Les enseignant-e-s du Lycée Jean Lurçat à Martigues (un des deux établissements publics de la ville) ont appelé à un rassemblement contre la réforme des retraites le lundi 9 décembre, auquel se sont joints des Gilets jaunes, des salariés du privé, des fonctionnaires territoriaux, des lycéens, des hospitaliers… A la veille d’une nouvelle manifestation à Marseille, les acteurs du mouvement ont fait un état des lieux de la lutte dans différents secteurs.
Drapeaux de la FSU, de Solidaires Education, de la CGT, de FO, tee-shirts blancs des « profs » décorés d’une simple mention « En grève », gilets jaunes…: toutes les couleurs étaient réunies pour un rassemblement qui s’est tenu devant les grilles du Lycée Lurçat où le mouvement est très suivi depuis le jeudi 5 décembre. « Aujourd’hui, nous sommes un peu moins de 50% de grévistes ce qui est quand même considérable pour une grève reconductible, sachant que le pourcentage devrait être plus important mardi, après le succès exceptionnel de la journée de jeudi » relève Philippe Sénégas, responsable du syndicat SNES-FSU. Le 5 décembre, un cortège impressionnant,comme on n’ en avait plus connu depuis fort longtemps, a parcouru les rues de Marseille. Les estimations ont varié de 150 000 selon la CGT à ….30 000 selon la Préfecture. De tels écarts de chiffrages sont coutumiers pour les manifestations se déroulant dans la capitale régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Quoi qu’il en soit, pour le responsable syndical enseignant, la mobilisation a été « très importante dans l’Education, avec plus de 75% de grévistes dans le second degré et plus de 70% dans le premier degré, contrairement aux mensonges de M. Blanquer ». Au Lycée Jean Lurçat, le pourcentage de grévistes a atteint les 81%. Les enseignants auraient-ils mal lu les grandes lignes du rapport Delevoye, comme le laisse entendre le Ministre de l’Education ? En tout cas, les accointances du haut commissaire aux retraites avec le secteur de l’assurance (*) révélées le matin même, ne sont pas passées inaperçues lors du rassemblement.
Un « régime universel juste » sur-vendu par le pouvoir et ses affidés médiatiques après avoir stigmatisé les « régimes spéciaux » de retraites qui concernent en fait… » 3% de la population » souligne Philippe Sénégas. ! La ficelle semble un peu grosse. « Lorsque nos glorieux anciens du Conseil national de la Résistance ont créé la Sécurité sociale, c’était dans un pays en ruines et on a trouvé les moyens de financer un système de retraite par répartition, aujourd’hui nous sommes la sixième puissance économique du monde, le pays n’ a jamais été aussi riche » rappelle l’enseignant en histoire-géographie.Et ce pays n’aurait plus les moyens de faire vivre la retraite par répartition ? Pour Frédéric Grimaud, enseignant dans le premier degré, « le ministre essaie de fissurer le front syndical et interprofessionnel en annonçant des hausses de salaire pour les enseignants ». Calcul fait, celui qui n’est pourtant pas prof de maths évalue cette hausse de salaire digne du Père Noël à … »37 euros par mois » !
« Je n’adore pas le mot de pénibilité »
Les agents territoriaux chargés de la collecte des déchets, désormais dans le giron de la métropole Aix-Marseille-Provence, sont en grève reconductible depuis le 5 novembre. « On est en train de voir comment faire tourner les effectifs pour que la grève dure » explique leur responsable syndical (CGT), Sébastien Cravéro, « on sait qu’on a un service très impactant (les poubelles qui débordent, Ndlr) et on demande de la compréhension à tout le monde, on a 17 ans d’espérance de vie en moins dans nos activités et vu comment M. Macron considère la pénibilité au travail, je l’invite à passer une seule journée derrière un camion poubelle. Rester jusqu’ à 64 ans derrière un camion, c’est inacceptable, les gens sont détruits par ces pratiques, ça veut dire qu’il y aura des agents qui seront mis d’office à la retraite. ».
Si le Président de la République a confié ne « pas adorer (sic) le mot pénibilité » , Sébastien Cravéro, lui, considère que « l’on fracasse déjà des agents au sein de la métropole alors qu’il y a des solutions simples : réduire les tournées, imposer d’autres formes de collecte, la féminisation : à Paris, elle a permis de faire progresser les conditions de travail. On a beaucoup de mal à faire comprendre que c’est pour l’intérêt de tous que l’on se bat : le système par capitalisation est néfaste, il est scélérat, c’est notre argent, celui de nos cotisations, notre salaire différé sur lequel ils veulent mettre la main. On est conscients que c’est tous ensemble qu’on doit mener la lutte, cela impacte autant nos camarades de l’Hôpital, du BTP, de la sidérurgie, de la pétrochimie. »
« Ils veulent nous faire mourir au travail et ça c’est inacceptable » s’indigne le militant syndical, « on a déjà laissé trop faire avec ce gouvernement, il nous faut descendre dans la rue, bloquer l’économie, il n’ y a que comme ça qu’ils capituleront ».
A l’hôpital de Martigues, secoué lui aussi par la grève aux Urgences (depuis juin) et dans l’ensemble des services depuis juillet, « nous sommes moins visibles car le personnel gréviste travaille » précise Michel Nunez, secrétaire du syndicat CGT, « nos retraites sont calculées sur les six derniers mois, demain, si Macron arrive à faire ce qu’il veut, ce sera sur l’ensemble de la carrière ». Nul besoin d’être agrégé de mathématiques pour comprendre qu’ avec le salaire des agents hospitaliers, la retraite par points, « plus juste » selon la langue de bois gouvernementale, est un miroir aux alouettes. « Il n’ y aura pas un seul gagnant avec cette réforme » résume un militant de FO.
C’est bien un cocktail de colères et de revendications qui s’est exprimé durant ce moment, laissant entrevoir un mouvement durable (les raffineries de La Mède et Lavéra sont aussi touchées par le mouvement de grève). Conditions de travail, politique d’austérité qui étouffe les services publics, emplois fictifs, révolte contre les pères-la-morale qui n’appliquent jamais leurs leçons à eux-mêmes (le nom de François Bayrou a été cité lundi): le malaise est profond. Jean-Jacques, « gilet jaune de Marseille » évoque « Bruno Lemaire, le ministre de l’économie qui a dit qu’il n’ y aura pas d’augmentation du SMIC en janvier: au-delà des retraites, il faut aussi penser au pouvoir d’achat ». Ses mots traduisaient un sentiment qui gagne du terrain face aux injustices de ce monde, de « leur » monde : « j’espère qu’on est arrivé à dépasser la couleur du gilet, qu’il soit jaune, rouge, vert ou noir ».
Qui aurait pensé il y a quelques années que des lycéennes et lycéens participeraient aussi à une manifestation pour les retraites? Ce système économique leur a même volé leur insouciance.
Morgan G.