Derrière les chiffres, les choix politiques : ce pourrait être la formule à appliquer à tous les budgets, des communes jusqu’à l’État. Le vote de la première partie de la loi de finances 2021 qui s’est déroulé mardi 20 octobre à l’Assemblée nationale n’échappe pas à la règle.
Destiné officiellement à viser « la relance de l’activité et de l’emploi » à l’heure où les mal nommés « plans sociaux » se multiplient dans de nombreux secteurs (aérien, commerce et grande distribution, automobile, etc.), le budget intègre une partie du plan présenté le 3 septembre par le premier ministre Jean Castex.
Le chiffre de 100 milliards d’euros, censé traduire l’ambition affichée par le gouvernement et le groupe LREM, n’a pas convaincu tout le monde si l’on en juge par les appréciations portées par la députée FI, Mathilde Panot, et le député européen EELV, David Cormand. « Pour la France, on nous annonce 100 milliards d’euros mais quand on détaille les chiffres, on voit que 40 milliards viennent de l’Union européenne et que le reste a déjà été voté dans des plans de finances rectificatifs », indique la première tandis que le second considère que « le terme de plan de relance n’est pas bon. […] Une relance, ça laisse entendre qu’on repart sur les mêmes bases, qu’on relance la machine. Comme s’il fallait revenir à la situation antérieure ».1
Selon le gouvernement, il s’agit pourtant du « premier budget vert » dans la mesure où la totalité des dépenses du budget de l’État et des dépenses fiscales « fait l’objet d’une cotation indiquant leur impact environnemental (climat, ressource en eau, économie circulaire, lutte contre les pollutions, biodiversité) ». On peut y voir le résultat des alertes citoyennes lancées sur ce sujet depuis de nombreux mois, les députés ont en tout cas voté pour exclure les résidus d’huile de palme et les produits à base de soja des biocarburants bénéficiant d’incitations fiscales. Une fois n’est pas coutume, les parlementaires ont même soutenu un amendement sur ce sujet présenté par Eric Coquerel pour La France insoumise. L’amendement présentée par sa collègue Caroline Fiat qui visait à « appliquer le taux de TVA des biens de luxe, 33 %, aux arts de la table » n’a pas eu le même bonheur. On ne touche pas aux arts de la table, même si la députée précise qu’il s’agit des arts de la table « de luxe »…
Si le rapporteur LREM, Alexandre Holroyd, a parlé de « remise à plat des dogmes et des certitudes », les différents groupes d’opposition n’ont pas vraiment trouvé trace de cette belle ambition dans les décisions gouvernementales. « Ce budget est marqué du sceau de la déception », souligne Christine Pires-Beaune, au nom du groupe Socialistes et apparentés. La députée du Puy-de-Dôme cite des « chiffres qui donnent le vertige : plus 80 % de plans sociaux, plus 130 000 allocataires du RSA, et pointe une obstination sur la baisse des impôts de production qui ne profitera pas aux PME ». Cette idée est, au contraire, qualifiée de « mesure phare qui redonnera des marges de manœuvre à nos entreprises » par la députée du groupe Agir ensemble (formé entre autres, d’élus issus de l’UDI et de LREM), Patricia Lemoine. Même satisfecit chez Christophe Naegelen (UDI et Indépendants) qui se réjouit de « l’allégement de la pression fiscale dont notre pays est encore champion » (sic), là où Christine Pires-Beaune considère que « la situation exceptionnelle nécessiterait un effort exceptionnel des très hauts patrimoines ».
Le rejet des amendements sur l’ISF évoquée par la députée FI de Seine-Saint-Denis, Sabine Rubin, montre que ce n’est pas la voie choisie, alors qu’il faudrait à ses yeux un effort particulier sur la santé, l’éducation, la recherche, la sécurité, l’écologie. « Vous êtes restés coincés dans un futur antérieur, votre monde d’après est celui d’avant-hier », souligne-t-elle en interpellant la majorité et le gouvernement.
« Plus on a les fesses au chaud, plus on a le coeur froid »
Le constat est analogue chez le député communiste Jean-Paul Dufrègne (groupe Gauche démocrate et républicaine) qui pointe le million de pauvres en plus. « Lorsque vous baissez de manière aveugle la fiscalité, vous mettez à mal l’État social », souligne-t-il formule à l’appui : « Plus on a les fesses au chaud, plus on a le coeur froid. » Le député de l’Allier fustige la recette de « la baisse continue des prélèvements obligatoires, comme si elle pouvait constituer une politique : impôts et taxes ne sont pas un fardeau ».
Quant aux 6,5 milliards de baisse des impôts de production (cotisation sur la valeur ajoutée, taxe foncière sur les propriétés bâties) qui vont bénéficier aux grandes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire, elles se situent dans la continuité du CICE et autres « cadeaux » accordés sans contrepartie sociale ou écologique. Pour Jean-Paul Dufrègne, « même le rapport de France Stratégie2 ne trouve pas d’effet sur l’investissement ».
Si les trois groupes parlementaires qui se réclament de la gauche ont voté contre cette première partie de la loi de finances, la défiance a aussi gagné les rangs du groupe Libertés et territoires que l’on peut considérer comme « centriste ». Le député Charles de Courson dénonce « l’absence de respect de l’Assemblée nationale, des conditions de travail inacceptables [et] des amendements du gouvernement déposés à la dernière minute, même si vous n’êtes pas les premiers à le faire ». L’élu de la Marne considère que « cette première partie affaiblit la démocratie locale si les collectivités vivent uniquement sur des dotations d’État ». Il y voit « l’échec de la pratique verticale du pouvoir ».
Heureusement, il reste le président de la Commission de finances, Éric Woerth (LR) pour veiller à la plus stricte orthodoxie budgétaire, crise ou pas crise. Dans ce domaine, on peut même doubler sur sa droite le ministre Bruno Lemaire et sa notion de « cantonnement » de la dette. « La dette, ça se rembourse », assène Éric Woerth qui n’hésite pas à dénoncer « l’inefficacité française [et] ceux qui poussent au crime ». Entendez : ceux qui ont l’outrecuidance de penser qu’en temps de crise sanitaire et sociale, le «remboursement » de la dette n’est pas la préoccupation majeure.
Morgan G.