Laure V est enseignante en réseau d’éducation prioritaire (Rep) dans la région lyonnaise.
Témoignage
Comment vivre cet éloignement radical des jeunes enfants au contact desquels vous étiez en permanence avant le confinement ?
Depuis le début de l’épidémie, j’ai fait de mon mieux pour assurer la continuité pédagogique : des mails quotidiens, des vidéos, des photos ,des exercices à faire avec un minimum de matériel. Ce n’était pas de tout repos mais finalement assez enthousiasmant, il est parfois bon de relever quelques défis.
Mais après plus de 5 semaines d’ « école à la maison « , j’ai du me rendre à l’évidence : le métier que j’aime ne ressemble pas à ça ! Mes élèves me manquent, la relation aux familles aussi, les encouragements et le regard bienveillant que j’essaie de porter sur chacun, tout cela n’existe pas virtuellement. Une classe de maternelle, c’est plein de vie, de rires, de spontanéité et d’émotions, de bruit aussi : je ne retrouve rien de cela dans un mail.
C’est donc avec un certain soulagement que j’ai accueilli l’annonce de la réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai
Et les familles ? Leur position, leur commentaire ?
Pour les familles de mon école située en zone d’éducation prioritaire, les difficultés étaient souvent matérielles : un smartphone pour toute la famille, pas d’espace pour s’isoler, ni pour se défouler. Les échanges réguliers que les enseignants avaient avec ces familles faisaient tous état du même désarroi et des mêmes difficultés à gérer cette situation inédite. Au delà des apprentissages, c’est la structuration du temps, le cadre de la classe et ces personnages centraux que sont « la maîtresse » ou « le maître » qui manquent le plus. Ces «désirs d’école », je les constate même dans des milieux plus favorisés chez mes amis, dans ma résidence ou encore chez mes collègues. L’école, ce ne sont pas seulement des connaissances et des savoir-faire, c’est aussi l’apprentissage du vivre-ensemble, être unique au sein d’un groupe, respecter les autres mais s’affirmer…. Tout cela se fait difficilement virtuellement.
Laissons de côté l’intérêt économique de cette reprise qui paraît évident même s’il n’est pas mis en avant par notre gouvernement. Si l’intérêt pédagogique de cette reprise des cours semble limité, le bénéfice social du retour en classe revêt beaucoup plus d’importance à mes yeux. Même à 1 mètre les uns des autres, nous serons ensemble, nous apprendrons différemment, nos liens, nos échanges et nos interactions seront évidemment modifiés mais ils existeront.
Cela détermine la spécificité, l’ essentialité du métier ?
Le propre de notre métier est aussi de nous adapter, à chaque rentrée nous nous adaptons à nos nouveaux élèves, nous cherchons des stratégies pour faire progresser les enfants en situation de handicap, tous les jours nous essayons de faire en sorte que chaque enfant s’épanouisse : nous ferons de même en cette fin d’année, nous adapterons nos gestes et notre enseignement aux contraintes sanitaires pour le bien-être de nos élèves et je suis persuadée que nous en sommes capables.
De nombreuses voix s’élèvent contre cette reprise jugée prématurée, enseignants, parents, professionnel de santé sont inquiets et leurs inquiétudes sont surement justifiées car il est évident que l’éducation nationale navigue à vue depuis le début de la crise et que les décisions sont prises au jour le jour.
Actuellement, les questions de logistiques et d’organisations (désinfection, matériels de protections, temps d’accueil : qui ? quand ?) sont très loin d’être réglées.
Et pour que ces retrouvailles avec l’école se fassent dans les meilleures conditions, il serait bon que tout cela soit réglé avant le 11 mai…
Propos recueillis par MarieJoe Latorre