250 manifestations ont eu lieu dans le pays le mardi 16 juin, dont bon nombre dans nos deux régions, pour réclamer une autre politique de santé.
On a rarement vu autant de blouses blanches… ou bleues, ou vertes dans les rues de Marseille qu’en ce mardi, jour de manifestation des soignant-e-s et de bien d’autres professions. Au pied de l’arc de triomphe (« La Porte d’Aix » pour les Marseillais), des milliers de manifestant-e-s s’étaient donné rendez-vous, avec force drapeaux, banderoles et autocollants aux couleurs des organisations syndicales familières des « mobilisations » : CGT, FSU, Solidaires, CNT. Même le syndicat des cadres, la CFE-CGC, peu habituée aux démonstrations dans la rue, était là tandis que FO organisait un rassemblement de son côté devant les locaux de l’Agence régionale de santé. Les formations politiques (PCF, FI, NPA, Lutte ouvrière, Jeunes communistes) avaient tenu à prendre part à ce qui était plus qu’un acte de soutien aux salarié-e-s « en première ligne » lors des heures les plus tendues de l’épidémie. Le député des Bouches-du-Rhône, Jean-Luc Mélenchon, était également présent. Vu l’affluence Cours Belsunce et sur la (longue) rue de Rome, le chiffre de 3500 manifestants avancé par certains médias paraît peu crédible. Significative aussi, la présence de professions qui ne sont pas liées aux soins : personnel de l’énergie, de Presstalis, d’Airbus Hélicopters, enseignants, etc.
Au-delà des traditionnels problèmes de comptage, on retiendra que le ton de cette manifestation, joyeux autant qu’offensif, montre que les participants ne se contenteront pas d’un « hommage » le 14 juillet et d’un « Ségur de la santé » qui n’a pour l’heure fixé aucun engagement chiffré. La détermination à ne pas se satisfaire de gestes symboliques et de belles paroles était illustrée par cette pancarte brandie à bout de bras par une infirmière, où le mot « médailles » était barré pour laisser place à l’inscription « Des sous pour l’hôpital ». En version orale, derrière le camion de « Solidaires », cela donnait le slogan « Du fric pour l’hôpital public ». Les personnels de l’hôpital réclament, et ce n’est pas nouveau, un véritable plan de recrutement et des augmentations de salaires là où le gouvernement propose… des heures supplémentaires dans une nouvelle version du trop fameux « Travailler plus pour gagner plus » et des primes ponctuelles.
Une bonne pancarte vaut mieux qu’un long discours
Dans les manifestations, une bonne pancarte vaut mieux qu’un long discours et en l’occurrence, « J’ai pas eu le Covid mais tu m’as transmis la rage » ou « Héros jetables » portaient des messages clairs. La combativité des personnels soignants qui hurlent dans le désert depuis des années n’a pas été anesthésiée par l’épidémie. D’autant moins que le « Ségur » (du nom du siège du Ministère de la santé) n’a pas invité toutes les professions de l’hôpital autour de la table : les infirmières anesthésistes n’y sont pas représentées, comme les étudiant-e-s en Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), réquisitionné-e-s au plus haut de la crise, sans avoir droit pour autant à la prime.
Quelle peut être la marge de manœuvre de ce « Ségur de la santé » dans la mesure où le gouvernement n’a nullement l’intention de revenir sur son plan baptisé « Ma santé 2022 » ?
Pour le sociologue spécialiste des questions de santé, Frédéric Pierru, co-auteur d’un livre avec le Professeur André Grimaldi, 1 « le Ségur de la santé est une usine à gaz qui ne répondra pas à l’urgence». Le chercheur considère qu’il faut « remédicaliser la gouvernance de l’hôpital, en y associant les médecins mais aussi les aides-soignants, les infirmiers. Depuis la loi Hôpital-patients-santé-territoires en 2009, tous les pouvoirs ont été donnés aux directeurs d’hôpitaux » 2.
La loi HPST était aussi dite « Loi Bachelot », du nom de la ministre de Nicolas Sarkozy qui a fait son « grand » retour durant la pandémie (à vrai dire, elle n’est jamais partie, se transformant en chroniqueuse de plateaux télé), avec un statut d’invitée quasi-permanente de l’émission « C à vous » sur France 5. Quand les médias dominants organisent l’amnésie alors que la loi HPST a été vivement critiquée en son temps pour avoir transformé l’hôpital public en simple entreprise…
« Manifs » partout en Occitanie
En cette journée nationale, de nombreuses manifestations ont eu lieu aussi en Occitanie. Selon le quotidien régional Midi Libre, 4 000 manifestants ont défilé à Montpellier dans la matinée. Ils étaient plus de 2 000 à Nîmes, un millier à Narbonne (Aude) comme à Alès, près d’un millier à Perpignan, 700 à Millau et Saint-Affrique (Aveyron), 650 à Carcassonne, (Aude) 600 à Béziers et environ 250 à Sète (Hérault).
À Nîmes, rendez-vous était donné à 14h30 au pied de la Maison carrée. « Ce matin nous étions près de 500 à manifester devant l’hôpital », relate Colette, affiliée à un syndicat du CHU de Nîmes. « Cet après-midi, l’ambiance est excellente et le cortège est important. C’est un coup d’essai qui est réussi et nous allons probablement continuer ».
Des pompiers du Gard, venus avec leurs camions toutes sirènes hurlantes, étaient eux aussi présents pour exprimer leur colère. Ce sont eux qui ont lancé la manifestation en regardant passer le cortège qui n’a pas oublié de les saluer.
Devant le centre hospitalier d’Uzès, plusieurs dizaines de personnes se sont mobilisées de 11h jusqu’en début d’après-midi. Les deux syndicats de l’établissement, CGT et FO, ont listé leurs revendications : « Ce qu’on veut, c’est l’augmentation des salaires. La prime, on ne va pas cracher dessus, mais on la juge inéquitable selon les corps de métiers », souligne Lionel Petit, secrétaire CGT à l’hôpital d’Uzès.
Dans un courrier adressé aux élus d’Occitanie, le syndicat demande à ce que les primes Covid et « grand âge » soient accordées à tous les bénéficiaires mais « avec le manque de trésorerie, le centre hospitalier d’Uzès et ses Ehpad se trouvent dans l’impossibilité de l’attribuer, y est-il indiqué, il est anormal que la prime Covid n’ait été versée que pour 180 agents. Nous serions reconnaissants de donner la possibilité à notre direction de verser les primes existantes à l’ensemble du personnel bénéficiaire car actuellement ce manque de moyens ne fait que diviser les catégories de personnels entre elles ».
« On veut des moyens humains, il y a un manque de personnel, niveau matériel, on manque aussi. Le nouveau directeur est très à l’écoute, mais il ne peut pas se battre tout seul », poursuit Nassera Yakoubi, aussi secrétaire CGT à l’hôpital d’Uzès. Du côté de FO, la secrétaire générale, Brigitte Ryckenbush, a aussi une liste de revendications similaires aux nationales : dégel du point d’indice, revalorisation salariale, augmentation du personnel, abrogation du plan santé 2022, etc. Que ce soit à FO ou à la CGT, tous sont satisfaits de la gestion de crise de la direction pendant le coronavirus. « Ils ont interdit les visites une semaine avant les annonces gouvernementales. Le personnel a été très mobilisé. On n’ a eu aucun cas de covid », atteste Brigitte Ryckenbush.
À Bagnols-sur-Cèze la mobilisation s’est déroulée en deux temps, d’abord le matin avec une action à l’entrée du Centre hospitalier, à l’initiative du syndicat Sud Solidaires. Outre les revendications nationales, la protestation ciblait localement la direction de l’établissement : « Le Gouvernement a promis une prime de 1 500 euros, que nous n’aurons pas, nous ne devrions avoir que 500 euros et la direction nous impose de choisir entre la prime et les autorisations spéciales d’absence », expliquent Magali Foppoli et Cathy Boyer, de Sud-Solidaires du Centre hospitalier.
Christophe Prévost, ancien candidat aux municipales pour les Gilets jaunes locaux, parlera quant à lui de “politiques dictatoriales et destructrices”. Mohammed Hammani, de la FSU, dénoncera pour sa part “des services publics sacrifiés sur l’autel des profits”, avant de craindre que « si nous ne faisons rien, les jours d’après soient comme les jours d’avant » 3.
Deux nouvelles journées nationales de manifestations sont prévues, le mardi 30 juin… et le 14 juillet.
Morgan G.