On pourrait appeler ça « une rentrée échelonnée » mais est-ce réellement une « rentrée » ?. Pour certain-e-s enseignant-e-s et syndicalistes, la réponse est clairement non. Face à la pandémie de coronavirus et après quasiment deux mois de confinement, les collectivités et les écoles ont du s’adapter à cette situation inédite. Sur le terrain : le regard d’une professeure des écoles de Martigues (Bouches-du-Rhône).


 

Permettre aux enfants de reprendre l’école, et aux parents de souffler après la fameuse « continuité pédagogique » dont on a pu mesurer les limites, paraissait un objectif louable. Peu enclins à combattre les inégalités, le gouvernement et le Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ont utilisé cet argument pour pousser à une reprise rapide. Pourquoi commencer par les plus jeunes, les grandes sections de Maternelle ou les CP, ceux chez qui les « gestes barrières » sont les plus difficiles à faire respecter ? Pour des raisons pédagogiques ou pour d’autres qui auraient trait à la « nécessité » du retour au travail des parents, à la reprise de l’économie ?  Bien des enseignants le disent : les élèves du primaire ou des collèges « perdus » durant le confinement ne reviendront pas à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. 

L’État ayant laissé aux collectivités une certaine latitude, celles-ci ont du procéder à des aménagements dans les classes des écoles maternelles et élémentaires et recenser les élèves qui pourraient retrouver le chemin de l’école. De fait, dans le seul département des Bouches-du-Rhône qui n’est évidemment pas une exception, la diversité des dates de « rentrée » illustre les difficultés de la période.  A Marseille, 22 écoles ont rouvert leurs portes le 26 mai, après recommandation de l’Agence régionale de santé. Elles s’ajoutent à la première vague d’ouvertures (443 écoles) qui a eu lieu durant la semaine du 11 mai, date du déconfinement.  La ville a, en outre, arrêté une rentrée en septembre, décision validée par l’Éducation nationale, pour les petites sections de Maternelle. Les classes de CE1, CE2 et CM1 n’ouvriront que le mardi 2 juin. A Aix-en Provence, deuxième ville du département, la date était fixée au 18 mai.

Perplexité 

Dans la petite commune des rives de l’étang de Berre, Saint-Mitre-les-Remparts (5000 habitants), la réouverture a également eu lieu le 18 mai, tandis qu’ à Port-de-Bouc la date est fixée au 2 juin. A Martigues, la « rentrée » s’est déroulée le lundi 25 mai. « Chaque semaine on sonde les parents pour voir quels enfants sont susceptibles de revenir à l’école et en fonction de ça, on ouvre un certain nombre de classes, il y a aussi un roulement en fonction des disponibilités des enseignants  » explique Magali, professeure des écoles (non syndiquée) dans le quartier populaire de Mas de Pouane. « Chaque école a son mode de fonctionnement » ajoute l’enseignante qui va « se retrouver avec quatre niveaux différents » alors qu’elle avait un cours à deux niveaux avant la pandémie. La « continuité pédagogique » l’ a amenée, elle-aussi, à faire des expériences pas vraiment optimales :  » je m’occupe de mes élèves mais envoyer des exercices, ce n’est pas du travail, c’est moins bien que les cahiers de vacances ». Sans l’interactivité qui fait partie de la classe, Magali a choisi de ne pas aborder de nouvelles notions mais plutôt d’assurer « un suivi pour les parents qui permet de rester en contact, de discuter, de rassurer, la priorité c’est de se mettre en sécurité ». Et ce même s’il y a « beaucoup de parents qui ne réagissent plus aux mails ». Dans cette période particulière, Magali a choisi de « proposer des lectures sur les thèmes de l’écologie, du développement durable pour amener une réflexion en famille, on a reparlé de géographie et de sciences parce que c’étaient des matières sollicitées mais pas d’histoire par exemple ». 

La professeure des écoles ne cache pas sa « perplexité », d’autant plus « qu’ on a entendu un peu tout et son contraire ». Des hésitations, des discours gouvernementaux contradictoires, un avis du Conseil scientifique qui n’ a pas été suivi alors qu’il l’ a été sur la question du deuxième tour des élections municipales, rien n’ a favorisé la sérénité, ni chez les enseignants, ni chez les parents.

« Quand on a parlé de réouverture on s’est demandé dans quelles conditions : d’un côté il y a des enfants qu’on sait en grande difficulté et des parents en souffrance mais est-ce que j’ ai le droit de les mettre en danger? Je suis très mitigée parce qu’on a remarqué que les écoles au plus haut taux de présence sont dans des quartiers favorisés, dans les quartiers « difficiles », les parents ont peur et c’est un choix hyper délicat, certains appellent les collègues » explique cette professeure des écoles, elle-même mère d’une fille de 15 ans. « On a aussi conscience que pour la plupart, les enfants ont passé plusieurs semaines sans copains et là ils ne peuvent pas se toucher, jouer au ballon, s’échanger les stylos et nous on doit veiller à ça, je ne sais pas trop comment on va gérer, c’est assez frustrant ». 

Au début du mois de mai, Francette Popineau, secrétaire générale du SNU Ipp (FSU), syndicat majoritaire chez les enseignants du primaire, décrivait la réouverture des classes en ces termes : « malgré l’envie des uns et des autres de retrouver les élèves, l’école va prendre des airs biens tristes (…) Les enseignants appréhendent cette rentrée car ils ont le sentiment qu’ils ne vont que donner des consignes négatives aux enfants. Dans ces conditions, il sera très difficile de mettre en place des apprentissages, avec des élèves qui ne pourront pas jouer, pas manipuler… » (1).

Le Covid-19 aura poussé à l’école en pointillés. Espérons que ce ne soit pas celle de demain. Désormais, ce sont les professeurs d’Education physique et sportive qui s’inquiètent pour l’avenir de leur discipline…

Morgan G.

 

Notes:


(1) L’Humanité du 5 mai 2020.


 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"