À l’heure d’un pessimisme débridé, les bonnes nouvelles sont les bienvenues. Dernière en date pour les usagers de l’eau d’Avignon : avoir obtenu que la nouvelle assemblée communautaire élue en juin dernier revienne sur une décision de la mandature précédente, celle de racheter à l’ancien délégataire de l’adduction d’eau Veolia des compteurs qui sont pourtant la propriété de la collectivité. Le 14 décembre dernier, les élus ont tranché.
Pour bien comprendre le problème soulevé par le collectif des usagers de l’eau concernant les compteurs d’eau que Veolia veut facturer au Grand Avignon, il faut s’intéresser aux textes régissant les délégations de service public.
L’article L. 2224-11-4 du Code général des collectivités territoriales dispose que « le contrat de délégation du service public d’eau ou d’assainissement impose au délégataire, d’une part, l’établissement en fin de contrat d’un inventaire détaillé du patrimoine du délégant, d’autre part, sans préjudice des autres sanctions prévues au contrat, le versement au budget de l’eau potable ou de l’assainissement du délégant d’une somme correspondant au montant des travaux stipulés au programme prévisionnel (…) et non exécutés. » Cet argument, utilisé dans la procédure d’annulation des contrats nouvellement confiés à Suez pour l’eau potable, n’a certes pas permis l’annulation de ces contrats malgré une procédure jugée le 17 novembre dernier. Mais il donne l’état des choses au moment du jugement.
L’opiniâtreté des usagers, face à une collectivité qui avait même budgété le rachat de compteurs qui lui appartiennent, a permis aux élus de se ressaisir en date du 14 décembre dernier.
Cinq ans de bataille
Il faut revenir cinq ans en arrière, en 2015 ; la décision prise par la collectivité d’avancer la fin du contrat de Veolia prévue pour 2020 à… 2018. C’est à cette occasion que sera ajouté un avenant dont l’article 9 prévoit le rachat des compteurs, avec en annexe une évaluation de la valeur en 2015 à 1,5 million d’euros. Cet avenant fera réagir les associations d’usagers. Pour elles c’est « une arnaque, sachant qu’en 1986 il y avait 40 000 compteurs appartenant à la régie municipale et le renouvellement des biens mis à disposition du délégataire (branchements, matériels hydrauliques, compteurs, etc.) à la charge de Veolia, donc inclus dans le tarif ; ainsi les charges de renouvellement sont dès le départ dans leurs obligations et font l’objet de « provisions » comprises dans les factures des usagers ». Inacceptable donc, de payer à Veolia des biens qui ne lui appartiennent pas et ont déjà été payés par les usagers. Il semblerait que la société privée ait convaincu les élus, en tout cas les présidents et vice-présidents de l’agglomération, puisque ce sont ces derniers qui vont défendre pied à pied la position de Veolia, jusqu’à la démission du président Roubaud.
Préfet et finances publiques interpellés
Le collectif des usagers va interpeller le préfet qui refuse de déférer mais qui demande des explications au Grand Avignon en avril 2016, puis reçoit en mai 2016 des représentants du collectif en présence de leur avocate. Les usagers vont bien entendu aussi interpeller le Grand Avignon par recours gracieux qui se soldera par un refus d’annuler la délibération, plusieurs vice-présidents affirmant que les compteurs sont propriété du délégataire Veolia. Les nombreux contacts des adhérents du collectif dans le pays invitent à creuser l’affaire et les usagers vont mettre le nez dans les rapports annuels du délégataire, qui sont pratiquement les seuls documents échangés entre le délégataire et la collectivité donneuse d’ordre. « L’étude des rapports des délégataires pour 2012, 2013 et 2014 nous fait découvrir une « tricherie » de la part de Veolia qui a fait glisser les compteurs qualifiés « biens de retour appartenant à la collectivité » en 2012 à « biens de reprise appartenant au délégataire » en 2014, après un « blanc » en 2013. » Il s’agit donc bien d’une tromperie. Enfin, d’une tentative.
Pour autant, les révélations du collectif, documents en mains, n’ont convaincu dans un premier temps ni le préfet, ni le directeur départemental des finances publiques interpellés à leur tour.
Opération « contre-facture », une information massive des usagers
Le collectif décidera alors une tournée des écoles pour inviter les usagers à faire une lettre de réclamation dans laquelle ils refuseront de payer les compteurs (environ 400 de ces lettres arriveront à Veolia sous forme de contre-facture), au moins 4 000 tracts seront distribués : c’est l’opération « contre-facture ». L’avocate du collectif, Maître Durand, aura une idée géniale : elle proposera à tous les conseillers communautaires de saisir le procureur, au nom de l’article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation à un élu de communiquer au procureur des faits délictueux. Les 59 conseillers recevront une lettre explicative de l’avocate sur le faux en écriture de Veolia et sur le possible détournement de biens publics avec toutes les preuves en pièces jointes. Au final, ce sont 7 élus qui vont écrire au procureur de la République, malgré les rodomontades du président Vacaris et ses menaces de plainte pour diffamation. Avant de faire volte-face et de recevoir une délégation d’usagers.
Le coup de théâtre consistera en une enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République, l’occasion pour le collectif de déposer une plainte contre X pour faux en écriture.
Nouveaux élus, nouvelle donne
Si en fin de compte la justice ne leur donnera pas raison, la campagne électorale des municipales, bien que ne mettant pas en débat cette question, va apporter avec ses nouveaux élus un nouvel élan. Les factures 2019 de Suez ont fait scandale, c’est le cafouillage complet, aucun relevé de compteur au 31 décembre 2018 par Veolia sous la protection de la gouvernance du Grand Avignon, alors que l’on parle de plus en plus d’une OPA de Veolia sur Suez… « Lors de nos rencontres avec les nouveaux conseillers communautaires de l’automne 2020, nous parlons à chacun de ce dossier en leur demandant d’intervenir. Des élus interpellent le nouveau président Joël Guin en demandant l’inventaire des biens concédés à Suez dans le nouveau contrat et le bilan financier de 33 ans de gestion Veolia. »
Enfin, le 14 décembre 2020, le conseil communautaire votera la délibération 32 : bilan financier de fin de contrat, le rachat du parc compteur est annulé, la somme de 1,5 million d’euros ne sera pas payée ; cette délibération annulera de fait celle du 20 décembre 2018 sur l’ouverture de crédit pour racheter les compteurs.
C’est une bonne nouvelle pour cette année 2021 qui débute: la mobilisation peut être bénéfique, si elle est pourvue, légitimement ancrée dans son bon droit, de la détermination à ne pas céder. Comme le formule joliment Marcelle Landau, présidente du collectif des usagers de l’eau, « le pot de fer finit par rouiller contre le pot de terre ».