La nouvelle a circulé très vite. Hormis les nombreux rendez-vous déjà prévus ce dimanche 17 novembre 2019, les Gilets Jaunes des Bouches-du-Rhône ont investi Plan de Campagne, zone commerciale classée la plus importante de France.

 

Manifestations, distributions de tracts, visites de galeries marchandes ont ponctué la journée d’actions entre Aix-en-Provence et Marseille.

 

 


Klaxons solidaires quasi systématiques contre sirènes de police tonitruantes. Plan de Campagne a vécu des heures 100% jaunes, ce dimanche 17 novembre 2019. De cette révolte qui nourrit l’espoir collectif et ravive les couleurs d’un espoir de justice et de démocratie, quelques minutes après qu’à quelques encablures, côté pont de l’étoile, la police chargeait assez violemment un autre rassemblement de Gilets Jaunes.


 

Au cœur du temple de la consommation, ce nouvel acte aux couleurs contestataires signe l’enracinement d’une indignation qui perdure malgré la stratégie de musellement en face, quelques minutes avant qu’un bataillon musclé ne vienne tenter d’intimider le cortège déterminé.

 

Jenny, 68 ans travaille encore pour pouvoir s’acquitter de ses charges

Comme le soulève Jenny, 68 ans, apprêtée pour l’occasion depuis Port de Bouc d’où elle vient : « Douze mois c’est long et c’est court. Plus ils nous ordonnent de nous taire sans écouter nos cris et plus on réagira. La situation est dramatique car ils ignorent ce que nous sommes, ce que nous avons fait depuis, ce que nous voulons. Ils sont en train de tout détricoter, c’est une mascarade qui touche d’abord les plus démunis. Ce gouvernement sournois s’imagine que la force, l’autorité va gagner mais non, c’est le peuple qui décide justement, c’est le peuple qui est dans la rue et réclame une vie digne, surtout quand les promesses restent toujours au stade de promesses ».

Jenny a deux enfants et cinq petits-enfant. A l’âge où ailleurs on se délecte tranquillement d’une retraite, elle est contrainte d’aller travailler « chaque matin avec des personnes âgées pour finir les fins de mois cauchemardesques ». Elle ajoute : « Mon pouvoir d’achat a plongé depuis deux ans, d’abord avec l’augmentation des factures d’EDF et de Gaz puis avec le prix du carburant, avec tout ce qui concerne la consommation. Et ça s’est accéléré avec ma voiture qu’il a fallu changer pour une essence. Là, c’est le prix de la carte grise qui a plombé mon budget ».

 

 

Les statistiques de Paulo

Un peu plus loin, Paulo vient d’Aubagne. Comme Jenny, il n’a plus 20 ans mais aime les chiffres : « C’est simple, en France il y a 9 300 000 pauvres recensés sans parler des gens de la rue où près de 2000 personnes décèdent chaque année ». Et d’expliquer le mouvement : « Les Gilets jaunes ont permis de réveiller la population et de se regarder ensemble avec plus de responsabilités, plus d’actions, plus d’esprit de résistance ».

Dans un quinquennat Macron qui s’enlise notamment par la théorie des réformes, les citoyens résolus refusent d’être indéfiniment méprisés ou de se faire servir « une soupe aux cailloux », comme l’évoque plus loin un Gilet Jaune, qui préfère rester anonyme.

A 40 ans, ce dernier est déjà épuisé par la vie et son dur travail. Il s’indigne : « Je suis si sous payé qu’on en pleure parfois avec ma femme ! Je n’arrive pas à joindre les deux bouts, c’est impossible quand on a des enfants à nourrir et des charges à payer. Aujourd’hui, les dirigeants se coupent des électeurs au nom d’une économie de marché qui plonge toute la société dans du n’importe quoi ».

Partisan du blocage général et même d’aller avec d’autres occuper l’autoroute riveraine, il est vite freiné par une horde de gendarmes mobiles venus le sommer de laisser les clients accéder à la pompe d’essence près du Gant Casino où le cortège avait choisi une action, plus corsée.

 

« J’ai ouvert les yeux, et vous? »

Avant de devoir évacuer pour entamer une longue marche le long des allées entre les deux-ronds points de la zone commerciale à son comble ce jour-là, Paulo ne tarit de statistiques : « Ici dans notre région en 2016, il y a eu un blessé grave. En 2017, deux. En 2018, il y en a eu 40 ! Voilà ce que ça donne quand on gère les manifestations par des armes de guerre !»

Arguant sur leur dossards « J’ai ouvert les yeux et vous ? », fustigeant le gouvernement par des pancartes « Macron ton pire cauchemar est toujours là, on lâche rien », rythmant le pas de slogans scandés en choeur « Travaille, consomme et ferme ta gueule », c’est presque naturellement que le cortège s’est infiltré dans une des galeries marchandes où très vite les commerces apeurés ont baissé leur rideaux.

Laissant au passage un commerçant fou de rage mais plein de remords d’avoir insulté un gilet Jaunes sexagénaire, les quatre-vingt manifestants sont allés plus loin, investir les portes du temple du hamburger rappelant en martelant au géant américain : « Mac-do, paie tes impôts ! ».

Une demie-journée qui s’est conclue par un lâcher de fumigènes couleur sang. L’occasion de chanter un joyeux anniversaire collectif en ce lieu de convergence et de luttes ouvert à de nouvelles perspectives communes.

 

Photo : H.B.

 

Politique, Ric et liste citoyenne

Très investie, Lucia, 32 ans est artisane-bijoutière dans une petite entreprise. Même si elle ne s’en plaint pas, elle a un petit salaire. Elle a pris le carrefour jaune dès ses débuts en 2016.

Elle analyse : «Au sein du mouvement, il y a plusieurs avis politiques. Certains réfléchissent à la dimension politique, d’autres préfèrent la fuir. Mais je pense que si certains partis récupèrent les gilets Jaunes, il peut y avoir des risques. Parce qu’on est dans un système du donnant aux plus riches au détriment des classes inférieures. Par exemple, la taxe d’habitation a été supprimée mais beaucoup de gens ne savent pas à quoi elle servait. Elle servait justement à nourrir des budgets locaux très importants. Le CICE c’est un cadeau fiscal à 100 000 milliards d’euros qui supprime plus de 1 millions d’emplois. Toutes ces mesures ont des retombées directes sur les petites gens que nous sommes et qui payons pourtant nos impôts. Quand une collectivité, un Etat a moins d’entrées d’argent ce sont les services publics qui en subissent les conséquences et donc nous en tant qu’usagers».

Lucia a fait une immersion en 2016 dans les ateliers citoyens lancés par Etienne Chouard. Elle y a trouvé les clés pour mieux comprendre le système. Elle appréhende un peu les municipales même si elle pense avant tout à « un système de liste citoyenne pour faire passer le RIC et faire ainsi un test à petite échelle avant de soutenir une plus grande liste au niveau national ».

 

H.B.

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».