Après les manifestations de lycéens, les enseignant-e-s étaient appelés à une journée de « grève sanitaire » le mardi 10 novembre, pour réclamer des recrutements et une meilleure prise en compte des nouvelles contraintes liées à la Covid-19.


 

Le droit de grève, c’est bien…à condition de ne pas s’en servir. C’est en tout cas l’interprétation que l’on peut faire de ce jugement du Parisien, quotidien qui figure toujours parmi les favoris des revues de presse : « les syndicats d’enseignants prennent le risque d’ajouter une crise à la crise. Est-ce vraiment le moment ? ». Le problème avec Le Parisien (qui accessoirement appartient au groupe de luxe Louis Vuitton-Moët-Hennessy), c’est que ce n’est jamais le bon moment pour faire grève. Que l’on soit postier, agent EDF, salarié de l’automobile, des raffineries, (rendez-vous compte, ils pourraient bloquer les dépôts pétroliers !) soignant, cheminot…

Alors, que demandent ces enseignant-e-s qui ont décidé avec leurs syndicats (FSU, SUD éducation, CGT Educ’Action, FO et SNALC) de suivre une journée de « grève sanitaire » le mardi 10 novembre ? « Des moyens », tout simplement, c’est-à-dire des recrutements et la possibilité de dédoubler les classes afin de satisfaire aux exigences d’une période délicate, cela n’aura échappé à personne, sur le plan sanitaire. On veut bien transformer les professeurs en héros lorsqu’ils sont victimes d’un fanatique mais faut pas exagérer non plus. On veut bien nous ressortir l’image d’Épinal des « hussards noirs »1 comme un député LRem a osé le faire à la tribune de l’Assemblée mais réclamer « des moyens »! Quel culot alors que la France souffre !  Et si on avait consacré plus de « moyens » à l’hôpital public, à l’Éducation nationale, au hasard, peut être que la France souffrirait moins ? Cela ferait un bon sujet pour une épreuve de SES au Bac, non ? Et si l’on y réfléchissait plutôt que de taper sur les doigts de ces foutus  fonctionnaires qui passent leur temps à « grogner » ? Vous avez remarqué le retour du mot « grogne » à chaque mouvement social ? Un fonctionnaire, ça « grogne », un peu comme un ours que vous dérangeriez pendant son hibernation. Ou un mammouth, tiens. Et un fonctionnaire gréviste, alors là…

Pourtant, quand un professeur de Martigues relève que « dans d’autres pays, c’est vrai en Espagne, en Italie, des professeurs ont été recrutés pour faire face à cette situation sanitaire exceptionnelle », on peut se demander pourquoi la France n’a pas suivi le même chemin. Et ce sans risquer pour autant l’anathème des pères la morale médiatiques. « Même si  dans les lycées, on a obtenu des dédoublements  parce que dès la rentrée les professeurs, les élèves, les parents sont montés au créneau pour dire que ça ne pouvait pas fonctionner comme ça, il n’y a aucun plan de recrutement, ni d’enseignants, ni de personnel IATOS », indique Philippe Sénégas. Si le responsable  local du SNES-FSU reconnaît qu’« intelligemment, je dirais, le ministre Blanquer à reculé pour les lycées, il n’a rien fait pour les collèges ». 

 

Hausse démographique du nombre d’élèves… pas du nombre d’enseignants

 

Les syndicats enseignants n’ont certes pas attendu ce satané virus pour demander un véritable plan de recrutement mais la situation actuelle rend le problème encore plus aigu. « À la rentrée, nous avons eu une hausse démographique très conséquente dans les lycées et dans les collèges et pour faire face à cette progression du nombre d’élèves, le nombre de professeurs a diminué, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, c’est d’autant plus vrai aujourd’hui où l’urgence scolaire se double d’une urgence sanitaire », souligne cet enseignant en histoire-géographie. Outre les « profs », les assistants d’éducation (AED, les surveillants) ont participé à cette journée dans de nombreux collèges des Bouches-du-Rhône : à 100 % dans la petite commune du Pays d’Aix, Le Puy-Sainte-Réparade, aux collèges Darius Milhaud et Jean Malrieu de Marseille, au collège Virebelle de La Ciotat, au Collège Mignet d’Aix-en-Provence…

Le problème c’est que le rectorat, par la voix de sa porte-parole, avait déjà signifié la semaine dernière qu’« on ne peut pas multiplier le nombre de classes et le nombre de professeurs. Le budget n’est pas extensible. On essaie de faire au mieux. Nous favorisons le présentiel pour éviter le décrochage scolaire. On prend aussi en compte les élèves qui ne disposent pas d’outil informatique et il apparaît que les contaminations se produisent plus en milieu privé qu’en milieu scolaire »2.

Évidemment, personne ne prétendra que cette pandémie est facile à gérer mais les syndicalistes enseignants relèvent qu’avec un minimum d’anticipation, on aurait pu faire mieux. « Depuis le premier confinement, les syndicats ont demandé au ministre de l’Éducation nationale de planifier un peu la rentrée scolaire, la deuxième vague, tout le monde en parlait et lorsque le mois de septembre est arrivé, on a fait comme si de rien n’était », déplore Philippe Sénégas

Qu’est ce qu’ils revendiquent, ces enseignant-e-s irresponsables ? « Ce qu’on demande simplement, c’est que l’Éducation nationale fasse partie des priorités de ce gouvernement, c’est vrai dans les propos, dans la com’ mais dans les faits, on attend toujours », indique Philippe Sénégas. C’est ce que Le Parisien appelle « ajouter de la crise à la crise » ? Les syndicalistes ? Jamais contents, on vous dit. Tout juste bons à « grogner ».

                                                                                                            Morgan G.

 

 

 

Notes:

  1. Hussard noir est le surnom donné aux instituteurs publics sous la IIIᵉ République. Ils incarnaient la mission civique d’instruire le peuple, cette instruction obligatoire gratuite et laïque et représentaient tant une des élites de la nouvelle république qu’une autorité morale, civique et intellectuelle certaine.
  2. Source Maritima Médias
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"