L’article controversé relatif au système de suivi des malades a été validé dans la nuit de vendredi à samedi par l »Assemblée Nationale en même temps que le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet.
L’Assemblée nationale a validé vendredi soir la création d’un «système d’information» pour identifier les personnes infectées par le coronavirus et leurs contacts, malgré de vives inquiétudes dans l’opposition sur une «brèche au secret médical» et pour la protection de la vie privée. Au terme d’un débat nourri de plusieurs heures, les députés ont voté à main levée* en première lecture l’article 6 sensible du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire.
Il prévoit le lancement d’un «système d’information», en lien avec l’Assurance maladie, «destiné à identifier des personnes infectées» et «à collecter des informations» sur les personnes en contact avec elles, afin qu’elles s’isolent si besoin. Des «brigades» ou «anges gardiens», notamment agents de la Sécurité sociale, seront chargés de faire remonter la liste des cas contacts.
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a plaidé devant les députés le «besoin» de ce dispositif dans le cadre de la stratégie visant «à casser les chaînes de contamination», alors que le déconfinement débute lundi. Assurant, au vu des inquiétudes formulées par certains élus, que ce n’est «pas l’Armageddon» ni «Matrix», il a ajouté qu’il s’agissait «de mettre une brique» à un fichier déjà existant de l’Assurance maladie. Il était nécessaire de légiférer notamment «parce que jusqu’ici l’entaille qui est faite au secret médical», par exemple pour les affections longue durée, «ne concernait que des gens malades», ce qui n’est pas forcément le cas des personnes ayant été en contact avec un malade, a-t-il expliqué. «Elle est là la dérogation, mais elle est indispensable parce que sinon il n’y a pas de tracing», a-t-il insisté, soulignant que l’article était sans lien avec l’application controversée StopCovid.
Mais des élus de tous bords, y compris dans la majorité, ont fait part de craintes en particulier sur le respect du secret médical. Comme Emilie Cariou (LREM), Florence Provendier a dit son inquiétude sur une «mise à mal des principes fondamentaux de l’éthique médicale». Olivier Véran a rétorqué qu’«un système de digue persiste», le partage du secret étant «à l’intérieur du système. Si vous considérez que le suivi épidémiologique (…) s’apparente à de la dénonciation, ne votez pas ce texte!», a-t-il aussi lancé.
«Ce que nous ne voulons pas, c’est une société des fichiers», a affirmé pour sa part Jean-Luc Mélenchon (LFI), tandis que Sébastien Jumel (PCF) s’est inquiété du «juste équilibre entre préoccupation sanitaire légitime et respect des droits fondamentaux». Valérie Rabault (PS) a estimé que mettre des personnes non malades dans un tel fichier était «une première», pointant «une brèche inouïe dans le droit Français». Pour LR, Philippe Gosselin a aussi évoqué «une brèche dans le secret médical», Pascal Brindeau (UDI-Agir) jugeant que l’article porte aussi atteinte «à la vie privée».
Les députés ont conservé plusieurs apports du Sénat dont une instance de contrôle et -dans une version retouchée- la limitation du périmètre des données collectées, à celles concernant l’infection par le virus. Ils ont aussi apporté plusieurs précisions, dont le fait que le partage des données du système d’information durerait neuf mois, une éventuelle prolongation devant être validée par le Parlement.
Un amendement du gouvernement permettra aussi la rémunération des professionnels participant à la collecte des données, notamment les médecins**, alors que les députés avaient proscrit toute rémunération en commission. Un autre prévoit que les pharmaciens pourront avoir accès au système d’information. Via un amendement PS, l’Assemblée a encore précisé que les personnes ayant accès aux données seraient soumises au secret professionnel.
Finalement, l’Assemblée nationale a voté dans la nuit de vendredi à samedi en première lecture le projet de loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet et qui «intègre les enjeux» du déconfinement progressif à partir de lundi.
Députés et sénateurs tenteront samedi en commission mixte paritaire (CMP) de se mettre d’accord sur une version de compromis du projet de loi, en vue d’une adoption définitive d’ici dimanche soir.
Avec AFP
* Les députés ont adopté le texte à main levée, avec l’appui des élus LREM, du MoDem et de la majorité des UDI-Agir. LR a voté contre, comme le PS au nom des «libertés individuelles», ainsi que LFI notamment en raison de l’absence de mesures sociales et le PCF, jugeant l’état d’urgence «contreproductif». Les élus du groupe Libertés et Territoires se sont partagés essentiellement entre votes contre et abstentions.
** Depuis plusieurs jours et dans l’attente des préconisations officielles des autorités sanitaires, des organisations de praticiens avaient déjà formulé leur guide à destination des généralistes, comme la check-list des représentants de MSP. Le Collège de la médecine générale (CMG) a également créé l’outil coronaclic.fr en collaboration avec le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) et la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) pour accompagner les praticiens dans leurs prises en charge de ville.
Les principaux amendements adoptés par la commission
Article 1er Prise en compte, en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques pour apprécier le cas échéant la responsabilité des décideurs publics et privés [identiques CL325 de Mme Vichnievsky (MoDem) et 373 de M. Boudié et des membres du groupe LaREM].
Modalités de retour au droit commun de la détention provisoire à compter du 11 mai [CL370 de Mme Avia et des membres du groupe LaREM].
Article 2 Interdiction du placement en quarantaine et du placement ou du maintien en isolement des mineurs victimes de violences dès lors que de telles décisions amèneraient ceux-ci à cohabiter avec les auteurs de telles violences, même alléguées. Possibilité, le cas échéant, d’attribuer aux mineurs concernés un lieu alternatif d’hébergement permettant le respect de la vie privée et familiale [CL93 de M. Coquerel (LFI), sous-amendé par le CL395 de Mme Guévenoux, rapporteure].
Information régulière des personnes faisant l’objet de mesures de quarantaine, de placement ou de maintien en isolement [CL243 de Mme Jacquier-Laforge (MoDem)].
Article 3 Mention expresse des voies et délais de recours et des modalités de saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cadre des décisions préfectorales portant mesures individuelles de mise en quarantaine, de placement ou de maintien à l’isolement [CL13 de Mme Untermaier et des membres du groupe SOC].
Caractère immédiatement exécutoire des décisions du JLD prononcées dans le cadre des recours formulés contre les mesures individuelles précédemment évoquées [CL316 de Mme Vichnievsky (MoDem)].
Autorisation expresse du JLD pour la prolongation au-delà de 14 jours des mesures individuelles précédemment évoquées [CL317 de Mme Vichnievsky (MoDem)].
Article 5 Possibilité pour les gardes particuliers assermentés de constater par procès-verbal les violations des dispositions de l’état d’urgence sanitaire commises sur les propriétés dont ils ont la garde [CL321 de M. Fauvergue (LaREM)].
Article 5 ter (nouveau) Suppression de l’article [CL236 de M. Eliaou (LaREM)].
Article 6 Interdiction de toute rémunération au titre de la collecte des données visées par l’article [CL207 de M. Houlié (LaREM)].
Ajout des éléments probants d’imagerie médicale à la liste des éléments susceptibles de figurer dans le système d’informations prévu par l’article [CL234 de M. Eliaou (LaREM)].
Anonymisation des informations collectées lorsque celles-ci sont utilisées pour la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, ou pour la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation [CL371 de M. Mesnier et des membres du groupes LaREM].
Interdiction de communication à des tiers des données d’identification des personnes infectées sauf accord exprès de celles-ci [CL369 de M. Mesnier et des membres du groupes LaREM].
Modalités d’exercice du contrôle parlementaire sur le traitement des données à caractère personnel prévu par l’article : information sans délai du Parlement s’agissant des mesures mises en œuvre pour l’application de l’article ; transmission sans délai, par les autorités compétentes, d’une copie des actes pris en application de ces dispositions ; remise par le Gouvernement d’un rapport trimestriel sur l’application de ces mesures [CL212 de M. Houlié (LaREM)].
Voir aussi : Le Conseil constitutionnel a validé lundi 11 mai 2020 la prolongation de l’état d’urgence sanitaire en France, mais il a censuré plusieurs dispositions concernant l’isolement des malades et le « traçage » de leurs contacts.