Le racisme anti-Asiatique est devenu visible avec la propagation du coronavirus. Jusqu’ici, on en parlait peu, témoignent les principaux concernés. Même si la Française d’origine sino-thaïlandaise et laotienne dit s’y être habituée, car elle en est victime depuis toute petite, elle trouve ce type de racisme « trop normalisé », trop ordinaire.
Depuis un mois, les témoignages de personnes asiatiques poussées hors d’un RER ou qu’on évite par peur du virus, fleurissent sur Twitter. Le coronavirus sera-t-il l’occasion d’identifier un problème vécu au quotidien par une partie de la population ?
Quand Wen, d’origine taiwanaise et vivant en France depuis plus de 25 ans, s’est assise dans le métro, un adolescent devant elle s’est couvert la bouche avec son t-shirt en la regardant avec méfiance. Comme si elle était contagieuse et qu’il risquait de tomber malade en restant en face d’elle. Depuis début février, les témoignages de personnes asiatiques stigmatisées fleurissent sur la toile. Une discrimination qui s’ajoute à la liste déjà conséquente des comportements et insultes racistes que les personnes asiatiques subissent chaque jour en France. Avant l’apparition du virus, Vissaka entendait déjà des propos discriminants au moins une fois par mois. Le plus souvent, venus de personnes qu’elle ne connaît pas, ou qu’elle vient à peine de rencontrer. Même si la Française d’origine sino-thaïlandaise et laotienne dit s’y être habituée, car elle en est victime depuis toute petite, elle trouve ce type de racisme « trop normalisé », trop ordinaire.
Selon Daniel Tran, vice-président de l’Association des jeunes Chinois de France (AJCF), le racisme ordinaire, commentaires et attaques verbales basées sur des stéréotypes, forme « le premier degré du racisme » dont sont victimes les Asiatiques en France. « Ce type de racisme peut détruire la confiance en soi, au collège et au lycée. Il provoque une mauvaise image de nos racines asiatiques et peut conduire à un rejet de ces dernières ».
Sous le prétexte de l’humour
« Ce racisme-là est banalisé. Sous prétexte de l’humour, tout est permis, explique Frédéric, un étudiant d’origine vietnamienne vivant à Troyes. Et parce que ce n’est qu’une blague, on ne devrait pas être vexé. Mais ce n’est pas parce qu’on peut rire de tout, qu’on peut dire n’importe quoi. »
Un épisode l’a particulièrement marqué, pendant sa première année d’IUT. Assis en cours au milieu de ses vingt camarades de classe, une casquette sur la tête, son professeur le regarde droit dans les yeux avant de l’interpeller. « Écoute, la casquette, c’est quand tu fais les sushis. » Rendu muet par le choc et l’incompréhension, Frédéric ne répond pas tout de suite. Un malaise s’installe, des rires gênés. Et quand il répond « ben, non en fait », l’enseignant se justifie, prétexte une blague, avant de renchérir. « Non mais je déconne, hein, c’est pas vrai… Enfin… Non sinon, tu sais faire des nems ? ».
Des années après, ce souvenir reste gravé dans sa mémoire. « Ce qui m’a le plus choqué, c’est qu’une figure de l’éducation nationale se permette de faire ce genre de blagues en pensant être drôle. »
Sentiment d’altérité
« Il y a une certaine commodité à utiliser les clichés et se moquer d’un groupe de personnes, quand elles ne font pas partie de notre entourage », explique Dan Cohen, responsable du développement de SOS racisme en région parisienne, pour expliquer la banalisation du racisme anti-Asiatique dans le discours populaire. Il ajoute : « L’altérité est comprise par certains comme très lointaine, ce qui leur permet de faire des sketchs comme ceux de Gad Elmaleh et Kev Adams. » Les deux humoristes français ont suscité la controverse en 2016 lors de la diffusion sur M6 d’un sketch où ils enchaînent blague raciste sur blague raciste, vêtus de costumes stéréotypés « chinois ».
Pour Didier Soulivanh, vice-président du Haut conseil des Asiatiques de France, c’est l’une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de s’exprimer plus souvent sur le racisme anti-Asiatique. « À partir du moment où on en parle, où on commence à mettre des mots dessus, on commence à identifier le problème ».
Un sujet encore timide
Les stéréotypes à l’origine des commentaires racistes peuvent être porteurs de conséquences graves. En 2016, Chaolin Zhang est agressé et tué à Aubervilliers, au nord de Paris, par trois jeunes qui tentent de le voler. Il est pris pour cible en raison de ses origines chinoises qui, pour les agresseurs, signifient qu’il transporte beaucoup d’argent sur lui. L’événement soulève alors l’indignation au sein de la communauté asiatique. Elle manifeste en nombre dans les rues de Paris et d’Aubervilliers pour dénoncer le racisme dont elle est victime et réclamer plus de sécurité. Pour Daniel Tran, la mort de Zhang Chaolin représente un tournant. « Il y a eu une prise de conscience dans la communauté, mais surtout à l’extérieur de celle-ci. Beaucoup de personnes ont découvert l’existence du racisme anti-Asiatique ».
Malgré la médiatisation d’un tel événement, le changement de mentalité n’est pas encore perceptible dans le quotidien des personnes concernées. La dernière fois que Pauline, une étudiante bordelaise d’origine vietnamienne s’est fait insulter dans la rue, c’était il y a deux semaines. Et depuis un mois, les témoignages de personnes asiatiques poussées hors d’un RER ou qu’on évite par peur du virus, fleurissent sur Twitter. De manière générale, elle estime le sujet encore trop peu abordé. « Et pourtant, c’est quelque chose qu’on vit au quotidien ».
Pour Daniel Tran, la recrudescence du racisme anti-Asiatique dû à la propagation du coronavirus l’a rendu plus visible. « Ce qui est bien, c’est qu’on parle du fait qu’il y a du racisme. » Plusieurs journaux ont déjà publié des articles sur ce problème et l’AJCF a été contactée par une vingtaine à une trentaine de médias en moins d’une semaine. « On voit que les médias sont beaucoup plus sensibilisés à cette question. C’est vraiment un grand pas ».
Valentine Benech
« Dénoncer le racisme anti-Asiatique est un phénomène assez récent. »
Une nouvelle génération prend la parole
« Dénoncer le racisme anti-Asiatique est un phénomène assez récent. » Selon Daniel Tran, vice-président de l’Association des jeunes Chinois de France, il a fallu attendre que les fils et filles d’immigrés asiatiques grandissent et prennent publiquement la parole, pour que ce type de discrimination soit dénoncé. Étant nés et ayant grandi dans l’Hexagone, ces Français d’origine asiatique ont mieux accès aux médias, maîtrisent parfaitement la langue, et comprennent mieux la culture que leurs parents. Une nouvelle génération portée par des personnalités telles que Frédéric Chau au cinéma ou Linh-Lan Dao dans le journalisme. « On voit émerger une nouvelle génération qui a envie de s’exprimer sur des sujets de société et de défendre le savoir-vivre ensemble, la tolérance intercommunautaire en France », estime Didier Soulivanh, vice-président du Haut conseil des Asiatiques de France, lui-même Chinois de deuxième génération.
V. B.
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