La vie offre peu de moment plus agréable, dans les circonstances que nous vivons, que de voir la jeune génération s’exprimer politiquement en faisant la fête. Et dans ces circonstances de changements décisifs où l’avenir semble conduire la jeunesse vers un terrain miné, que l’on participe ou non à la mobilisation contre la loi relative à la « sécurité globale », ce moment est exquis. Beaucoup de Montpelliérains l’ont apprécié samedi 30 janvier à Montpellier au passage du cortège sonorisé qui a traversé la ville sous la pluie.


 

Ce jour là, les opposants au texte appelaient à de nouveaux rassemblements dans de nombreuses villes de France. Montpellier compte parmi les places les plus innovantes à s’élever contre cette loi qui organise le « continuum de sécurité » en s’appuyant sur le contrôle technologique, la répression et la limitation des libertés individuelles. Outre le fait que le Collectif Danger Loi Sécurité Globale Montpellier rassemble une soixantaine d’organisations — collectifs, membres de partis politiques, de syndicats, d’associations de défense des droits de l’homme, représentants des médias, avocats, gilets jaunes, lycéens et étudiants… —, il ébauche depuis bientôt trois mois avec détermination un nouveau mode de mouvement social en s’adaptant aux situations. Le fruit d’un travail d’équipe continu donne le jour aux accessoires de la lutte et de la fête.  Cela va de la construction d’un drone géant en carton pâte, aux opérations de tractages ciblés, en passant par l’interpellation des élus, le maillage des quartiers de la ville, et l’envie de retisser du lien en échangeant simplement ensemble.

Cette énergie nouvelle, qui émane vraiment de la société civile, se caractérise par sa capacité d’ouverture. Le collectif doit la souplesse de son organisation et sa force aux efforts conjoints des membres des partis politiques et des syndicats qui acceptent de laisser au vestiaire leurs grands principes et à ceux des citoyens engagés qui dépassent leurs jugements sur la lourdeur et la lenteur des appareils. À la différence de beaucoup d’élus — pour qui c’est certainement plus difficile — la majorité des membres du collectif a compris qu’il ne s’agissait pas de mener un combat pour le pouvoir mais de défendre notre démocratie en restituant et en inventant des contre-pouvoirs. Pour ces citoyens déjà engagés pour des causes diverses, le moment est requis pour faire corps autour d’un dénominateur commun et s’élever enfin contre le crépuscule d’un monde sécuritaire. L’enjeu n’étant pas de convaincre les convaincus mais de sensibiliser largement l’opinion publique, l’action se joue sur le terrain. Sans entrer dans le détail, il paraît aisé de faire comprendre que dans une démocratie comme la nôtre, ficher tous les citoyens et les rendre suspects n’offre aucune perspective et pourtant…

Au sein du collectif chacun sait que la lutte sera longue ; elle s’organise dans la durée. Ce qui reste de l’épisode d’hier, un petit moment d’éternité vécu sous la pluie, annonce d’autres rencontres de la plus belle et de la plus rare qualité. Il y a bien sûr l’acte de résistance au pouvoir de l’État, à son chef, et localement aux préfets. Acte de résistance ou de désobéissance de la société civile qui peut être considéré comme légitime dès lors que les garants du droit s’émancipent de ce droit comme cela s’est produit à Paris et en région. Pour résorber la ligne de fracture dans la gestion de l’ordre public, la mission d’encadrement du maintien de l’ordre doit être restaurée pour éviter la confusion entre les actions de prévention et de répression et améliorer les relations police/population. Sur ce point, on peut citer à titre d’exemple des actions menées par la police au détriment de la mission d’encadrement et de protection des manifestations comme l’usage des drones lors des manifestations, déclaré illégal par le Conseil d’État, les charges policières injustifiées ou la saisie du matériel de sonorisation dans un cadre juridique contestable à Montpellier, finalement restitué après l’intervention du procureur de la République. Mais ce qui restera en mémoire, c’est surtout la scène d’une jeunesse qui se retrouve et exprime joyeusement son désaccord avec le concours de leurs aînés.

 

Expressions décloisonnées

 

Manifestation contre la « Sécurité globale », escale devant le commissariat de Montpellier. Photo DR altermidi

À cet égard, il faut encore préciser que les services de la préfecture, qui ne font que répondre à la stratégie de sape fomentée par le ministère de l’Intérieur, avait décidé d’interdire par arrêté « toute manifestation organisée dans le périmètre de l’Écusson, ce samedi 30 janvier 2021 entre 14 heures et 18 heures » mais d’autoriser au prix d’une âpre négociation le parcours de la manifestation contre la Loi Sécurité globale entre 11 heures et 14 heures. Ce qui pourrait être considéré comme un détail, mais qui n’en n’est pas un, concerne les pressions exercées pour bannir la musique techno auxquelles le collectif n’a pas cédé. Car après tout, pourquoi l’autorité tolérerait-elle les sempiternelles bandes musicales des syndicats reconnus et s’opposerait à l’univers techno-culturel affirmé comme un vecteur d’identification et d’expression fort dans les jeunes générations ?

Le cortège a fait escale devant le commissariat pour une intervention orale où a été souligné l’aspect systémique de la violence policière, le fait que cette violence touche tout le monde et particulièrement les jeunes qui craignent le plus la police — l’un deux, présent dans le cortège, en a fait les frais en perdant un œil lors d’une autre manifestation. Cet arrêt symbolique, comme le suivant devant l’Hôtel de ville, pourrait être interprété comme une provocation. Mais il n’en est rien car les discours dénoncent mais ils ne sont pas hermétiques ; devant le commissariat, a aussi été rappelé : « Notre démocratie a besoin de la police, car dans les pays totalitaires celle-ci est remplacée par les mafias. Nous ne voulons pas des mafias, nous voulons une police au service des citoyens. »

Hier, cette manifestation d’un autre type a rassemblé à Montpellier trois mille jeunes, avec l’assistance bienveillante des moins jeunes qui se sont impliqués, notamment sur le front juridique, pour qu’elle puisse se tenir. Le service d’ordre était assuré par le collectif sans distinction de genre, ce qui pourrait renvoyer aux effectifs de CRS qui ne compte que 3,23 % de femmes. A  Montpellier vivent 70 000 étudiants et plus encore de jeunes que la gestion de la crise sanitaire a plongé dans un vide sidéral. On ne mesure pas encore vraiment l’espace de vie important dont ils sont privés et dont ils nous privent. La manifestation d’hier a contribué à nous le rappeler. Cette expression festive et politique suscite l’espoir après le vide. À l’apogée de ce magnifique défilé sous la pluie, on a eu l’impression que tout peut recommencer autrement.

Jean-Marie Dinh

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.