Marianne Y* est Accompagnatrice d’Élèves en Situation de Handicap dans un établissement REP+ de l’Académie de Montpellier. A la veille de la rentrée des élèves, elle témoigne de la reprise d’activité dans les établissements scolaires après l’entrée en vigueur du déconfinement. Une activité essentiellement orientée vers « l’endiguement » préventif au détriment de la mission éducative? Elle témoigne et s’interroge…


 

Une réunion borderline

Depuis le confinement, je n’étais pas revenue dans l’établissement..

Quand j’arrive pour la réunion préparatoire au déconfinement, ce lundi 11 Mai, la salle des profs est bondée. Sérieusement? Allons nous nous entasser à plus de vingt dans cette petite salle de réunion, sans respect d’aucune des mesures barrière ni de la distanciation physique ? ça promet. Face à l’impossibilité de tenir cette réunion dans des conditions de sécurité correctes, certains ont proposé de tenir la réunion dehors, dans la cour, en dépit de la goutte froide de ce début de semaine. Le vent souffle fort. Le risque de bronchite est sévère. La situation devient vite intenable.

Pour moi en tout cas.
Je suis restée tout ce temps là recroquevillée dans l’embrasure d’une porte.

Quelqu’un a du suggérer à son tour de poursuivre la réunion dans une maisonnette, en fond de cour, un lieu ou se tiennent habituellement les spectacles des enfants. Travail de ménage et aménagement. Ronde des tables et des chaises. Vérification des no man’s land individuels et nous avons réussi à transformer le lieu en espace de travail et à enfin tenir une réunion …

Les enseignants sont remontés, certains menacent d’ores et déjà de faire valoir leur droit de retrait (qui pour son état de santé, qui pour protéger ses proches,…) Nous allons recevoir les enfants, par demi classe, et en fonction de l’acceptation ou du refus des parents. L’effectif ne peut donc être bien cerné…

Car les enfants reviennent (où ne reviennent pas d’ailleurs) sur «ordre» de leurs parents.

Nombreux sont ceux qui ne renvoient pas leurs enfants à l’école. Les élèves attendus sont donc les cas les plus difficiles, ceux dont les parents doivent impérativement reprendre le travail évidemment mais aussi ceux qui ne supportent plus leurs enfants confinés … Le volet social qui est toujours un aspect important du problème apparait plus violemment encore aujourd’hui. Dans sa nudité.

Je ne peux physiquement pas participer aux nombreux aménagements prévus d’ici là. Beaucoup de pièces sont à refaire (enfin à ré-aménager) pour satisfaire à minima les règles de déconfinement. Les tables doivent être espacées, les espaces de circulation marqués et balisés, les passages barrés, les toilettes surveillées, les lavabos inspectés, …

 

On dirait que l’on va tout limiter.

On dirait que l’on va tout limiter. On veut tout limiter. Mais ce n’est pas possible… On aura beau coller des scotchs partout, on ne pourra pas tenir (retenir) tous les enfants. Des enfants souvent difficiles, agités, ayant entre 7 et 12 ans.

Comment empêcher un enfant de boire au lavabo ?
En supprimant les accès aux lavabos !
Mais il faudra bien qu’ils boivent ?
On va leur demander d’amener chacun une bouteille d’eau individuelle…
Oui et comment se laver les mains alors pour satisfaire aux gestes barrières ?

Un seul lavabo pour les élèves présents dans l’établissement et avec accès surveillé et il faudra accompagner chaque élève aux toilettes. Pas de regroupement dans les sanitaires…

ça va être d’un simple !!!

On se demande comment vont être gérées les récréations ? Par roulement ? Et que faire des récalcitrants?

– Nous serons obligés de les renvoyer dans leur famille en cas de dépassement ou débordements des consignes (crachats, bagarres, corps à corps) …

Les règles de « confinement du déconfinement » sont passées en revue les unes après les autres.

Cela tourne à la checklist…
Réaménagement des pièces, des tables, adhésifs colorés, craies, panneaux en papier vont baliser les cheminements des enfants…

 

La rentrée c’est jeudi.

On dirait un peu qu’on prépare un débarquement et que les tables et chaises seront nos défenses, nos bunkers, nos lignes maginot, nos murs de l’atlantique… On va nous distribuer tout le matériel nécessaire, les masques (deux par jour et par personne), les gels hydro-alcooliques, le savon, les gants… tout cela est prêt.

Super, je serai masquée !

Mon métier c’est quoi ?

Je suis AESH. En REP+ , dans un établissement de l’académie de Montpellier. Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap. Ma mission telle que définie par l’Education Nationale est : « Les personnels accompagnants assurent des missions d’aide aux élèves en situation de handicap. Ainsi, sous la responsabilité pédagogique des enseignants, ils ont vocation à favoriser l’autonomie de l’élève, sans se substituer à lui dans la mesure du possible. »

Ce que l’on me demande de faire, ou du moins ce qui se prépare après Jeudi, ne me semble pas correspondre à l’expression de cette mission…

Pendant le confinement, nos postes ont été maintenus. Encore heureux ! Mais je dois à l’éducation nationale 24h par semaine sur 4 jours (6hx4). Je perçois pour cet accompagnement, une rémunération de 775 € mensuel. Je suis donc payée en équivalent smic horaire. Nos qualifications ou spécificités ne sont pas prises en compte dans nos salaires.

Pendant le confinement, je suis devenue illustratrice occasionnelle d’un projet conduit par une enseignante. En télétravail. Elle m’envoie une partie du projet rédigé, je lui renvoie les dessins d’illustration correspondant à ses demandes. A la fin, nous devrions avoir réalisé un livre. Le travail entrepris n’est pas achevé et la reprise est annoncée pour ce Jeudi. Cela ne fait rien, on va continuer et achever ce chantier.

Nous n’accueillerons dans l’établissement que très peu d’enfants…

 

38 élèves à peine…

Sur un effectif de près de 200 en temps normal.
Moi j’aurai la charge de 5 élèves et je m’occuperai tout particulièrement d’un enfant. Il est hyperactif.

Une bombe potentielle dans cet environnement…

La rentrée c’est jeudi.
L’ambiance est tendue.

Certains enseignants ont des personnes âgées a domicile.

Les élèves ne viendront que deux à trois demi-journées par semaine à l’école. Pour tous les autres, ce sera encore du télétravail. Les enseignants vont devoir apprendre à jongler avec les modes éducatifs. Pour moi, ce sera une obligation de présence quotidienne. Vu le nombre d’élèves et la division des classes. Je serai disponible et « allouable » en fonction des besoins.

 

Voir venir

Je suis moi même a risque, en raison de troubles respiratoires, mais je me dis que si je suis seule, masquée, dans un coin avec mon élève, il mérite que je fasse l’effort pour lui. Celui auquel je pense plus particulièrement est un enfant battu, son père fait maintenant l’objet d’une mesure d’éloignement, mais sa mère et lui sont passés en foyer et logements précaires. Aujourd’hui, sa mère doit absolument disposer, elle aussi, de temps pour se reconstruire.

Mon souci vient essentiellement de ce que je vais devoir aussi m’occuper d’autres cas dont j’ignore tout des pathologies. Ce sera à la découverte. Et là, les bonnes surprises sont rares, en général, ce ne sont pas des gamins tranquilles.

Je me dis que j’attends de voir. Je me dis que si mon travail tourne mal, enfin si il se transforme en garde-chiourme au désavantage de l’élève, je ferai moi aussi valoir mon droit de retrait, je ne me tairai pas ! je quitterai peut être même cet emploi. On ne fait pas ce métier pour çà.

La rentrée c’est jeudi.
L’ambiance est tendue.

A suivre…

Marianne Y*

propos recueillis par JMB

 


* à sa demande, les noms prénoms de notre interlocutrice ont été changés.

Illustration Hero : « Distance » (détail) – Agence Looma – Galerie Sakura, Paris. Pendant le confinement, une opération de soutien à l’APHP a été conduite par l’Agence Looma par le reversement d’une partie des droits au profit de l’APHP