Dans un pays en proie à la crise sanitaire… et à la présidentialisation galopante, quelle place reste-t-il pour les élections régionales et départementales ?
« Ah bon, il y a des élections cette année ? ». Cette question, les militant.es politiques qui arpentent d’ordinaire les marchés en temps de campagne électorale n’ont pas pu l’entendre… vu qu’il n’ y a pas de campagne. Eh ben oui, il y a des élections en 2021, enfin aux dernières nouvelles et en attendant que le Premier ministre, destinataire du rapport, se fonde sur… l’avis du Conseil scientifique. Comme quoi, le gouvernement sait se retrancher derrière l’avis d’autres personnes quand ça l’arrange. Sauf que le Conseil scientifique juge, à juste titre, que ce n’est pas à lui de prendre la décision. D’où l’annonce faite par Matignon selon laquelle « le gouvernement remettra au Parlement d’ici le 1er avril (sic) un rapport sur la base de cet avis qui donnera lieu à une consultation des formations politiques ». Une consultation, nous voilà rassurés, quoiqu’une consultation par les temps qui courent…
Les élections départementales et régionales, prévues le même jour, devaient initialement se tenir en mars. Compte tenu de l’épidémie qui perdure, le rapport commandé à l’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, avait préconisé le report au mois de juin, ce qui semblait arranger tout le monde. Mais aujourd’hui, on ne voit toujours pas le bout du tunnel de la crise sanitaire. D’où l’interrogation sur un éventuel report en septembre, au lieu des 13 et 20 juin.
Coincées entre la saturation médiatique autour du Covid, les calculs d’une « macronie » hors sol, quasiment sans relais locaux — qui doit quand même craindre le désaveu électoral — et la focalisation sur l’élection présidentielle de 2022, ces deux scrutins ont bien du mal à exister, même si quelques organes de la presse écrite s’y intéressent. Pour la plupart des médias, l’élection présidentielle a vampirisé toutes les autres consultations et le menu de 2022 est déjà concocté : l’inéluctable « duel » (« duo », disent certains, plus proches de la réalité) entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Une sorte de match retour comme en football, sauf que l’art du pronostic est aussi difficile en politique qu’en sport. Qui a décidé d’un tel scenario où l’on confond le possible, le probable et le certain ? Ne serait-ce pas ce que l’on appelle de la prophétie autoréalisatrice, l’art de faire advenir ce que l’on souhaite, en fait ?
À l’époque où il était Premier ministre, Lionel Jospin avait déjà mis en place l’inversion du calendrier électoral, à savoir l’organisation des élections législatives après la Présidentielle. Depuis, le mantra « il faut donner une majorité au président » fait des ravages tous les cinq ans et l’Assemblée nationale en est réduite à devenir la chambre d’enregistrement des volontés gouvernementales. L’hypertrophie d’une élection aux dépens de toutes les autres est le symptôme d’une Ve République à bout de souffle. Et les deux scrutins prévus en juin ne peuvent qu’en pâtir alors que le « casting » pour 2022 est déjà en grande partie établi. Dernier candidat en date à l’issue d’un faux suspens : Xavier Bertrand, président de la région des Hauts de France. Gageons que son score sera scruté uniquement sous cet angle et non sur ce qu’il a fait ou pas pour « sa » région. Les instituts de sondage n’ont pas tardé à sonder (c’est leur raison d’être)… pour un vote qui se tiendra dans un an ! Vite, les sondages pour 2027, on piaffe d’impatience.
Dix président.es de région contre le report
Dans ce contexte, dix président.es de régions métropolitaines — dont Carole Delga (Occitanie, PS) et Renaud Muselier (Provence-Alpes-Côte d’Azur, LR) — ont fait savoir leur refus d’un nouveau report. Depuis la réforme territoriale de 2015, le nombre de régions en France métropolitaine est passé de 22 à 13, décision prise par François Hollande et Manuel Valls sans que les citoyens et citoyennes aient jamais été consulté.es. Pourquoi s’embarrasser après tout ? Ce qui amène Romain Pasquier, titulaire de la chaire Territoires et mutations de l’action publique à Sciences Po-Rennes et directeur de recherches au CNRS, à parler de « jeu de domino territorial unique au monde »1.
Ne soyons pas injustes, cette réforme nous a quand même laissés des perles linguistiques comme « Hauts de France » pour désigner le regroupement du Nord-Pas de Calais et de la Picardie et « Grand Est » pour désigner une méga-région regroupant la Bourgogne, la Franche-Comté, la Champagne-Ardenne, l’Alsace et la Lorraine ! On doute fort que les habitants de ces régions s’appellent eux-mêmes les « Haut-de-Français » et les « Grand Estiens » mais on s’en fout puisqu’on ne leur a rien demandé. À ce petit jeu, la Bretagne et la Provence-Alpes-Côte d’Azur à laquelle Renaud Muselier a voulu rajouter « Sud » s’en sortent bien : leurs territoires n’ont pas bougé. À contrario, la « Nouvelle Aquitaine » regroupe l’Aquitaine, le Poitou-Charentes et le Limousin et va de Bayonne à Poitiers, soit un territoire aussi vaste que celui de l’Autriche. Et l’Occitanie (ex-Midi-Pyrénées plus Languedoc-Roussillon) qui a le mérite d’avoir un nom cohérent, est plus vaste que l’Irlande : 72 724 Km2 contre 70 273 Km2 et 5 585 000 habitants contre plus de 4 900 000 habitants pour la verte « Eirin »!
Il n’est pas certain que ces redécoupages soient de nature à motiver les électeurs et électrices qui jusqu’ici sont surtout occupé.es à tenter de s’y retrouver dans la stratégie gouvernementale de gestion de la crise, avec la subtile alchimie des « couvre-feux »-confinement-déconfinement-reconfinement-conférences de presse hebdomadaires-allocutions présidentielles… etc. Il est vrai que tout cela n’a pas été fait pour ça. Même que si l’on avait voulu éloigner les citoyens des centres de décision, on ne s’y serait pas pris autrement.
Si l’on ajoute à ce tableau un manque de clarté et de lisibilité politiques (sauf à ce jour dans les Hauts-de-France où les différentes formations de gauche et écologistes sont parvenues à un rassemblement), un déficit flagrant d’informations, l’absence de débats de fond dans les mass-medias sur l’avenir des départements et des régions, leurs rôles respectifs, leurs attributions, l’interrogation sur la possibilité de mener réellement campagne… cela fait beaucoup d’éléments pour détourner les électeurs des urnes et regretter, le dimanche soir venu, « la faible participation » sur les plateaux de télévision.
Le « débat » politique actuel est surtout alimenté par des polémiques de caniveau sur « l’islamo-gauchisme », les repas sans viande dans les restaurants scolaires de Lyon, l’Unef ou, récemment, les propos d’Audrey Pulvar sur la question des groupes de paroles non mixtes. Le Figaro a aussitôt posé la question : « le PS doit-il retirer son investiture à Audrey Pulvar ? » L’ancienne journaliste de France Télévisions mènera la liste présentée par le PS aux élections régionales en Île de France.
Paysage électoral incertain
Le paysage est encore incertain et mouvant à tel point que l’on pourrait dire que les seules certitudes concernent la volonté de Carole Delga et de Renaud Muselier d’effectuer un second mandat dans leur région respective. La première est soutenue dès le premier tour par le PCF qui s’était déjà rallié au premier tour des Municipales 2020 aux candidatures PS de Nadia Pellefigue à Toulouse et Michaël Delafosse à Montpellier. Le second est président d’un Conseil régional limité à un face-à face entre LR et extrême droite, comme dans les Hauts-de-France. Mais à la démarche unitaire qui prévaut finalement dans cette région, certains ont préféré une autre voie, malgré l’appel rassembleur Il est temps (réunissant des membres de la France insoumise, du PCF, d’EELV, du PS et des citoyens) qui a recueilli plus de 2000 signatures. Le Varois Jean-Laurent Felizia, conseiller municipal au Lavandou et porte-parole régional d’EELV conduira finalement une liste avec ses alliés du Pôle écologiste (la formation de Corinne Lepage, Cap 21, et l’Alliance écologiste indépendante). Le géographe Olivier Dubuquoy, élu dans un premier temps chef de file d’EELV pour ces élections régionales a été suspendu par le bureau exécutif national de son parti « parce qu’il n’avait pas respecté la stratégie votée en majorité par les militants »2. Il reste fidèle à l’appel d’Il est temps dans lequel il voit une sorte de « Printemps marseillais à l’échelle régionale » et considère que « l’objectif est d’arracher cette région à la droite et à l’extrême droite ».
La tête de liste de ce rassemblement devrait être désignée dans les premiers jours d’avril mais, assure Olivier Dubuquoy, « que ce soit une femme, un homme, un duo ou un trio, l’incarnation de ce rassemblement sera choisie collectivement ».
En Occitanie où Carole Delga, à la tête d’une liste rassemblant au second tour l’ensemble des composantes de gauche l’avait emporté dans une triangulaire face à Louis Aliot (FN) et Dominique Reynié (UMP, à l’époque parmi les invités fétiches des plateaux télé d’Yves Calvi), la configuration qui se dessine est encore incertaine. Pour l’heure c’est l’impression d’éclatement qui domine avec une possible présence de trois listes « à gauche » : celle de la présidente de région socialiste, celle conduite par Antoine Maurice (EELV), tête de liste d’Archipel citoyen lors des élections municipales à Toulouse et celle de la FI où Myriam Martin et Manuel Bompard ont déclaré : « Nous ne faisons pas de la tête de liste un préalable », une façon de tendre la main à EELV.
À droite, la distribution des rôles semble établie avec les candidatures annoncées d’Aurélien Pradié, numéro 3 du parti Les Républicains, du maire de Balma (commune limitrophe de Toulouse), Vincent Terrail-Novès, un ex-LR soutenu par LREM, et de Jean-Paul Garraud, un ancien député UMP passé au Rassemblement national.
J-F Arnichand