Le lundi 2 novembre, jour de rentrée pour les élèves, fut aussi celui d’un nouvel hommage rendu au professeur du lycée de Conflans-Sainte-Honorine, Samuel Paty. Avec parfois des aménagements locaux : explications avec Alexis Nicolaï, enseignant d’histoire-géographie à Martigues, dans les Bouches-du-Rhône.


 

Il fallait conjurer, dès les premiers jours après l’assassinat de Samuel Paty, l’effet de sidération provoquée par l’horreur de l’acte. Rapidement, partout dans le pays, des hommages ont été rendus à l’enseignant. Sur les places, devant les hôtels de ville, dans les stades, avant que ne soit décidée l’organisation d’une cérémonie officielle tenue dans un lieu symbolique du savoir : la cour de la Sorbonne.

Les établissements scolaires se devaient aussi de prendre le temps du recueillement et de l’hommage, même si depuis, un autre tueur a semé la terreur dans une église de Nice. C’est chose faite, dans un consensus républicain dont le ministre de l’éducation n’a pas toujours été digne, malgré ses proclamations.

« Dès les vacances, les collègues voulaient banaliser les deux premières heures pour se recueillir et échanger, le proviseur était d’accord, le ministre semblait aller dans ce sens mais après, il y a eu un revirement, a priori lié au contexte d’attentats, d’où une certaine fronde dans l’Éducation nationale de la part de pas mal d’enseignants et même de certains proviseurs » précise Alexis Nicolaï, professeur d’histoire-géographie au Lycée Jean Lurçat de Martigues et militant syndical à Sud-Éducation.

Prévue dans le cadre de cet hommage à Samuel Paty, la lecture de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs et institutrices avait soulevé une polémique ces derniers jours. Une partie de la lettre originale du grand théoricien du socialisme a en effet disparu de la version proposée sur le site du ministère. Jaurès y évoquait « un système déplorable (que) nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement en sacrifiant la réalité à l’apparence ». Ce passage de la lettre pouvait faire écho à une certaine culture de l’évaluation permanente… qui ne touche pas uniquement l’Éducation nationale. Le ministre Jean-Michel Blanquer s’est défendu de toute accusation de censure : « Comme c’est une lettre très longue, il y a des passages que mes services ont enlevés […] ces paragraphes n’ont rien de tabou »1.

 

Jean Jaurès, Magyd Cherfi, Andrée Chedid…

Organisé nationalement, cet hommage  a pu se dérouler avec des ajustements locaux, comme au Lycée Jean Lurçat de Martigues : « Notre proviseur a eu le courage de maintenir ces deux heures, souligne Alexis Nicolaï, on a pu discuter et en plus de la lettre de Jaurès2, on a voulu lire d’autres textes comme celui de Magyd Cherfi3 qui a vraiment touché les profs et les élèves, et un texte d’Andrée Chedid sur l’espoir de la jeunesse4, l’hommage s’est très bien déroulé, mille élèves étaient dans la cour. » Non seulement, il n’y pas eu d’absence de respect de ce moment (Jean-Michel Blanquer n’avait pas hésité à « promettre » des sanctions) mais « lors de l’heure suivante, les professeurs ont aussi parlé de l’hommage, des caricatures ». 

Ces caricatures parues dans Charlie Hebdo, montrées en cours d’Éducation morale et civique (EMC) par Samuel Paty. Un enseignement qui devrait être synonyme d’échanges, d’ouverture, de confrontation d’idées, d’appréhension de notions qui sont loin d’être simples. On connaît pourtant l’engrenage infernal qui a conduit à l’assassinat de l’enseignant, de dénonciation sur les réseaux sociaux en collégiens soudoyés pour livrer l’adresse du professeur. Érigé en symbole civique de l’acceptation de la liberté d’expression, l’enseignement d’EMC fait pourtant figure de parent pauvre. « Hier, [lundi 2 novembre, Ndlr] Jean-Michel Blanquer a dit dans une interview qu’il avait renforcé l’EMC, ce n’est pas vrai du tout », souligne Alexis Nicolaï. Les syndicalistes ont le vilain défaut de confronter les propos officiels à la réalité des faits. Et il arrive, en outre, que des dires ministériels dépassent franchement les bornes : « Notre syndicat a été qualifié d’ « islamo-gauchiste », on l’a très mal pris », confie l’enseignant. L’anathème, actuellement employé jusqu’à l’écœurement, vient directement des éléments de langage de l’extrême droite. En matière de défense sourcilleuse de « La République » et de la laïcité, on peut faire mieux.

 

« Liberté », « lien social », « démocratie »

« Les profs de Sciences économiques et sociales font aussi de l’EMC » précise l’enseignant d’histoire-géographie, « auparavant, c’était en demi-groupes à raison d’une heure par quinzaine, travailler avec des groupes de 15 permet de faire des recherches, des débats, des exposés mais depuis la réforme du lycée, avec la limitation de moyens, on a perdu les demi-groupes : on fait de l’EMC à 35-36 élèves dans certaines classes ». Il est vrai que « l’EMC est reconnue comme une matière à part entière avec une moyenne, on a une note en histoire-géo et une en EMC », indique-t-il.

Les programmes de l’Éducation morale et civique sont conçus par niveaux, avec une grande notion à explorer dans chacun d’eux : la liberté en Seconde, le lien social en Première et la démocratie en Terminale. « La laïcité peut être abordée dans les trois niveaux », souligne Alexis Nicolaï. Probablement de manière plus honnête et plus riche que sur les sinistres plateaux télé de C. News…

Morgan G.

Notes:

  1. Cité dans L’Humanité du mardi 3 novembre 2020
  2. « Lettre aux instituteurs et aux institutrices », parue dans le quotidien régional toulousain La Dépêche en 1888
  3. Ancien chanteur du groupe toulousain, « Zebda », Magyd Cherfi est notamment l’auteur de deux livres : « Ma part de Gaulois » et « La part de Sarrasin »
  4. Née au Caire en 1920, disparue en 2011. Écrivaine française d’origine libanaise.
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"