Laurent, 37 ans, chauffeur livreur et militant du NPA à Avignon, il a été contaminé par le Coronavirus. Il nous raconte son vécu de la crise et de la maladie, pour lui il s’agit « de ne pas cesser de lutter. »
On mesure à travers l’histoire de Laurent la tension qui monte progressivement dans le pays. La situation d’urgence sociale remplace peu à peu la situation d’urgence sanitaire et se présente désormais comme la première priorité du gouvernement. Avec ce qu’il faut bien appeler le risque de révolte des plus démunis. Ouvriers, chômeurs, étudiants, salariés pauvres, personnes qui ne peuvent plus joindre les deux bouts… de très nombreux français se trouvent frappés par une insécurité sociale et physique.
Tous ne partagent pas les mêmes convictions que ce militant mais la vulnérabilité commune produit du lien social, comme l’a démontré l’épopée des Gilets jaunes. Le chef de l’État Français identifié comme le président des riches se retrouve devant un défi de taille. Pour éviter que la bombe sociale explose, il va devoir sortir de sa posture et prendre des mesures économiques concrètes pour limiter l’impact sociale de la crise économique qui devrait être très dure.
Quand les médias ont commencé à parler d’un « coronavirus » qui ferait des ravages en Chine, j’ai réagi un peu comme tout le monde. Tout ceci était dramatique pour la population concernée, mais cela me semblait bien loin. Et puis aussi quelle idée de bouffer du pangolin ?
Il faut dire qu’à cette époque j’étais bien plus absorbé et concentré sur ce qui était, à mon grand désarroi, la fin du mouvement de lutte contre la réforme des retraites et le début d’une campagne électorale pour les municipales où j’entendais faire entendre la voix de celles et ceux qui n’en ont pas.
Puis les événements se sont enchaînés. Premiers cas en France ; ça devait être une mauvaise grippe, la plupart étaient unanimes sur le sujet. Je n’allais tout de même pas m’inquiéter pour si peu. Mais quand même, je commençais à songer à ma grand-mère à qui je demandais de sortir le moins possible de chez elle :
« Je viendrais t’apporter tes courses mamé »
Puis tout s’est accéléré, l’épidémie, le nombre de mort.e.s. qui entraînent incompréhension et colère contre des gouvernements qui ont mis à mal le service public de la santé depuis 30 ans, qui entraînent hésitation également quand à ma démarche personnelle. Faut-il continuer à vivre comme si de rien n’était ? Oh et puis mince, je suis engagé dans une campagne électorale, je ne peux pas m’arrêter d’aller sur les marchés et faire des réunions en lieux clos.
Puis le 17 vint la mise en place du confinement. La prise en compte du danger réel qui pèse autour de nous devient palpable. Par chance, je bosse dans un secteur qui a du s’arrêter de tourner. Je me suis donc retrouvé au chômage technique dès le début.
Puis, enfermé chez moi, j’ai commencé à m’informer sur ce qu’était vraiment ce virus, un peu comme tout le monde. J’y ai appris, même si je n’en doutais guère, qu’en tant que grosse personne je faisais partie des « personnes à risques ».
Puis rapidement sont venus les premiers symptômes. Migraine, fièvre, fatigue et courbatures. Je n’allais pas m’inquiéter pour si peu, ce devait être un gros rhume cumulé à la fatigue d’une campagne électorale éprouvante.
L’ennemi à ma porte
Au bout d’une semaine, je me suis dit qu’il fallait consulter. J’ai finalement peut-être attrapé cette merde et si j’étais contagieux je ne voulais pas risquer de mettre la vie d’autrui en danger.
Après avoir pu contacter mon médecin par téléconsultation, il m’a prescrit un traitement habituel pour la grippe. Du paracétamol et du repos. « Puis-je me faire tester pour savoir si j’ai ou non le Covid ? ». Et bien non, pas de test possible, les laboratoires n’en ont pas. Avoir des masques pour éviter de contaminer d’autres personnes ? Aucune pharmacie n’a pu m’en procurer.
Me voilà donc coincé sans être sûr de l’efficacité de mon traitement et avec l’oppressant doute de ne pas savoir si je dois me préparer psychologiquement à une éventuelle aggravation de mon état de santé.
Les jours se suivent et ne se ressemblent guère. Il faut dire que ce truc est fourbe. Rien n’est linéaire dans l’évolution de mes symptômes. KO complet pendant deux jours, puis une journée de répit où l’on s’espère tiré d’affaire puis on replonge, sans cesse, comme un cauchemar dont on ne voit la fin.
Après deux semaines de symptômes, je consulte une nouvelle fois mon médecin qui a enfin pu me prescrire un test.
Testé positif
Rapidement la nouvelle est arrivée, comme un coup de massue. Je suis bien positif au Covid-19.
Finalement je préférais ne pas savoir. Difficile désormais de garder confiance et espoir. J’ai pris conscience que mourir dans les jours ou semaines à venir était réellement une hypothèse.
Mourir maintenant, seul, confiné ? À qui en parler ? À ma famille qui ne pouvait rien faire à distance ? À mes ami.e.s proches seulement ? À tout le monde ?
Finalement, m’exprimer publiquement sur les réseaux sociaux à ce sujet m’a fait du bien et m’a permis d’avoir un soutien précieux, même si paradoxalement je ne pouvais m’empêcher de culpabiliser du souci causé à mes proches.
Puis sont survenus les premiers signes inquiétants de détresse respiratoire. Je me suis réveillé en pleine nuit avec l’impression d’étouffer. Me voilà dans une ambulance en pleine nuit, direction l’hôpital. J’ai vécu cet instant comme si ce véhicule était un corbillard qui m’amenait au cimetière. Un sentiment traumatisant, qui sera certainement gravé à vie dans ma mémoire et mon inconscient. Aujourd’hui encore j’en fais des cauchemars.
Par chance, peut-être par instinct de survie, mon corps a bien réagi à partir de ce jour. J’ai pu éviter d’être placé en réanimation et ai pu rester dans le secteur des « covid moins » ; celles et ceux qui n’ont pas besoin d’assistance respiratoire.
J’ai pu voir, durant cette semaine passé en milieu hospitalier, la détresse, la fatigue, la colère du personnel soignant en manque de moyens, d’effectif et soumis à une pression inhumaine.
Face à la menace de la mort, j’ai fait le choix de ne pas parler publiquement de mon hospitalisation. Parce que face à la fatalité, je ne voulais pas que l’on s’apitoie sur mon sort. Et je voulais me persuader que j’arriverais à m’en tirer. Ma volonté de me battre, de lutter était plus forte que jamais.
Plus que jamais, la lutte
Je ne saurais jamais si cela a joué mais mon état s’est rapidement amélioré. J’ai pu quitter l’hôpital, rentrer chez moi, ne plus avoir de symptômes et retrouver une vie « normale » de confiné après trois semaines en enfer. L’envie de vivre, de me battre contre les coupables, de détruire ce putain de système capitaliste s’est décuplée.
Laurent Di Pasquale