Le foulard vert porté autour du cou est devenu le signe de ralliement des féministes argentines, en lutte pour une loi autorisant enfin l’avortement. Le film de Juan Solanas, Femmes d’Argentine offre un éclairage passionnant sur ce combat emblématique.
De « Femmes d’Argentine, on pourrait dire « pas vu à la télé. La force du cinéma, c’est aussi cette capacité à ouvrir ou aiguiser notre regard sur des réalités occultées ou peu visibles : ici, le combat de femmes argentines pour le droit à l’avortement. Le sous-tire en espagnol, Que sea Ley, (Que la loi soit ) répété comme un leitmotiv à la fin du film peut paraître plus fort que (très) neutre Femmes d’Argentine. Mais qu’importe au fond, Femmes d’Argentine est un documentaire magnifique sur une lutte qui concerne quasiment toutes les femmes d’Amérique latine. Actuellement, le droit à l’avortement n’existe que dans de rares pays d’Amérique latine : Cuba, le Paraguay.
Soutenu par le Planning familial, la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International ou localement par France-Amérique latine (et plus classiquement par les hebdomadaires Politis et Télérama), le film de Juan Solanas est aussi une sorte de portrait de la société argentine et de ses fractures. Entre les foulards verts des manifestantes et le drapeau national et les crucifix brandis par les « Pro-vie ». Entre les batucadas joyeuses des féministes et les hallucinantes prières de rue des évangélistes. Le réalisateur filme en même temps les débats au Sénat lors de l’examen de la loi, en 2018, et les réactions « live » des manifestantes, l’argumentation des sénatrices et sénateurs favorables au vote de cette loi et des opposants farouches pour lesquels un foetus semble avoir plus d’importance que la vie de femmes enceintes. Le Sénat, par 38 voix contre 31 refusera le vote de cette loi, sans que cela signifie pour autant la fin de l’histoire.
Femmes d’ Argentine, c’est d’abord un constat glaçant qui vaut condamnation : la mort de ces jeunes femmes contraintes à des avortements clandestins comme il en existait en France avant le vote de la loi Veil, en 1975. Le témoignage de leurs proches constitue un des moments les plus forts de ce film intense. Les humiliations infligées par des médecins mais aussi des infirmières, la culpabilisation de ces femmes où l’on sent poindre le discours mortifère des églises sur le « péché »: Que sea Ley montre le poids de la religion dans la société argentine mais sans vision simpliste : le fanatisme des évangélistes et des « pro-vie » (comme si l’autre « camp » n’était pas favorable à la vie) côtoie la parole de prêtres au fond plus humains, plus progressistes que des médecins, hommes de prétendue science mais de vrai aveuglement idéologique. A cet égard, le discours d’un médecin à la tribune du Sénat est édifiant. Femmes d’ Argentine, c’est à la fois l’espoir d’un vote favorable vu à travers le regard de ces combattantes pacifiques au foulard vert et la lutte qui continue, malgré la déception.
Nouveau président, nouvelle donne ?
L’arrivée au pouvoir du nouveau président de la République, Alberto Angel Fernandez qui a succédé à l’ultra-libéral Mauricio Macri en décembre 2019 ouvre une nouvelle voie au vote de cette loi. Pour l’universitaire Lissell Quiroz, enseignante en Etudes latino-américaines, s’exprimant dans le journal suisse Le Temps, « l’initiative du président Alberto Fernandez de légaliser l’avortement marque un tournant. En 2018, le projet de loi qui avait été adopté par les députés avant d’être rejeté au Sénat constituait déjà une avancée mais la lutte est loin d’être terminée ». Selon la maître(sse) de conférences à l’Université de Rouen, « l’espoir grandit dans la mesure où la mobilisation est ancienne (…) en réalité, une grande partie de la population est déjà favorable à la dépénalisation de l’avortement. En revanche, la légalisation rencontre davantage d’opposition puisqu’elle comporte des questions sous-jacentes plus pointues. Le président et le gouvernement devront réfléchir à leur manière de concevoir le projet. Actuellement, les féministes songent à demander un référendum sur cette question ».
Pour mesurer la gravité de la situation actuelle, il faut se pencher sur le chiffre « d’environ 400 avortements clandestins » pratiqués chaque année et sur les propos de Lissell Quiroz: « lorsque des femmes ne succombent pas, elles peuvent avoir des séquelles importantes car elles ne sont pas forcément suivies par des médecins (…) leur prise en charge tardive dans les hôpitaux après une IVG peut engendrer l’infertilité ou des complications ».
Présenté lors du festival Regard de femmes qui s’est déroulé du 4 au 8 mars à Martigues, le film sortira dans les salles le mercredi 11 mars. Que sea Ley…
Morgan G.