Au lycée Langevin de Martigues, les élèves ont rencontré l’artiste yéménite Murad Subay, en partenariat avec Amnesty International. Il leur a parlé de son engagement artistique pour dénoncer la guerre dans cette partie du monde où peu de regards se posent.
C’est habituel : tous les ans, pour le 10 décembre, date anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme à l’ONU, le groupe martégal d’Amnesty International est invité dans les lycées de la commune pour présenter ses actions et les citoyens qui ont maille à partir avec la justice ou le gouvernement de leur pays, de façon jugée arbitraire et illégale par l’organisation.
Mais cette année à Langevin, dans le cadre du Conseil de vie lycéenne (CVL), les élèves en lien avec le CDI et sa professeure documentaliste ont accueilli Murad Subay, artiste yéménite qui dénonce la guerre dans son pays. Depuis plusieurs années il expose sur les murs des villes les conséquences de cette guerre dont quasiment aucun média ne parle. Mais Murad Subay est pugnace, sa volonté est plus forte que la peur (il a été menacé de mort dans son pays) et il continue inlassablement à interpeller les consciences à travers ses affichages.
Né en juillet 1987 à Dhamar, celui que certains appellent « le Banksy du Yémen » est un grapheur très connu dans son pays. Il s’exprime depuis le début du conflit en 2014 — qui aurait fait au moins 230 000 victimes civiles — en témoignant des disparus et des morts considérant qu’il ne peut pas rester silencieux face au drame. Installé à Martigues depuis quelques mois, il dénonce également la responsabilité des États occidentaux, au premier rang desquels la France. « Cette guerre n’est pas une guerre de religion, contrairement à ce qu’on peut dire, c’est une guerre par procuration. C’est une coalition des États arabes emmenée par l’Arabie saoudite et soutenue par les États-Unis qui bombardent le pays. » S’il pointe du doigt la responsabilité de la France, c’est en raison de sa vente d’armes aux pays coalisés. Une situation d’autant plus insupportable pour lui qu’elle est complètement illégale car ces armes sont utilisées contre les civils. Or, la France est signataire du Traité sur le commerce des armes classiques (TCA)1 qui interdit le transfert d’armes pouvant servir à des attaques contre les civils. Un rapport de l’ONU publié en septembre 2019 considère d’ailleurs que la France « est complice de crimes de guerre », Emmanuel Macron assumant la vente d’armes à l’Arabie saoudite qui sont utilisées au Yémen — et par conséquent contre la population.
En décembre 2019, pour dénoncer ce qu’il appelle « une hypocrisie », l’artiste se lance dans un projet intitulé « Last dance of the dead ». À travers 50 peintures réalisées sur trois murs parisiens (dont un dans le quartier du Marais), il représente sur un fond rouge des corps en train de danser dans des positions différentes, « les membres ondulés comme des vagues de la danse de l’eau, des corps compressés comme s’ils exécutaient une danse rituelle que les mortels ne connaissent pas ».
« Nous habitons tous la même maison »
Aux lycéens venus le rencontrer, il a délivré un message simple mais percutant : « Si les droits de l’homme sont bafoués dans un pays, ils le sont partout. Aussi, ne vous sous-estimez pas : vous pouvez agir à votre manière, plus que vous ne le pensez. Vous pouvez signer des pétitions, vous pouvez vous exprimer par l’art, diffuser sur les réseaux sociaux… nous sommes concernés car nous habitons tous la même maison. » En décembre, l’artiste a lancé sur Facebook une campagne qu’il a intitulé « Faces of War Selfie » : il invitait les personnes à se prendre en photo devant une des ses œuvres affichées à Paris et à la poster sur le réseau social avec les hashtag #human rights ou #defenders.
Un témoignage qui a marqué les lycéens, par la personnalité de Murad Subay mais aussi par le contenu. Kris l’a trouvé « très enrichissant », car comme pour Émilie ou Mélissa, ils ont appris l’existence de ce conflit au Yémen : « Ce qu’il nous a dit dénonce doublement. On ne sait pas ce qu’il se passe dans d’autres pays, et la responsabilité de la France qui a du sang sur les mains. Elle ne peut pas ne pas être au courant de la situation, et pourtant elle continue de vendre des armes. Et le grand silence des médias qui ne parlent pas de cette guerre. C’est « ouf » qu’en 2020, personne ne fasse rien. Avant, quand il y avait des guerres, on pouvait dire qu’on n’était pas au courant. Mais aujourd’hui, avec les moyens de communication, les réseaux sociaux, on ne peut pas ignorer ce qui se passe. »
Selon le souhait des lycéens, des enseignants et de l’artiste, cette rencontre a trouvé un prolongement. Trois interventions sont programmées en ce mois de janvier en direction de lycéens volontaires. La première est en cours : c’est une œuvre sur toile de 5 mètres de haut qui sera affichée à l’intérieur du lycée. L’objectif est aussi d’apprendre la technique du pochoir à partir d’une peinture de Murad Subay. Les deux autres concernent la création d’une grande fresque sous le préau, sur le thème de la Paix. Les lycéens doivent faire leurs propositions pour ensuite la mettre en forme et participer ainsi, comme leur a proposé l’artiste, à privilégier les interventions pacifistes dans tous les conflits armés.
Nathalie Pioch
Murad Subay a reçu le 14 novembre 2014 le prix « Art pour la Paix » de la fondation italienne Umberto Veronesi qui récompense chaque année un artiste qui promeut la paix dans le monde. Il est également lauréat du « Prix 2016 de la liberté d’expression des arts » reçu le 13 avril 2016 par l’organisation Index on Censorship à Londres.
Voir aussi : Les lignes de force de la diplomatie égyptienne au Moyen-Orient,
Notes:
- Adopté par les Nations Unies en avril 2013, ratifié par 130 États dont la France, il est entré en vigueur le 24 décembre 2014. L’alinéa 3 de l’article 6 stipule qu’un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels.