le géant israélien des médicaments génériques Teva a été poursuivi par les autorités américaines pour entente illégale sur les prix de médicaments entre 2013 et 2015
  10. Olivia Zemor est une militante d’Europalestine et directrice du site du même nom. Elle avait relayé la campagne de boycott de Teva, firme pharmaceutique israélienne, par les militant.e.s du collectif lyonnais Palestine.
  11. Gilles Devers est avocat au barreau de Lyon. Il fait partie du collectif d’avocats qui, en janvier 2009, a porté plainte devant la Cour pénale internationale contre des officiers israéliens pour crimes de guerre.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin