C’est vrai qu’on a du mal à comprendre la situation, tant le contexte est embrouillé. Si on peut admettre que la situation épidémique actuelle est toute récente et que ses effets et ses conséquences restent imprévisibles, on sait aussi que dans l’histoire les épidémies du même genre se sont succédées avec toujours à peu près le même processus, certes morbide mais répétitif.


 

Dans les éléments de cette crise sociétale, dans ce que nous en percevons, il y a à examiner les attitudes adoptées par tous les autres pays ainsi que leurs résultats, ensuite il faut évoquer la mise en question publique et permanente de l’efficacité des traitements proposés, puis discuter de la pertinence sans cesse inversée des moyens de protection, commenter la parole contradictoire des experts donnée à entendre, constater que la responsabilité de tous (nous) est implicitement suggérée, parler aussi de l’exploitation à but lucratif de la situation, en « filigrane », mais aussi écouter les explications surprenantes qui nous sont servies au jour le jour par les éditorialistes en mal de scoop et pour finir ou peut-être en préalable, oser évoquer une récupération politique puissante et prégnante.

Si on tente d’examiner point par point cette liste, pourtant non exhaustive, on se rend compte que sur tous les sujets, on en sait déjà beaucoup, sans forcément pouvoir ou vouloir lier tous les éléments. Nous n’allons pas redire tout ce qui a pu être déjà évoqué sur le plan mondial, ce serait laborieux et de plus on n’est pas certains d’avoir des informations sincères, mais on peut quand même citer parmi les pays le Vietnam, qui compte très peu de cas, le comparer au Royaume-Uni, lui très touché, parler du drame que vivent les populations des Etats-Unis, de la Russie et du Brésil pour en revenir à la France. On est tout de même fortement étonnés de voir que les moyens déployés pour protéger la population sont très différents, que par exemple certains pays inattendus, comme le Maroc, disposent de masques à profusion et à petit prix, alors que l’Italie ou l’Espagne, comme la France, en manquent encore cruellement aujourd’hui.

En ce qui concerne les traitements médicaux, en France, justement, ce qui nous marque le plus, c’est l’incroyable imbroglio entretenu autour de l’hydroxychloroquine. Qui parmi nous peut objectivement, après tout ce qui a été dit, se faire une idée de l’efficacité de ce produit ? Et d’ailleurs, ce n’est pas notre métier. L’exemple des masques de protection est lui aussi édifiant : ces derniers passent ainsi d’inutiles à quasi obligatoires, et ce en très peu de temps. Comment peut-on, d’autre part, commander 8500 respirateurs de type Osiris 3, fabriqués par Air Liquide, PSA, Schneider Electric et Valeo, appareils totalement inadaptés et inutilisables ? Comment peut-on voir et entendre, sur toutes les chaines et radios, les mêmes experts nous présenter sans fin leur inutile prêt à penser ? Doit-on, entre autres, se faire rappeler que la mort fait partie de la vie (André Comte Sponville), se demander comment on a pu en arriver là (Vincent Lindon), comprendre que le premier tour des élections municipales n’a pas accéléré la circulation du virus (Christophe Barbier et d’autres), faire la liste des diverses spéculations et théories du complot (Journalistes Solidaires), etc. ? Une chose est sûre, nous expliquent en boucle les médias dominants, les responsables, c’est nous, c’est vous. Les quelques danseurs du 18éme arrondissement en plein confinement, les dizaines de buveurs d’apéro du canal Saint Martin, les adeptes de pratiques religieuses inconfinables et quelques autres amoureux des plages ou de la randonnée sont, bien médiatisés, les vecteurs de la transmission virale. Les millions de personnes qui restent sagement et prudemment dans les clous des mesures sanitaires sont considérées comme quasi-inexistantes et pourtant, ce sont elles qui écoutent.

Que dire maintenant des immenses profits que ce coronavirus va permettre à certains de capter ? La mise au point d’un vaccin en est un bon exemple (affaire Sanofi). Face à ces jeux financiers, il est tout à fait pertinent de s’interroger sur le savant calcul politique auquel semble se livrer sans le dire clairement chaque Etat, calcul que l’on peut alors interpréter et dont la base ne semble être autre que la conquête du pouvoir ou sa reconquête électorale, ce qui sera très prochainement le cas aux Etats-Unis pour Donald Trump. Ce qu’il ressort avec netteté, c’est que chaque président en place a apparemment bien compris que son principal opposant est, comme à Hong-Kong, l’exercice des libertés individuelles. En France, c’est bien la fin du mouvement des Gilets Jaunes et de la lutte contre la réforme des retraites qui étaient obtenus. L’épidémie a permis dans notre pays l’installation sans débats de systèmes extrêmement contraignants vis à vis de tout mouvement social et de tout rassemblement public. Bien sûr cette épidémie et le confinement qui en ont suivi ont aussi à leur charge et en contrepartie la paralysie de l’économie et cette formidable crise économique.

Alors qu’allons-nous conclure ? Et bien nous dirons qu’il apparaît clairement qu’il n’y a pas de conspiration émanant d’un petit groupe, mais bien plutôt une co-construction permanente de la réalité. En effet, en ce qui concerne notre gouvernement, nous l’avons élu. Nous sommes donc tous co-auteurs, par nos votes, nos abstentions et nos engagements, des mesures que ce pouvoir prend. C’est un fait important qu’il convient toujours de rappeler. Il semble bien, pour notre Président et ses partisans, que ce qui importe vraiment, sur un plan politique, c’est le maintien des structures économiques, en prenant bien garde, d’une part que certaines (les GAFAM en particulier) n’en profitent pas trop et surtout de ne pas être doublé sur le terrain par des mouvements sociaux alternatifs. Il n’y a pas d’autre injonction majeure, pas de complot concerté, en témoignent les valses à contretemps des divers ministères sur des thèmes pourtant fondamentaux (ouverture des écoles, transport, congés, bars, restaurants, etc.). Garder le pouvoir et l’autorité est fondamental et prend de nombreux visages, par le virtuel d’abord : contrôle de l’Internet (loi Avia), surveillance sur Smartphones des malades et de leurs contact grâce à une application mobile, par le répressif aussi : interdiction de se regrouper, de manifester, de se déplacer trop loin avec contraintes par corps, matraquages, gazages, amendes et arrestations à la clé. D’autant que les contrevenants, infantilisés, justifient de par leur attitude, est-il dit, les violences qu’ils s’auto-attribueraient par leur insoumission. Autour de la défense d’Etat du système économique, une certaine improvisation, incontestable, en fonction de ce qui passe ou ne passe pas, improvisation certes orchestrée par des professionnels de la communication, aboutit à des changements permanents qui ont l’avantage pour le pouvoir de nous désorienter, chaque nouvelle mesure étant affirmée fermement avant d’être retirée et remplacée. Chaque acte de citoyen devient suspect, la vie quotidienne est entièrement verbalisable. Les incivilités constatées dans les magasins par des gens qui refusent de porter le masque transforment les vendeurs-vendeuses en service de sécurité au bord du désespoir (Valentine Pasquesoone, France Télévisions).

En marge, socialement, pourtant, des choses se passent. On rejette l’habitat urbain pour déclarer vouloir s’installer à la campagne, on s’intéresse à la production agricole locale, on fréquente les commerces de proximité, on investit dans le vélo, tandis que les médias parlent de ruées populaires vers les divers magasins et réseaux, les drives de la restauration rapide, les salons de coiffure ou autres. Le parti politique majoritaire, soucieux de dynamiser notre compassion, va même jusqu’à nous proposer d’offrir nos congés aux personnels de santé, tandis que le Président veut leur attribuer une médaille, avant, face aux protestations, d’évoquer une prochaine réforme des services de santé.

Lieutenant Columbo (fiction) : Juste, une dernière chose, dites, vous connaissez les réseaux sociaux ? Vous lisez la presse indépendante ?

Thierry Arcaix

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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.