Inaugurée il y a plus de cent ans, la voie ferrée (à double sens, non électrifiée) Estaque/Miramas avait besoin d’un bon renouvellement, sous peine d’une fermeture en 2023. Comme au temps de sa construction, les travaux ont nécessité des moyens exceptionnels. Mais ils étaient essentiels pour pérenniser la ligne et accroître la mobilité dans la métropole Aix-Marseille-Provence.


 

Après un an de travaux et 8 mois de fermeture totale, la réouverture de la ligne TER de la Côte bleue est intervenue lundi 26 avril. Inaugurée en catimini en 1915, pour cause de Première Guerre mondiale, elle était déjà une prouesse technique et d’ingénierie, notamment par ses nombreux ouvrages d’art. Parmi eux, le viaduc de Caronte, qui enjambe le chenal du même nom à Martigues. Par son côté innovant, l’audace technologique, la maîtrise technique des concepteurs et son intérêt architectural, ce « pont treillis » est un ouvrage exceptionnel, qui lui a valu d’être labellisé « Architecture contemporaine remarquable » en 2000. Le préfet de Région, venu réceptionner la fin des travaux, n’a d’ailleurs pas manqué de relever l’aspect « patrimonial » et « historique » de la ligne. Il a également évoqué la « mémoire ouvrière » qui a marqué de son empreinte ce chantier, que l’on peut qualifier sans exagération de quasi pharaonique, tant les difficultés du terrain ont imposé des défis technologiques immenses. Maxime Marchand, tout jeune maire de Sausset-les-Pins, a lui aussi souligné l’implication des 5 000 ouvriers qui ont construit cette ligne, dont la plus grande partie étaient des étrangers (des Italiens notamment), et qui pourtant n’ont pas hésité à s’engager dans le conflit mondial en 1914 : « Beaucoup d’entre eux n’ont pas connu la fin du chantier ».

Aujourd’hui comme au temps de sa construction, cette ligne demeure « une artère » indispensable entre la métropole marseillaise et les communes avoisinantes. Elle reste un facteur de dynamisation du territoire, un enjeu de mobilité et un attrait touristique certain (62 % des usagers sont des touristes). Mais elle se dégradait très vite, les éboulis étaient de plus en plus fréquents (obligeant à des coupures totales de quelques heures à quelques jours), l’état des voies ne permettait plus la circulation à la vitesse normale : résultat, en 2016, 20 % des trains étaient en retard et 10 % supprimés. Elle était menacée de fermeture en 2023, si rien n’était fait. L’État, la Région, le Département, la Métropole Aix-Marseille-Provence et la SNCF Réseau se sont donc penchés à son chevet et ont décidé un investissement conséquent (46 millions d’euros) pour sa modernisation, et ainsi assurer sa pérennité.

 

Travaux ligne de la Côte bleue
Train usine sur le viaduc de Niolon. Photo DR SNCF Réseau.
Travaux ligne de la Côte bleue
Cordistes posant du grillage planqué ancré et des filets de protection. Photo DR SNCF Réseau.

Des moyens conséquents

Si une partie des travaux a pu se réaliser sans entraver la circulation, la plus grosse — et la plus difficile — tranche du chantier concernait le trajet  entre Ensuès-la-Redonne et Sausset-les-Pins. À partir du 31 août, la ligne a donc été complètement fermée pour permettre le renouvellement complet des voies, par la mobilisation d’un train usine dit « DRL », utilisé lors de chantiers complexes (tunnels, viaduc, courbes trop serrées ou bordures des quais). À l’avant du train, une mécanique soulève les rails, retire les traverses et les cailloux, tandis qu’à l’arrière, un autre système repose les rails, les traverses et le ballast.

Mais entre calanques et falaises, ce sont surtout les gros ouvrages qui ont mobilisés des moyens conséquents. La ligne longe en effet le massif de la Nerthe, classé au patrimoine régional des Calanques, aux caractéristiques géologiques particulières, et cela suppose des conditions de travaux hors normes. Sur la commune du Rove, la voûte du tunnel du Rio Tinto a été renforcée par la réalisation d’une coque en béton sur 123 mètres de long, et à l’extérieur, par la pose de filets de protection. Le confortement de plusieurs versants rocheux — à Ensuès et au Rove —  s’est fait par la pose de grillages plaqués ancrés et d’écrans pare-blocs. Compte tenu de la difficulté du terrain, il a fallu faire appel à des cordistes pour descendre en rappel le long des parois, et les matériaux nécessaires ont été hélitreuillés. Enfin, 6 km de rails de sécurité ont été changés le long des viaducs.

 

Travaux ligne de la Côte bleue
Confortement de la voûte du tunnel du Rio Tinto. Photo DR SNCF Réseau.

Respect de l’environnement et économie circulaire

Comme c’est le cas maintenant pour des chantiers importants, SNCF Réseau prend en compte les enjeux environnementaux. Le massif de La Nerthe, traversé par la ligne, est un site classé, en partie protégé par le Conservatoire du littoral et Znieff1. Elle a contenu les impacts négatifs, en évitant par exemple d’intervenir sur des zones en période de nidification des faucons pèlerins, en éradiquant des espèces invasives comme l’agave pour la remplacer par des plantes locales, en respectant les espèces protégées. Le chantier a fait appel à l’économie circulaire : quasiment tous les matériaux utilisés ont été recyclés. 46 000 tonnes de ballast provenant de ligne à grande vitesse ont été réemployés, après avoir été triés et criblés sur le site de retraitement de Miramas. De la même façon, 50 kilomètres de rails et 40 000 traverses, issus aussi de ligne à grande vitesse, ont été réusinés à Saulon-La-Chapelle (21) avant d’être déposés sur les voies. Enfin, l’achat des matières premières s’est fait auprès de fournisseurs locaux.

Avec ce mode de déplacement rendu aux usagers, les pouvoirs publics affirment vouloir améliorer la mobilité dans une région surchargée en trafic routier, générant énormément de pollution. Renaud Muselier a ainsi annoncé des tarifs et des abonnement adaptés pour fidéliser la clientèle et attirer de nouveaux passagers. Si la fréquentation avant les travaux avaient augmenté de 12 % par an (entre 1 300 et 1 500 voyageurs par jour, avec une desserte toutes les 30 minutes en heure de pointe), l’ambition est d’aller bien plus loin, grâce à une circulation améliorée et plus fiable. D’autre part, la ligne de la Côte Bleue a été choisie pour recevoir, dès 2023, les premiers trains à batterie qui circuleront en France. Ce seront des Bombardier BCG, entièrement rénovés et dotés de batteries électriques pour remplacer leur moteur diesel, « plus sûrs, fiables et écologiques », s’est réjoui le président de la Région.

Cette ligne est en tous les cas une des plus belles. Elle offre des vues imprenables sur Marseille et la Côte bleue, et des passages vertigineux au dessus de ses calanques. Avec son calcaire qui reflète le soleil, elle propose alors des paysages superbes, en surplomb du bleu très intense de la Méditerranée à cet endroit, ce qui lui a valu son surnom. Les habitués l’ont retrouvé avec soulagement, et nul doute qu’elle sera encore une attraction incontournable pour les touristes.

                                                                                                                                                                  Nathalie Pioch


Co-financement du projet pour le renouvellement des voies: 35 millions d’€

  • 19 millions Région Sud-Paca (54%)
  • 9 millions Etat (26%)
  • 3 millions SNCF Réseau (8%)
  • 2 millions Département des Bouches-du-Rhône (6%)
  • 2 millions Métropole Aix-Marseille-Provence

11,4 millions d’€ financés sur fonds propres de la SNCF Réseau pour le confortement des tunnels et des versants rocheux.


 

Notes:

  1. Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique. C’est un espace naturel classé pour son caractère remarquable. 
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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.