Le 1er juillet 2016, naissait le Groupement Hospitalier et Universitaire des Bouches-du-Rhône « GHT-Hôpitaux de Provence », s’imposant d’emblée comme l’un des plus importants de France avec plus de 3 000 médecins et 24 000 personnels présents au sein de 13 établissements implantés sur le vaste territoire des Bouches du Rhône qui abrite environ 2 millions d’habitants.


Ici, parallèlement à un vaste chantier de rénovation, d’embellissement et d’agrandissement des édifices, les directions successives transformées en porte-paroles de l’Agence Régionale de la Santé lorsque ce n’est du gouvernement, prônent une mutualisation des moyens, une offre de soins dite « adaptée », une prise en charge graduée en fonction des pathologies ou encore le développement de nouveaux modes de prise en charge tels que la chirurgie ambulatoire, la télémédecine, l’hospitalisation à domicile, etc. Autant de verbiage visant à dissimuler la drastique réduction de moyens humains et financiers dans ce qui devrait être pourtant, parmi les priorités de l’état.

Ici, personnels et syndicats, type Force Ouvrière (FO), unanimes sur la question des conditions de travail et même à bout de souffle, ne baissent pas pavillon et accentuent la mobilisation. Revendiquant de cesser l’hémorragie des non remplacements, des départs et de procéder d’urgence à l’embauche pour pouvoir répondre aux exponentiels besoins en soins, ils organisent différentes actions au sein du département des Bouches du Rhône et ont lancé l’alerte depuis de nombreux mois depuis un hôpital public, partout en grande souffrance.


[swmsc_image link= »# » lightbox= »false » target= »_self » lightbox_type= »image » align= »center » alt= » » title= » » border_radius= »5px » id= » » class= » » style= » » src= »6533″]

Fièvre à tous les services

Au lendemain de grèves perlées, notamment aux Urgences, particulièrement impactées, le Centre-Hospitalier Intercommunal d’Aix-Pertuis (CHIAP) illustre bien ce malaise social, envahissant. Durant une journée, dans les couloirs comme lors de l’assemblée générale du syndicat FO qui avait lieu au même moment, les commentaires n’ont cessé de fluctuer : « L’hôpital est en fièvre, il étouffe, il est en désespoir ! Et nous, on est fatigués, mais on ne lâche rien ! »

Un appel au secours et aux responsabilités politiques dans un contexte tendu, qui oppose les personnels hospitaliers à leur direction, au gouvernement Macron et à ses incessantes directives sur fond de réformes. Un appel néanmoins étouffé en pleine période estivale, quelques jours après les déclarations d’Agnès Buzyn ministre des solidarités et de la santé qui, au-delà de préconiser l’allongement de la durée de travail pour tous, estime avoir mis assez d’argent sur la table côté santé, évoque une dette des hôpitaux « réduite », invite à développer la médecine libérale pour faire face à l’engorgement des urgences et va jusqu’à dénoncer de légitimes « arrêts-maladies ».

D’autant que le rapport 2018 de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) du CHIAP, qui préconise une réduction drastique des dépenses, enfonce le clou : « Le Chiap traverse une crise profonde et multiforme liée à des choix hasardeux (…) Le Chiap compte 944 lits et places dont 640 en médecine chirurgie-obstétrique (MCO) répartis sur deux villes : Aix-en-Provence et Pertuis. Il n’a pas procédé à une révision globale de son schéma capacitaire, mais à des réductions en hospitalisation complète, partiellement compensées par une augmentation en hospitalisation de jour à l’appui du développement de la chirurgie ambulatoire. Une activité inférieure à des prévisions irréalistes et des effectifs non maîtrisés ont plongé le Chiap dans une crise financière ». Ce rapport qui date de décembre 2018, estime en outre les coûts de la masse salariale trop importants, incite à la suppression de 278 postes et à la fusion de deux maternités (Aix-Pertuis) semant depuis, le tollé dans le pays d’Aix.

Décès, démissions, manque d’effectif et local inadapté

Infirmière depuis 2014 au sein du service des urgences du Chiap d’Aix, Marylin membre de FO, plante le décor. « Il y a 4 ans, tous les médecins démissionnaient de ce service où nous avons parallèlement enregistré deux décès de patients pour « mauvaise prise en charge » due alors, au manque d’effectif flagrant. Si aujourd’hui, ça va mieux, il reste néanmoins de sacrés progrès à faire, notamment en terme de gestion. Le local des urgences est non seulement vieillissant, inadapté mais aussi peu accueillant. En 20 ans, la population a doublé. Ici, nous avons beaucoup plus de personnes âgées à accueillir mais pas le personnel nécessaire. Il n’y a pas de lit d’aval, certains patients restent durant 24 heures. Il y a parfois des lits dans les couloirs. On reçoit également des détenus qui exigent un accueil formé et pour lesquels on a demandé une Nouvelle Bonification Indiciaire (NBI). Si Agnès Buzyn a mis du temps à consentir à une prime, celle-ci est toujours insuffisante et n’est toujours pas intégrée dans la retraite, ce qui n’est pas normal! »

Et d’ajouter : «  Chaque jour, on doit faire face aux divers problèmes et au stress entraînés dans ce service qui nécessite également beaucoup d’écoute et de réactivité. Il nous faut au moins un jour pour récupérer mais on n’a pas le temps ! Parfois même pas d’aller aux toilettes !… Il nous faudrait de plus grands locaux et plus de personnel, on ne cesse de le réclamer. Ce contexte anxiogène engendre en plus, de la violence. Depuis la dernière agression qui a eu lieu avec décès et auto-mutilation par couteau aux urgences, il y a un agent de sécurité à l’entrée. Bref, ce service doit absolument se développer, s’améliorer car les gens, ce n’est pas du bétail ! »...

En effet, logées dans un vétuste local attenant au Chiap, les Urgences d’Aix étaient conçues en 1995 pour 70 passages/jour. Aujourd’hui, elles en accueillent 140, soit le double. Si l’effort a porté depuis 2014 sur le renforcement de l’équipe de jour constituée d’une vingtaine de médecins et de 40 infirmier.ère.s (20, le soir), il reste encore beaucoup à faire, notamment côté aide-soignant.e.s (40) qui demeurent en sous-effectif. « Il faudrait au moins un.e autre aide-soignant.e de décrochage pour le risque vital », ajoute Marylin.

Mêmes « urgences » à Pertuis

Un peu plus loin, Eliane Lagier, une autre infirmière des urgences de Pertuis, livre  : « A Pertuis, on est une équipe de 11 infirmier.e.s, dont les temps partiel et ceux syndiqués. Nous avons un gros problème de brancardier.e.s, donc à défaut d’en embaucher, on pioche chaque jour dans les infirmier.e.s avec des glissements de fonction inadmissibles! C’est simple, on travaille tellement que j’ai cumulé 160 heures de travail supplémentaire mais à ce jour je n’ai pu récupérer que 45h ! Ici à Pertuis, on est passé de 10 000 passages par an à 15/16 000 par an. Alors que la population, notamment vieillissante, augmente sur le territoire, les périodes de pics caniculaires en été ou de grippe en hiver, sont saturées aux urgences. On ne sait plus où mettre les patients ! Et alors que la certification exclut les lits dans les couloirs, force est de constater qu’il y en a encore beaucoup». Elle conclue : «On est obligés de revenir des congés car il y a une forte demande. Il est donc rare de prendre 3 semaines d’affilée pendant les vacances. La nuit, on est en sous-effectif aussi. Ce qui donne des collègues fatigués en permanence, sous tension et stress ».

Une situation « explosive » pour FO

Pour FO, premier syndicat représentatif au niveau départemental et local, arrivé en tête aux dernières élections professionnelles avec 55,30% : «  La situation est explosive !».

Le secrétaire départemental, René Sale, qui a dressé un bilan des activités lors de l’Assemblée Générale du 23 juin dernier, rapelle : «Le mouvement des T-shirt noir est parti de l’hôpital d’Aix, du service de neurologie. Il s’est étendu à tout le pays et nous en sommes fiers. Le 19 juin dernier, 125 services d’urgences étaient en grève. Ceux de Pertuis le sont depuis deux mois et demi. Une réunion du collectif inter-urgence le 27 mai dernier a réuni près de 200 délégués et 37 services d’urgences à Paris. Le 25 mai, 67 services d’urgence étaient en grève. Nous avons adopté une plateforme unanime avec plusieurs revendications. La création d’une prime de 300 euros pour tous les personnels soignants mais aussi ceux non médicaux (ASH, etc.) Car le contexte est évident, il n’y a pas une urgence qui ne soit en situation de danger. Au-delà, il n’y a pas non plus un service hospitalier qui ne soit en situation de danger car tous les services le sont : neuro, pédiatrie, rhumato, gastro, médecine, brancardiers…»

Et de poursuivre : « Nous avons décidé également de monter en manif nationale le 6 juin dernier. La situation est dramatique! Peut-être que dans un avenir pas si lointain, l’hôpital public ne pourra plus accueillir que trois fois par mois avec toutes ces réformes régressives. En 39 ans de service, c’est la première fois que les médecins viennent avec nous pour comprendre les actions que nous menons contre la tarification à l’activité, contre les différentes réformes et l’organisation d’un véritable massacre de l’hôpital public. Pour mémoire, l’hôpital ne relève pas de l’impôt mais de notre salaire différé, c’est à dire de la sécurité sociale, c’est à dire d’un système basé sur la solidarité inter-générationnelle d’un placement des anciens au sortir de la seconde guerre mondiale par ce qu’on appelle les ordonnances de 1943 et de 1945. C’est un fleuron que tout le monde veut nous copier à l’échelle internationale et que Macron veut détruire! Il l’a dit clairement, il a dit qu’il fallait en finir avec les acquis de 1946 et 1945 ».



Déclaration de FO 

Les hospitaliers du Centre hospitalier d'Aix-Pertuis, réunis le 20 juin 2019 proposent de renforcer la mobilisation des hospitaliers.

A l'initiative du mouvement Tee-shirts noirs avec FO, parti du service neurologie à Aix-en-Provence le 22 février 2019, l'actualité des hôpitaux qui avait comme point d'avancé, les urgences, met à l'ordre du jour la généralisation de la grève sur la base des revendications de FO.

Sur le plan local, la direction depuis quatre mois, n'a de cesse de louvoyer, cherchant à gagner du temps et à répondre - quand elle répond - de manière systémique par des bouts de chandelle.

Nous sommes sous la dictature du CRIEF¹ comme justificatif dans le cadre du Copermo², de suppressions de postes et d'effectifs et de réductions des lits d'aval alors que nous en manquons cruellement.

La situation est intolérable, inacceptable et inhumaine. La direction des soins pratique la politique de la chienlit ou du caporalisme de manière systémique, autoritaire et arbitraire en faisant pression sur les personnels pour les empêcher d'exprimer leurs légitimes revendications.

Sur le plan national, les déclarations de la ministre, au-delà de leur caractère insuffisant, sont une véritable provocation aux exigences professionnelles du personnel hospitalier.

Après avoir fait la déclinaison en terme de création de postes, les 15 Millions d'euros annoncés représentent 23 000 euros par établissement, autrement dit, la moitié d'un poste d'infirmier chargé.

La prime serait attribuée en fonction de critères de délégation, c'est à dire que le médecin délèguerait à l'infirmière qui déléguerait à l'aide-soignante, c'est une remise en cause sans précédent des droits, de la formation professionnelle et des compétences.

La prime de risque de 118 euros brut serait attribuée aux Service d'accueil des Urgences qui serait reconnue comme urgence à risque par décision de l'Agence Régionale de la Santé.

Mais toutes les urgences sont à risque et cela s'appelle la division pour mieux régner.

Enfin les déclarations de Mme Buzyn constituent une offensive sans précédent, contre le statut des personnels et le droit des patients à se faire soigner.

Au prétexte de la canicule qui s'annonce, un plan blanc qui couvrirait toute la période des vacances, obligerait les personnels à travailler tout l'été. Quid des repos ?

FO a toujours été auprès de ses personnels et se félicite que le mouvement des Tee-shirts noir s'étende à tout le pays.

Nous ne lâcherons rien et irons jusqu'au bout quelles que soient les intimidations ou menaces.

Le syndicat FO du Centre Hospitalier d'Aix-Pertuis (CHIAP).

Notes: 1 :  Centre de recherche sur l'Intégration Économique et Financière 2: COmité interministériel de PERformance et de la MOdernisation de l'offre de soins

Réformes à reculons …

Revendiquant l’immunité de tous les personnels, la réouverture des lits d’aval et l’arrêt de leur fermeture après être passé de 155 lits d’hospitalisation en chirurgie à 90 aujourd’hui, le syndicat FO réclame en outre la transformation des emplois précaires en statutaires.

René Sale ajoute : « Nous avons une direction des soins totalement indigne qui nous parle d’hygiène mais nous donne deux Tee-Shirts et un pantalon par personnel ! »

En première ligne de mire, le fameux Copermo (Comité Interministériel de Performance et de Modernisation de l’Offre de Soins), sorte de baromètre décisionnaire pour l’investissement public en milieu hospitalier, mis en place par Marisol Touraine en 2012 et composé d’une douzaine de personnes « sortis de banques ou de grandes écoles de la finance », selon le syndicat FO. Un Copermo qui dicterait ses lois sur la base des taux de marge, après avoir programmé la tarification à l’activité. Parmi les dernières décisions du Copermo, la validation d’un plan inédit au CHRU de Nancy où le Comité inter-ministériel vient d’acter le 17 juillet dernier, la suppression de 598 postes dans les 5 années à venir, en veillant à peu médiatiser le sujet.

Tontons flingueurs

Le 14 juin dernier, la ministre de la santé tente d’étouffer l’incendie aux divers services des urgences, en annonçant le déblocage de 70 millions d’euros – dont 55 millions sont déjà consacrés à la généralisation d’une prime de risque de 100 euros net mensuels-. Un « semblant » d’avancée, destiné plutôt à « faire de la com » qui fait amèrement sourire René Sale, en plein calcul : « L’actualité c’est tous les services ! Il reste 15 millions d’euros en création de postes, divisé par 600 services d’urgences c’est 23 000 euros, soit même pas la moitié de salaire d’un infirmier chargé ! De qui se moque-t-on ? Idem pour la prime de risque qui n’est attribuée qu’aux personnels infirmiers et aides-soignants car elle entraîne une remise en cause sans précédent des diplômes et des compétences. Nous, syndicat FO on demande toujours une prime de 300 euros net ».

Ici comme ailleurs, la situation est si délétère que, constate René Sale : « Il n’y a jamais eu autant de démissions au Chiap! Plusieurs collègues ont voulu changer de métier car on leur demande autre chose que ce pourquoi ils ont voulu travailler. Mais pire encore, un patient est décédé avant hier parce qu’il n’a pas pu être pris en charge à Avignon. A Aix-Pertuis, nous en avons eu 5 il y a deux ans ».

Et de commenter : « J’assume ce que je dit, mais ce gouvernement est un gouvernement d’assassins, de tontons flingueurs, on est au bord d’être dans un gouvernement de Vichystes. Depuis novembre ce sont 2500 blessés par LDB parce qu’ils manifestaient, ce sont plus de 12 morts ! Regardez dans les hôpitaux, le préfet réquisitionne le personnel en congés à l’hôpital de Lons-le-Saunier dans le Jura, écoutez ce que dit Buzyn « nous craignons une période de canicule donc il faut venir travailler ! ».

Un hôpital public partout en souffrance intense, soumis avant tout aux vulgaires ratios de rentabilité, au sein duquel Agnès Buzyn ajoute son plan « Ma Santé 2022 » qui dévoile la fin du « Numerus clausus ». Un fin présentée comme un antidote à la pénurie de médecins, là où cette réglementation avait été mise en place pour limiter le nombre de prescripteurs afin d’alléger les dépenses de la sécurité sociale et pour limiter la concurrence de façon à garantir aux professionnels en activité, une quantité de travail suffisante pour vivre.

Au Chiap, les Tee-Shirts noirs et les blouses tâchées de sang sont de sortie, chaque jour. Partout dans les couloirs, comme dans les chambres et blocs opératoires, les mines fatiguées, les corps épuisés continuent de travailler malgré les conditions insoutenables. Ici, l’heure est à la résistance accrue, pour le travail digne, pour l’efficience, pour que perdure un système de santé envié par tous mais en péril, pour pouvoir retrouver un sens à la noble activité de service du public.

Comme le pressent l’ensemble des personnels : « Oui il faut la grève générale, c’est compliqué mais ce sera incontournable ».

H.B.

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».