C’est d’abord en 1980 qu’un fanzine surfant sur les références au troisième Reich, Aube dorée, « revue nationale socialiste », agrège des militants irrédentistes1 actifs, rejoints par des nationalistes, dont certains ouvertement néo-nazis. Ces derniers quitteront le jeune mouvement au début des années 90, ouvrant le champ à une campagne de « respectabilisation », alors que ses activités étaient jusque là essentiellement tournées vers les agressions physiques contre leurs opposants, les exilés et les syndicalistes.
Devenu en 1993 un parti politique avec des ambitions européennes, Aube dorée rejoint la coalition du Front national européen — dont le membre français est le Renouveau français, organisation nationaliste et pétainiste — et passe de 7 264 voix en 1992 à 48 532 en 1999. Dans les années 90 (1996), l’organisation d’extrême droite participe aux élections législatives et obtient 4 487 voix. En 2009, elle atteint les 19 636 suffrages et gagne lors des municipales de 2010 un siège au conseil municipal d’Athènes. Le succès électoral venant (5 % des voix aux municipales) — attisé par la pression économique sur le pays et la crise provoquée par les mesures antisociales qui se succèdent à l’initiative de l’Union Européenne et du FMI —, la crise de la dette publique grecque fait s’effondrer le bipartisme du Pasok2 et de Nouvelle Démocratie3 pour faire entrer au parlement grec un parti d’extrême droite (LAOS)4 qui va booster l’audience d’Aube dorée, opposant au gouvernement, au discours et à l’activisme plus radical sur fond de crise gouvernementale permanente. En janvier 2012, avec 6,5 % des voix et 21 sièges sur 300, Aube dorée entre à la Vouli (Assemblée nationale), et devient le sixième parti politique grec sur le plan électoral. En juin, de nouvelles élections provoquées par une crise gouvernementale confirmeront les succès du groupuscule devenu parti politique, et qui à son apogée recueille plus de 450 000 voix.
Un groupuscule néo-nazi agressif
C’est dans ce contexte qu’apparaît aux yeux de l’opinion publique européenne une autre réalité d’Aube dorée, celle d’un groupe entraînant de nombreux militants dans des actions comprenant l’agitation et la menace au cœur même de l’Assemblée, l’agression physique d’une députée communiste lors d’un débat télévisé, ou encore les pogroms organisés contre les migrants, contre des opposants de gauche radicale ou anarchiste.
L’assassinat de Killah P, déclenche une enquête
En septembre 2013, l’assassinat du rappeur anarchiste et antifasciste Pavlos Fyssas, aussi connu sous le nom de Killah P, par un militant d’Aube dorée déclenche une enquête qui aboutira en 2014 à la mise en examen de tous les députés du mouvement, pour « appartenance à une organisation criminelle ». Lors d’un premier procès de 69 membres en 2018, l’enquête révélera des accointances avec les forces spéciales de la police grecque, notamment antiterroriste. Cette accusation, si elle va mettre en lumière le vrai visage d’Aube Dorée, va aussi freiner l’ascension électorale de l’organisation néo-nazie qui perd, aux législatives de 2019 comme aux européennes, plus de la moitié de ses voix. Ces dernières années, l’ensemble des députés d’Aube dorée avaient au moins une inculpation pour agression, coups et blessures ou participation à une organisation criminelle.
68 accusés, 7 condamnés
68 personnes étaient accusées lors du procès-fleuve du parti néo-nazi, jugées pour l’assassinat de Pavlos Fyssas mais aussi de 4 pêcheurs égyptiens, des attaques sur des syndicalistes, sur des réfugiés ; six membres d’Aube dorée, dont le dirigeant national de l’organisation Nikolaos Michaloliakos, viennent d’être reconnus coupables le 7 octobre 2020. Le verdict fait de l’organisation fasciste une organisation criminelle et condamne ses six membres pour appartenance à une telle organisation. Le septième reconnu coupable est l’assassin de Pavlos Fissas, Yorgos Roupakias, membre d’Aube dorée.
Aube dorée, organisation criminelle
15 000 personnes étaient venues manifester leur joie devant le tribunal à l’annonce de la décision, et si des affrontements ont eu lieu avec la police, on retiendra surtout l’image de Magda Fyssas, la mère du rappeur assassiné à 34 ans ; elle a accepté que le dossier concernant la mort de son fils soit joint à tous les crimes reprochés à l’organisation, permettant ainsi, non seulement la condamnation de l’assassin de son fils, mais aussi celle de l’organisation elle même, qui ne pourra plus avoir d’existence légale. Sa joie à l’annonce de la reconnaissance de culpabilité a fait le tour des réseaux sociaux, et est à la mesure de son engagement tout au long du procès et de ces dernières années, lors desquelles elle a chaque semaine, à la date anniversaire de l’assassinat de son fils, organisé une semaine antifasciste. Elle a voulu « le maximum » pour les accusés, qui risquent entre 10 et 20 ans de prison pour les dirigeants de l’organisation, perpétuité pour Roupakias.
Le 12 octobre on apprend qu’aucune circonstance atténuante ne pourra alléger le verdict : les dirigeants d’Aube dorée seront condamnés pour « appartenance et direction d’une organisation criminelle », le 13 octobre, à 13 ans pour Michaloliakos et 10 ans de prison pour les autres. L’assassin de Pavlos Fyssas sera condamné, lui, à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Si ce verdict est historique, c’est qu’à travers la condamnation des actes criminels des membres d’Aube dorée, il met en accusation l’organisation elle-même. En France, peu de précédents, sinon la dissolution d’Unité radicale après une tentative d’assassinat de Jacques Chirac — les membres ont depuis fondé les Identitaires, puis Génération Identitaires, entre autres —, et la dissolution des Jeunesses nationalistes après l’assassinat de Clément Méric5 — là encore, une nouvelle organisation remplace l’ancienne. Mais aucune des organisations dissoutes n’avait d’élus au parlement, comme c’est le cas pour Aube dorée. C’est une brèche ouverte pour mettre en cause les organisations ouvertement fascistes qui se présenteraient aux élections : leurs buts affichés sont-ils oui ou non ceux d’une organisation criminelle ?
Christophe Coffinier
Notes:
- Théorie, doctrine qui consiste à revendiquer l’annexion « légitime » à son pays d’un territoire d’un autre pays, en se fondant sur l’identité linguistique, historique ou ethnique de la population qui y vit.
- « Mouvement socialiste panhellénique » social-démocrate, membre du Parti socialiste européen et de l’Internationale socialiste.
- Parti conservateur de centre-droit (droite libérale)
- « Alerte populaire orthodoxe » parti populiste, d’inspiration conservatrice et nationaliste.
- militant antifasciste