Lors de leur visioconférence, le 26 mars, les chefs d’État et de gouvernement des 27 États de l’UE ont remis à plus tard la décision quant à l’émission d’obligations communes pour lutter contre les conséquences économiques de la crise du coronavirus. Tandis que l’Italie et l’Espagne réclament des « corona bonds », l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, notamment, s’y opposent. Comment sortir de l’impasse ?
La chancelière allemande, Angela Merkel, a dit non, jeudi 26 mars, à l’idée d’émettre des « corona bonds », comme l’avaient proposé neuf pays européens, dont la France. Ces États désiraient créer des obligations (un titre de dette) mutualisées de la zone euro, afin de disposer de fonds importants pour tenir le choc économique face à l’épidémie de coronavirus qui frappe durement le continent.
Leur but est de favoriser la reprise de la croissance, lourdement pénalisée par le confinement, avec de l’argent garanti par un fonds européen commun. Les ‘corona bonds’ sont les équivalents des ‘euro bonds’ qui avaient été évoqués en 2011 lors de la crise de la dette grecque et n’ont jamais vu le jour.
Pour l’instant, chaque pays émet sa dette publique de son côté. Il s’agit de mutualiser la dette publique au niveau de la zone euro. Mais sur le marché de l’argent, une dette de moins bonne qualité exige une rémunération supérieure. En clair : Tout dépend de la capacité du pays à rembourser sa dette publique. Et cette capacité est plus forte, par exemple, en Allemagne, qui emprunte à taux négatif qu’en Italie ».
L’Italie aurait donc tout intérêt à la création des « corona bonds ». Si les investisseurs demandent une ‘prime’ à l’Italie, c’est parce que la péninsule (…) présente selon eux un risque d’insolvabilité. D’après la Commission européenne, sa dette publique dépasse les 136%, deuxième ratio le plus élevé en Europe après la Grèce ».
Les demandeurs d’une mutualisation proviennent essentiellement le sud de l’Europe, plus vulnérable aux crises. Mais la France fait aussi partie des demandeurs. Neuf dirigeants européens, dont Emmanuel Macron et l’Italien Giuseppe Conte, ont appelé à la création de ces « corona bonds » dans une lettre adressée, mercredi 25 mars, au président du Conseil européen, Charles Michel. Ils jugent que cet emprunt commun est nécessaire face à la crise sanitaire.
Dans une tribune adressée à Reuters, le gouverneur de la Banque du Portugal, Carlos Costa, surenchérit. « Un échec de la coopération dans cette crise laisserait des cicatrices permanentes sur le projet européen », écrit-il, estimant que « des solutions doivent être trouvées afin d’éviter que l’urgence du coronavirus devienne une deuxième crise de la dette souveraine ». Cependant, comme il fallait s’y attendre, les « corona bonds » sont loin de faire l’unanimité.
Revue de Presse euro topic
La Vanguardia (Espagne)
La voix de la France sera déterminante
La ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha González, a comparé la situation au naufrage du Titanic et souligné qu’il ne fallait pas trier les passagers à sauver selon qu’ils fussent de première ou de seconde classe. Une métaphore saluée par le rédacteur en chef de La Vanguardia :
«Cette comparaison n’a rien de futile. L’Europe est en train de sombrer tandis que les gouvernements continuent de jouer la même musique, tel le célèbre orchestre du navire britannique. … Les pays d’Europe méridionale ne sont pas disposés à dire toujours amen aux puissants du Nord. La clé pourrait être entre les mains de la France, qui a l’habitude de suivre sa propre voie. L’évolution de la pandémie dans ce pays pourrait inciter Emmanuel Macron à pencher dans un sens ou dans l’autre.»
Financial Times (Grande-Bretagne)
Vers une ‘coalition des volontaires
Il ne faut pas que la France, l’Italie, l’Espagne et le reste des pays qui sollicitent l’émission d’euro-obligations se laissent décourager par la réticence des autres Etats, fait valoir Financial Times :
«Il existe une issue. Ces pays pourraient créer des obligations mutuelles au sein d’une coalition des volontaires. Puis demander à la BCE d’acheter ces titres dans le cadre du programme de rachat d’urgence. D’un point de vue juridique, la mutualisation de la dette d’États souverains resterait considérée comme une dette publique, mais le remboursement serait partagé. Cela ne soulagerait pas l’endettement des États en difficulté autant que ne le ferait un programme formellement conçu à l’échelle européenne, mais cela créerait, au moins, un précédent et permettrait de lever des fonds.»
Efimerida ton Syntakton (Grèce)
Mettre enfin des limites à Berlin
Efimerida ton Syntakton appelle à ne plus tolérer l’égoïsme de la stratégie de crise allemande :
«L’UE est pour l’Allemagne une construction pratique : elle lui permet de dissimuler son protectionnisme en menant ses partenaires européens par le bout du nez et feignant de se montrer solidaire. Le rejet des eurobonds pour lutter contre le Covid-19 n’est que la partie émergée d’un iceberg sur lequel l’UE vogue au gré des crises. … Cet iceberg étant aussi ancien que l’UE et que ses règles, le problème réel n’est pas l’Allemagne et son nationalisme économique profondément enraciné. Le problème, c’est que les autres tolèrent cet état de fait et acceptent qu’il gangrène les institutions de l’UE.»
La Républica (Italie)
On peut comprendre les réticences
L’Italie doit se résoudre au fait que les eurobonds sont une perspective illusoire, estime l’économiste Roberto Perotti dans La Repubblica :
«Est-il vraiment si étonnant que les pays d’Europe septentrionale soient aussi réticents ? Contrairement à la crise de 2011, ils sont directement impliqués cette fois-ci et confrontés à une énorme incertitude : il serait irréaliste de croire qu’ils veuillent également assumer le risque que représente un pays aussi endetté que l’Italie. Aucun leader politique des pays du Nord ne prendra la responsabilité de prêter ou d’envoyer l’argent de ses contribuables en Italie pour se voir reprocher ensuite qu’il aurait pu être utilisé dans son propre pays. Les politiques et les chroniqueurs italiens feraient bien de prendre acte de cette réalité.»
Dnevnik (Slovénie)
L’autarcie ne sera d’aucun secours
Ceux qui s’opposent à une action commune occultent les dangers de la pandémie, juge Dnevnik :
« Dans les prochaines semaines, il faudra que les chefs d’État et de gouvernement de l’UE comprennent combien ils seraient démunis face à la pandémie sans l’appui de l’Union, de la BCE ou du marché unique. Peut-être cela les incitera-t-il alors à faire preuve d’une plus grande solidarité financière. Le retour à l’autarcie est certes une belle pensée. Mais la pandémie ne changera rien à la mondialisation, et l’autarcie ne permet pas de diluer efficacement les risques.»
Latvijas Avize (Letonnie)
Les profiteurs se bousculent au portillon
Māris Antonēvičs, journaliste à Latvijas Avize, voit dans le Covid-19 une bonne occasion d’identifier les brebis galeuses de l’économie :
«Je dois dire que la formule bien connue ‘la crise comme chance’ ne m’inspire guère. Il se trouvera toujours quelqu’un pour profiter des souffrances d’autrui. … Beaucoup de ceux qui ont perdu leur emploi ces dernières semaines pourraient prochainement se heurter à des problèmes financiers et il y a fort à parier que des gens bien intentionnés seront prêts à leur prêter main-forte avec des offres de crédit joliment ficelées. … La ministre de la santé, Ilze Vinkele, a souligné cette semaine que des entreprises cherchaient à s’enrichir avec le Covid-19, qu’elles demandaient des sommes disproportionnées pour des équipements de protection non conformes. La situation actuelle est donc l’occasion de déceler la véritable nature d’un certain nombre d’entrepreneurs.»
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