Tribune. Pour la libération immédiate et inconditionnelle du journaliste algérien Khaled Drareni
 

Pour avoir refusé de céder aux intimidations et pour avoir maintenu son approche rigoureuse et impartiale des événements politiques en Algérie, le journaliste a été condamné à trois ans de prison ferme.


 

La dérive autoritaire du régime d’Alger, accélérée depuis l’élection très contestée d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence le 12 décembre 2019 se confirme dans les termes les plus préoccupants avec la condamnation le 10 août 2020 du journaliste Khaled Drareni à trois ans de prison ferme par le tribunal de Sidi M’hamed (Alger centre). Khaled Drareni est accusé, sans base réelle et hors de tout sens commun, d’«incitation à un attroupement non armé» et dans une surenchère grotesque, d’«atteinte à l’intégrité du territoire national».

Cet homme de presse reconnu pour ses qualités professionnelles et son honnêteté a été arrêté à plusieurs reprises par la police secrète militaire – la dernière fois en mars 2020 –, dont les chefs ne supportaient visiblement pas sa couverture du Hirak, cet immense mouvement populaire de protestation né le 19 février 2019. Khaled Drareni, harcelé et menacé depuis plusieurs mois, a notamment été convoqué à la caserne Antar, centre de torture notoire de la police politique depuis plus de trente ans. Le journaliste a refusé de céder à ces intimidations et a maintenu son approche rigoureuse et impartiale des événements politiques en Algérie. Le prix à payer pour avoir voulu exercer son métier sans entraves ni compromis est totalement absurde.

 

Sidi M’hamed  lors de son procès «J’ai couvert les marches du mouvement, y compris les manifestations pro-vacances, lorsque je donne au lecteur l’information et c’est un droit constitutionnel du citoyen, lorsque je ne partage pas la haine et la vérité, je garde l’unité Patriotisme (…) Je suis un journaliste impartial qui ne fait que son travail » Photo DR Algérie 360

 

Occasion perdue

L’arrêt des manifestations, suspendues en mars dernier pour cause de pandémie par la volonté de la majorité des «hirakistes», ne signifie nullement que le Hirak soit mort, tant restent puissants les réseaux souterrains de solidarité et d’élaboration politique qu’il a permis de créer, dans tout le pays. Mais isolé et sans base sociale, le régime militaro-policier entend reprendre la main à travers sa façade civile et empêcher coûte que coûte une reprise des manifestations hebdomadaires. Pour le pouvoir, la suspension «sanitaire» du Hirak aurait pourtant pu représenter une aubaine inespérée d’engager enfin une authentique transition. Mais elle est surtout apparue comme une occasion perdue par lui de démontrer sa capacité à faire face à la situation sanitaire et à la dégradation de la situation socio-économique. La gestion erratique de la pandémie, l’état déplorable des structures de santé publique, l’incapacité à faire respecter les mesures de précaution à tous les niveaux ont conforté l’opinion dans la piètre estime dans laquelle elle tient le régime et ses personnels, depuis des décennies.

Le bouillonnement continu de la colère populaire sur les réseaux sociaux, relayés par certains médias basés à l’étranger et hors de portée de la répression, inquiète au plus haut point le pouvoir d’Alger. Cette préoccupation est perceptible dans les mesures de durcissement sécuritaire et d’activation sur les réseaux sociaux des relais du régime (que les activistes nomment les «mouches électroniques»). Des dizaines d’activistes et parmi eux des journalistes – outre Khaled Drareni, on peut citer notamment Ali Djamal Tobal, Sofiane Merakchi ou Fodil Boumala – ont été condamnés et nombre d’entre eux croupissent encore dans les geôles sinistres de l’Algérie bâillonnée. Leurs défenseurs sont formels : les dossiers d’instruction sont vides et les chefs d’accusation sans aucune matérialité. Mais, signe d’une nervosité croissante et de la volonté de terroriser par l’exemple, les condamnations sont de plus en plus sévères. L’assujettissement de la justice à la police politique facilite grandement cette option sans issue.

 

La crispation des «décideurs» de l’ombre

Incapable de s’ouvrir sur une société en mouvement, le pouvoir militaro-policier se raidit dans sa culture autoritaire fondatrice et dans son refus d’ouvrir le moindre espace politique d’expression et de débat. Les signaux qu’il émet en direction de la société sont clairs : l’Etat de droit revendiqué par des millions de manifestants n’est pas au programme. La crispation des «décideurs» de l’ombre – les généraux à la tête de l’armée et de la police politique – sur des formes répressives aggravées conduit à une impasse politique, d’autant plus que les marges de manœuvre économiques se réduisent rapidement. Et pour de plus en plus de jeunes, parfaitement informés, il n’est d’issue que dans la fuite éperdue hors du pays, pour échapper à la réalité d’un régime dont les responsables, malgré leurs discours lénifiants, les privent méthodiquement de raisons de vivre et d’espérer.

L’unique issue à la crise multiforme que traverse l’Algérie passe par la levée des lois d’exception, l’instauration d’un climat de détente, la fin des détentions arbitraires et l’élargissement de tous les prisonniers politiques. La libération immédiate et inconditionnelle de Khaled Drareni est une exigence partagée par tous ceux qui militent pour une presse indépendante et une société libre.

Omar Benderra

 
Association de défense des droits humains en Algérie